
DANS L’ACTU
RÉUNION À HAUT RISQUE POUR LA SANTÉ MONDIALE
Dans quelques heures s’ouvre à Johannesburg une réunion décisive, en marge du sommet du G20 accueilli par l’Afrique du Sud. Lors de la 8e conférence de reconstitution des financements du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme– créé en 2002 pour affronter les trois plus grandes pandémies mondiales – les donateurs devront annoncer leur contribution financière pour les trois années 2026-2028. Les besoins pour ce nouveau round ont été estimés par le Fonds lui-même à 18 milliards de dollars, pour sauver 23 millions de vies, prévenir 400 millions de nouvelles infections dans le monde et réduire la mortalité de 64 %.
Si, jusqu’ici, le budget du Fonds augmentait régulièrement, au même rythme que les dépistages et donc les besoins en traitements, l’inquiétude est, cette année, très grande. La directrice des politiques de santé mondiale de l’association « Les Amis du Fonds mondial Europe », Alix Zuinghedau, l’a bien résumé le 20 novembre : « Nous sommes dans un contexte d’incertitude inédit. On peut s’en sortir très bien, ou bien aller à la catastrophe. »Inès Alaoui, responsable des politiques internationales de santé à Coalition Plus, prédit l’issue catastrophique qui sanctionnerait un échec du financement et pourrait réduire à néant des décennies de progrès : une reprise épidémique « très prochaine ».
Dans son dernier éditorial consacré à ce sujet, l’association Focus 2030 (qui promeut les objectifs de développement durable pour 2030) explique : « Les récentes coupes budgétaires dans l’aide publique au développement pourraient entraîner plus de 10 millions de nouvelles infections au VIH d’ici 2030 et près de 1,7 million de décès supplémentaires liés à la réémergence de la tuberculose d’ici 2035. » Alors qu’en 2015, l’espoir d’une éradication des trois pandémies était permis, la planète ayant décidé une mobilisation sans précédent à l’horizon 2030, « dix ans plus tard, l’optimiste a cédé la place à la désillusion », écrit l’organisation. Et de poursuivre : « Ces projections dramatiques ne sont pas une fatalité. Jamais les avancées scientifiques n’ont suscité autant d’espoir pour un monde sans sida, tuberculose ni paludisme, trois maladies à l’origine de 2,5 millions de décès en 2024 [contre 4,4 millions en 2000]. Rarement la capacité des gouvernants à manifester leur volonté politique n’aura autant pesé sur l’avenir de millions de personnes. »
Les deux premiers donateurs, respectivement les États-Unis (qui contribue pour un tiers au budget total) et la France, n’ont pas fait connaître leurs intentions. Mais les signaux envoyés par Donald Trump ont jusqu’ici été très négatifs avec le gel de l’USAID et des coupes historiques dans les financements états-uniens pour la santé mondiale. Selon le site PEPFAR Program Impact Tracker, les coupes budgétaires états-uniennes auraient déjà entraîné, mi novembre, la mort d’environ 130 000 adultes et plus de 13 800 enfants. Le President’s Emergency Plan For AIDS Relief (PEPFAR) avait été lancé en grande pompe par George W. Bush en 2003. Il a été gelé par Donald Trump en janvier dernier, sans qu’on sache jusqu’à quand. À la même date, le locataire de la Maison Blanche a annoncé le retrait de son pays de l’Organisation mondiale de la santé et il a mis fin d’un trait de plume à des millions de dollars de programmes d’aide à la santé dans les pays du Sud.
La France, très impliquée dans la création du Fonds mondial (Jacques Chirac s’était fortement engagé), est le deuxième contributeur mondial et le premier en Europe. Un recul – possible – de son financement serait une première historique. La société civile française plaide, à l’inverse, pour une hausse à 2 milliards d’euros de sa contribution, contre 1,6 milliard au cycle précédent.
L’Allemagne et le Royaume-Uni ont déjà annoncé des contributions en baisse dont on ignore si elles pourront être compensées par d’autres pays, ou par une hausse des financements privés, dans un contexte d’incertitude économique mondiale.
