
Lundi 29 septembre.
« La Palestine est si loin. »
Nous approchons de la fin de notre mission. Nous devrions arriver à Gaza mercredi ou jeudi au plus tard. Dans les prochaines 24 à 48 heures, nous atteindrons les eaux où deux flottilles précédentes, le Madleen et le Handala, ont été interceptées par les sionistes, entraînant l’arrestation des participants et la saisie des embarcations. Comme aujourd’hui, Israël vous dira qu’il n’y avait pas d’armes, seulement de la nourriture, des jouets, des médicaments et du lait maternisé. Mais parce que le sionisme est plein de haine et qu’il déshumanise tous ceux qui ne sont pas comme lui, le fait que qui que ce soit sur terre puisse éprouver de l’empathie pour quelqu’un qui ne lui ressemble pas déchaîne sa bile et sa haine.
Consciente de tout cela, et de la forte probabilité d’une interception, pourquoi ai-je pris la mer ?
Il y a des raisons évidentes. Contrairement aux précédentes tentatives pour briser le siège, nous sommes beaucoup plus nombreux à bord de beaucoup plus de bateaux. Je pense que les quelque 600 personnes avec lesquelles je voyage, venues de 44 pays, ont déjà aidé leurs familles, leurs amis et leurs connaissances à questionner l’incapacité des gouvernements à empêcher la poursuite du génocide par la famine que nous observons en temps réel.
Au cours du XXe siècle, les Britanniques ont été responsables d’un tel génocide dans mon propre pays natal pendant la deuxième guerre anglo-boer1 qui a causé la mort de nombreux Sud-Africains autochtones et européens d’origine néerlandaise ; les Allemands ont été responsables de génocides similaires dans l’actuelle Namibie2 et en Tanzanie3.

Les Britanniques ont fait de même avec les Mau Mau au Kenya4, etc. Le milieu du XXe siècle a été marqué par la « décolonisation » de nombreux pays d’Asie et d’Afrique, qui étaient sous la domination des gouvernements colonisateurs du Nord.
« Je n’attends rien des gouvernements du Nord »
En tant que personne originaire du Sud, habituée à voir nos pays pillés et spoliés par le néocolonialisme, je n’attends rien des gouvernements du Nord face à un nouveau génocide, à moins que leurs citoyens ne les obligent à faire ce qui est juste par des manifestations et des boycotts, comme cela a été le cas jusqu’à présent. Mais je trouve extrêmement troublant qu’au XXIe siècle beaucoup de gouvernements « libres » du Sud global permettent que cela arrive aux Palestiniens. Par ma présence ici, j’espère éveiller la conscience de nos gouvernements afin qu’ils ne se contentent pas de quitter la salle de l’ONU lorsque Netanyahou prend la parole, mais qu’ils agissent contre le siège, car ils savent bien que le siège de Gaza, en place depuis 2007, est illégal au regard du droit international (par ailleurs largement créé par ces mêmes gouvernements du Nord).
J’ai pris la mer parce que je vois un lien entre la conviction d’une supériorité ethnonationaliste et le dogme du peuple élu qu’est le sionisme, ainsi que sa cooptation des cupides pour exécuter ses ordres et criminaliser les pauvres. Je vois comment des chercheurs d’or à Stilfontein, au Botswana, au Zimbabwe, peuvent se mettre en danger pour gagner quelques piécettes pour survivre. Je vois comment ils se font arrêter tandis que les lois ne prévoient pas d’arrêter ceux qui vendent ce même or. Le même or qui se retrouve aux Émirats arabes unis sans qu’il soit possible d’en tracer l’origine, tout comme l’or du Soudan échangé contre des armes pour tuer nos frères et sœurs dans ce pays.
J’ai pris la mer parce que même si les armes testées sur les Palestiniens n’étaient pas les mêmes (elles le sont) que celles qui sont exportées pour tuer les Congolais, les Haïtiens, les Soudanais, les Cachemiris et les Tamouls, l’humanité exige que je fasse quelque chose.
