
Vendredi 3 octobre.
Zukiswa Wanner a été interceptée par l’armée israélienne mercredi 1er octobre, ainsi que les bateaux de tête de la flottille pacifique Global Sumud, composée d’une cinquantaine d’embarcations transportant une cargaison d’aide humanitaire (des jouets, des médicaments, des vivres et du lait maternisé) destinée à Gaza, et de 532 personnes venues de 44 pays.
L’activiste et écrivaine sud-africaine publiait dans Afrique XXI un journal de bord de la traversée de la Méditerranée depuis son départ de Tunisie, le 17 septembre. Quelques minutes avant d’être arrêtée, elle nous a envoyé des photographies, dans la belle lumière chaude du soleil couchant, de celles et ceux qu’elle appelle la « Famille » du Mendi Réincarné, le nom qu’elle a donné à son bateau.
La consigne des organisateurs était de jeter à l’eau les téléphones cellulaires lors de l’arraisonnement. L’appareil sur lequel elle a tapé les 6 épisodes de sa chronique gît donc par le fond quelque part à 70 miles nautiques (130 km environ) de la côte de Gaza, dans les eaux internationales. Cette arrestation est, de ce fait, illégale, ce qu’aucun pays d’Europe n’a relevé. L’Espagne et l’Irlande ont exigé la libération de leurs ressortissants et le Royaume-Uni a promis aux siens son soutien consulaire, comme la France il y a quelques jours. Quant aux deux navires de guerre espagnol et italien supposés escorter la flottille pour la protéger d’une nouvelle attaque de drones israéliens après celle du 23 septembre, ils ont rebroussé chemin avant d’entrer dans la zone de tension. Le droit international maritime semble, comme tous les droits par les temps qui courent, d’application à géométrie variable.
En revanche, la Colombie, la Turquie, la Malaisie, le Pakistan, l’Afrique du Sud et le Brésil ont condamné l’interception et la violation du droit international. Cyril Ramaphosa, le président sud-africain, a exigé la libération de toutes les personnes interpellées. Il a regretté la violation « du droit international et de la souveraineté de toutes les nations dont les pavillons étaient arborés » par les bateaux de la flottille. Il a aussi fait part du soutien de son pays aux appels à la levée urgente du blocus de Gaza pour permettre l’arrivée de l’aide humanitaire.
Zukiswa le savait : son espoir de briser le siège imposé par Israël était ténu. Elle connaissait parfaitement le rapport de force. Cependant, il était important pour elle et, sans doute, pour beaucoup d’autres membres de la flottille, d’agir quand même. Elle l’écrivait dans son dernier épisode : « J’ai signé des pétitions adressées à mon gouvernement et à d’autres. J’ai participé à des manifestations pro-palestiniennes […]. J’ai boycotté. J’ai donné le peu que je pouvais ; j’ai pris la parole. J’ai pris la mer parce que je sentais que ça me rendrait folle de voir un autre enfant se faire tuer et de ne pouvoir que poster ma rage sur les réseaux sociaux. »
Née à Lusaka d’un père sud-africain et d’une mère zimbabwéenne en exil, Zukiswa sait depuis longtemps que la lutte paye à la fin. Et si l’Afrique du Sud est le premier pays à avoir saisi la Cour internationale de justice, à La Haye, pour accuser l’État hébreu de « faits et omissions à caractère génocidaire » en demandant à la justice internationale d’ordonner des mesures provisoires pour protéger les droits des Palestiniens, ce n’est pas seulement parce que l’Afrique du Sud est un pays du Sud global, mais aussi parce que son peuple est venu à bout de l’impitoyable régime de l’apartheid, l’un des pires avatars de l’Occident, avant de porter au pouvoir en 1994 un Nelson Mandela tout juste libéré d’un emprisonnement de vingt-sept ans.
Zukiswa parle du Nord et du Sud global, mais elle préfère écrire « l’Empire » pour qualifier ses ennemis. Qui sont celles et ceux des Palestiniens de Gaza, bien sûr, mais aussi, écrit-elle, des Congolais, des Haïtiens, des Soudanais, des Cachemiris et des Tamouls et même des orpailleurs de Stilfontein, dans son propre pays.
Cet Empire, rappelle-t-elle, a tracé sa route à coups de massacres et de génocides au tournant du XIXe siècle, lors de la conquête du continent (pour ne parler que de l’Afrique), à la recherche d’or, de forêts et de terres à arracher en Namibie, en Tanzanie, au Kenya. Les francophones ajouteront à cette liste non exhaustive les martyrs de la colonne sanglante Voulet-Chanoine, au Niger, dans la grande compétition franco-britannique, les enfumades d’Algérie, l’enrôlement de force d’ouvriers pour construire les voies ferrées, exploiter les mines et le caoutchouc, défricher les plantations, la conversion forcée au christianisme, le recrutement des tirailleurs sénégalais. Dans le cadre de la reprise en main coloniale qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, il faut encore citer les grands massacres de Sétif et de Guelma, en Algérie, celui de Madagascar, la répression de la révolte des Mau Mau au Kenya, et celle des insurrections du Cameroun et de Tunisie.
On passera sur les quatre siècles de la traite transatlantique et la saignée des peuples du golfe de Guinée, jusqu’à l’abolition de l’esclavage, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. Le nombre des victimes est estimé entre 12 et 20 millions de personnes. Cette traite, avec la traite transsaharienne et la traite orientale, est l’une des causes principales du retard démographique du continent, qui est en train de se combler actuellement.
L’esclavage a fini par être aboli. Les colonies démantelées. Gaza est l’une des dernières. (Il reste, selon l’ONU, 17 « territoires non autonomes » dans le monde, dont le Sahara occidental ainsi que des îles des Caraïbes, de l’Atlantique sud et du Pacifique.)
L’Empire, pourtant, n’appartient pas au passé. Il est toujours là, avec son éternelle brutalité à l’égard des plus pauvres et des plus faibles, son cynisme et sa soif d’hégémonie, qui triomphent désormais surtout dans les champs économiques et financiers. Il se donne crûment en spectacle aux États-Unis, à la Commission européenne, en France. Il cherche toujours à s’emparer des ressources, à briser les résistances et les hommes, à discriminer les « races », les religions et les classes sociales pour contrôler le monde.
Mais, en 2025, il ne le domine plus. De plus en plus, en face de lui, il trouve le Sud global.
Vous avez aimé cet article ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables).

Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.