Le bilan du Fonds mondial est pourtant remarquable, si l’on en croit les résultats 2025, publiés début septembre : 70 millions de vies préservées depuis sa création et, pour ce qui est du VIH, 74 % de décès en moins et 62 % de nouvelles contaminations évitées. Campagnes de prévention, innovations scientifiques, baisse des prix des médicaments et renforcement des systèmes de santé sont les causes de ces avancées. Au-delà des conflits armés et des inégalités de genre et de droits, les progrès continus ont toutefois été ralentis par la pandémie du Covid-19, les tensions sur l’aide publique au développement et l’apparition de souches résistantes aux médicaments.
Les pays les plus menacés par un recul du financement du Fonds se situent en Afrique sub-saharienne, où sont concentrés près de 72 % des investissements du Fonds. Le continent africain représente notamment les deux tiers de l’épidémie de VIH-sida. Ces pays sont exposés à des interruptions de service, à une hausse du coût des soins et à des risques importants de résurgence des épidémies. L’Afrique du Sud, hôte du G20, est particulièrement concernée : ravagée par le VIH pendant les années 1990 et 2000, elle sait ce qu’elle doit à la solidarité mondiale. Son président, Cyril Ramaphosa, pèsera sans doute de tout son poids sur les débats.
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À LIRE
MAGHREB NOIR : UNE HISTOIRE DU PANAFRICANISME
Pendant des décennies, le Maroc a semblé se détourner du reste de l’Afrique, lui préférant notamment l’Europe. Son retour dans l’Union africaine (UA) en 2017, après des mois de lobbying au forceps pour, notamment, faire reconnaître par plusieurs pays africains sa souveraineté sur le Sahara occidental (l’admission de la République arabe sahraouie démocratique, Rasd, à l’UA, avait conduit Rabat à quitter l’organisation panafricaine en 1984), a certes constitué une étape de son retour. Mais celui-ci est principalement motivé par des aspects d’influence, notamment économiques. Le panafricanisme des années 1950-1960 semble bien loin.
Or Rabat n’a pas toujours été absent des grands débats et des grandes luttes panafricaines. Dans les années 1950, Mohamed V a même été l’un des soutiens des luttes d’indépendance en fournissant logements, passeports, armes et entraînements à de nombreux indépendantistes subsahariens. Parmi eux, des artistes luso-africains devenus les pierres angulaires de la lutte contre l’empire portugais : Amílcar Cabral, fondateur du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert, Mario Pinto de Andrade, premier président sur Mouvement populaire de libération de l’Angola, Marcelino Dos Santos, du Front de libération du Mozambique…
La mort de Mohamed V en 1961 et l’arrivée de son fils Hassan II va marquer l’éloignement de Rabat vis à vis de ces luttes, sous les pressions notamment françaises. L’Algérie, dont la lutte armée pour l’indépendance obtenue en 1962 va inspirer beaucoup de militants africains, va prendre le relai et devenir la « Mecque des révolutionnaires ».
Paraska Tolan-Szkilnik, historienne spécialiste de l’Afrique du Nord et de ses relations avec le reste du continent, s’est penchée sur cette période bouillonnante durant laquelle les notions de panafricanisme et de décolonisation totale prônés par Kwame Nkrumah et Franz Fanon semblaient prendre forme concrètement. Maghreb noir suit ces artistes-combattants d’Afrique subsaharienne, de Lisbonne à Alger en passant par Paris, Rabat et Tunis, étudie leurs amitiés avec d’autres artistes maghrébins, dont Abdellatif Laâbi, poète et écrivain marocain qui a fondé en 1966 la revue Souffles, en ou encore le poète pied-noir Jean Sénac.
L’autrice s’attache à nuancer une période aujourd’hui romantisée, sinon idéalisée. Car elle est aussi celle qui voit les premiers pouvoirs postcoloniaux se durcir pour consolider leur emprise nationale – ce dont n’étaient pas dupes les artistes-militantes. Elle explore aussi les désaccords qui traversent les divers mouvements, comme le rejet de la « négritude » de Léopold Sédar Senghor par exemple, le premier président sénégalais étant très tôt accusé d’être le pantin de Paris. L’organisation du célèbre Festival panafricain d’Alger de 1969 est d’ailleurs une réponse au premier Festival mondial des arts nègres organisé en 1966 à Dakar.