« Parce que j’ai de l’espoir »
J’ai signé des pétitions adressées à mon gouvernement et à d’autres. J’ai participé à des manifestations pro-palestiniennes pour montrer que, comme beaucoup d’autres à travers le monde, je veux un monde plus humain. J’ai boycotté. J’ai donné le peu que je pouvais ; j’ai pris la parole. J’ai pris la mer parce que je sentais que ça me rendrait folle de voir un autre enfant se faire tuer et de ne pouvoir que poster ma rage sur les réseaux sociaux. J’ai pris la mer parce que j’espère que, lorsque les gouvernements du monde entier verront combien de gens ordinaires comme moi, comme les personnes à bord de ces bateaux, comme tous les gens ordinaires qui ont participé à des manifestations, qui se sont exprimés sur les réseaux sociaux, qui ont boycotté, demandé des désinvestissements et des sanctions, cette flottille qui brise le siège sera un premier pas vers des poursuites contre tous ceux qui se sont rendus complices du génocide et vers une Palestine juste et pacifique. Vers un Soudan, un Congo, un Haïti, un Cachemire et un monde entier justes et pacifiques.
J’ai pris la mer parce que j’ai de l’espoir.

Le même espoir qui me pousse à aller voter pour une personne qui ne gagnera peut-être pas, mais qui, selon moi, pourrait faire la différence.
Le même espoir qui me fait croire que le bien peut vaincre le mal et que, parfois, l’amour l’emporte.
Le même espoir qui me fait croire qu’au fond les êtres humains sont bons et généreux et qu’ils veulent le meilleur non seulement pour leur famille et leurs amis, mais aussi pour l’humanité tout entière.
J’ai pris la mer parce que je suis une rêveuse. Et parfois, pour rendre le monde meilleur, il suffit de rêver d’un monde meilleur et d’agir en conséquence.
C’est mon dernier article dans ce journal, car les prochains jours seront incertains. Lorsque vous lirez ces lignes, mes camarades, mes frères et sœurs venus de sept pays et moi serons soit sur les côtes de Gaza (victoire !), soit nous aurons été interceptés par les ennemis de l’humanité. Quoi qu’il arrive, lorsque vous lirez cela, vous, lecteurs, saurez que nous avons essayé, et, si vous ne l’avez pas déjà fait, vous vous joindrez, j’espère, à notre lutte pour un monde plus bienveillant, plus juste et plus aimant. Le genre de monde que nous n’avons peut-être pas hérité de nos ancêtres, mais que nous aimerions laisser à nos descendants et aux générations futures. Un monde qui se soucie de bienveillance.
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1Après la découverte d’or dans les années 1870, la deuxième guerre des Boers, du 11 octobre 1899 au 31 mai 1902, se solde par la victoire des Britanniques, qui annexent les deux Républiques boers indépendantes : l’État libre d’Orange et la République du Transvaal. On estime que ce conflit a causé la mort de 26 000 civils.
2Entre 1904 et 1908, environ 80 % du peuple herero et 50 % du peuple nama vivant sur le territoire de l’actuelle Namibie ont été exterminés par les forces du Deuxième Reich, soit respectivement 65 000 Hereros et 10 000 Namas.
3Entre 1905 et 1907, les troupes coloniales allemandes ont massacré entre 200 000 et 300 000 représentants des Maji-Maji après un soulèvement de ces derniers.
4La répression de la révolte des Mau Mau contre les colons britanniques de 1952 à 1960 a coûté la vie à près de 100 000 personnes, tandis que 300 000 autres étaient détenues dans des camps.
5Après la découverte d’or dans les années 1870, la deuxième guerre des Boers, du 11 octobre 1899 au 31 mai 1902, se solde par la victoire des Britanniques, qui annexent les deux Républiques boers indépendantes : l’État libre d’Orange et la République du Transvaal. On estime que ce conflit a causé la mort de 26 000 civils.
6Entre 1904 et 1908, environ 80 % du peuple herero et 50 % du peuple nama vivant sur le territoire de l’actuelle Namibie ont été exterminés par les forces du Deuxième Reich, soit respectivement 65 000 Hereros et 10 000 Namas.
7Entre 1905 et 1907, les troupes coloniales allemandes ont massacré entre 200 000 et 300 000 représentants des Maji-Maji après un soulèvement de ces derniers.
8La répression de la révolte des Mau Mau contre les colons britanniques de 1952 à 1960 a coûté la vie à près de 100 000 personnes, tandis que 300 000 autres étaient détenues dans des camps.