La présence des Black Panthers à Alger durant cet évènement (où l’on croise Stokely Carmichael et sa femme, Myriam Makeba, qui chantera en arabe) est aussi l’occasion d’aborder les incompréhensions avec des Africains États-uniens, dont le mode de vie et la culture se heurtent aux réalités africaines. La question du racisme est aussi latente et particulièrement perceptible à travers le rapport entretenu par certains militantes avec le corps des femmes. Ces réalités, bien souvent ignorées, démystifient quelque peu la période sans la jeter dans les poubelles de l’histoire : de celle-ci sont nés de nombreux combats et des initiatives qui, pour certaines, se poursuivent encore aujourd’hui, comme le premier grand festival de cinéma panafricain, les Journées du cinéma de Carthage (JCC), où de grands réalisateurs et réalisatrices, dont Ousmane Sembène et Sarah Maldoror, y sont devenues mondialement reconnues.
Paraska Tolan-Szkilnik a été l’invitée de l’émission Horizons XXI diffusée en direct le 19 novembre sur le média indépendant Au Poste et désormais disponible en streaming sur le site d’Afrique XXI et sur sa chaîne Youtube.
À lire : Paraska Tolan-Szkilnik, Maghreb noir, éditions Ròt-Bò-Krik, octobre 2025, 336 pages, 17 euros.
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SUR NOS ÉCRANS RADARS
LA STAR DU RAP NICKI MINAJ REJOINT TRUMP DANS SA CROISADE NIGÉRIANE
Invitée mardi aux Nations unies par l’ambassadeur états-unien, la célèbre rappeuse a endossé le discours de Donald Trump selon lequel les chrétiens seraient persécutés par les musulmans au Nigeria. « Les chrétiens sont pris pour cible, chassés de leurs maisons et tués », a-t-elle déclaré à la tribune. Cet appui conforte les intimidations de Washington envers le géant ouest-africain, après que Trump a menacé Abuja d’une intervention militaire pour « anéantir les terroristes islamistes ». Le chercheur Vincent Foucher, membre du comité éditorial d’Afrique XXI, avait tenté, il y a quelques jours, de décrypter ce narratif issu des mouvements chrétiens les plus conservateurs et d’en analyser les objectifs politiques. En avril, son collègue Marc-Antoine Pérouse de Montclos avait, déjà, questionné, sur notre site la « fabrique d’un génocide des chrétiens ».
À (re)lire : Nigeria-États-Unis. « Certains refusent d’affronter la complexité du réel » et Des États-Unis au Nigeria, la fabrique d’un « génocide des chrétiens ».
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE
Afrique de l’Ouest. Le trafic de bois de rose est devenu incontrôlable
Reportage Entre 2017 et 2022, 3 millions de tonnes de ce bois précieux ont été exportées vers la Chine via les ports de Gambie et du Sénégal, pour une valeur d’au moins 1,8 milliard d’euros. Son exploitation et son exportation sont pourtant interdites.
Par Aïda Grovestins
Soudan. À El-Fasher, « nous vivons dans l’odeur du sang et de la mort »
Témoignage Le 26 octobre, la capitale du Darfour du Nord est tombée aux mains des Forces de soutien rapide (FSR) après un siège total de dix-huit mois. Dans les heures qui ont suivi la chute de la ville, des milliers de civils ont été exécutés. Trois semaines après les massacres, l’heure semble plus à la poursuite de la guerre qu’aux négociations (par Orient XXI).
Par Eliott Brachet
Au centre de Mutobo, la « rééducation » à la rwandaise
Reportage Alors que Kigali justifie du bout des lèvres son soutien au groupe armé M23 par la menace que constituerait encore la présence d’anciens génocidaires de 1994 dans l’est de la RD Congo, un centre s’occupe de démobiliser et, surtout, de rééduquer les anciens rebelles qui se rendent. Un programme qui suscite quelques critiques.
Par Guillaume Brunero
NIGERIA. LE BLUES DE L’OR NOIR
Ogoniland, le retour perpétuel du pétrole
Série 1/3 Depuis la fin des années 1950, l’exploitation pétrolière nourrit ambitions et conflits dans le sud du Nigeria. En 1993, des groupes écologistes ont stoppé les explorations, mais les dirigeants locaux veulent désormais les relancer.
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