
Mardi 23 septembre.
Ça a commencé. Dimanche soir, nous l’avons vécu pour la première fois. Des drones suivaient nos bateaux dans la nuit. Ça a recommencé lundi soir. J’écris ces lignes mardi soir, nous ne sommes pas encore à mi-route de Gaza et je m’attends à ce que cela se reproduise. Nos exercices quotidiens nous rappellent que nous avons affaire à une entité véritablement maléfique. Dans les médias, le gouvernement israélien a commencé à accuser la flottille d’être liée à tel ou tel groupe militant.
Il y a quelques années, les gens auraient gobé facilement leur hasbara [Réthorique d’Israël à destination de la communauté internationale, NDLR]. Aujourd’hui, les Israéliens ne font même plus semblant de vouloir être crus. Parce que le monde ne les croit pas. Nous avons tous vu de nos propres yeux l’extermination d’un peuple et de Gaza, et, pire encore, le Financial Times a révélé les plans des Seigneurs diaboliques pour faire de Gaza une station balnéaire. On a déjà connu ce scénario à Bali. Le terrain de jeu des yuppies. Sauf que dans les années 1960 la censure de l’information était plus facile. Aujourd’hui, aucun d’entre nous ne peut faire mine de ne pas voir, et c’est pourquoi nous ne laisserons pas Gaza mourir en restant sourds et muets. Nous crierons pour sa survie jusqu’à en perdre la voix, et nous échaufferons nos cordes vocales pour pouvoir crier de nouveau. Car, parfois, même les manifestations pacifiques peuvent faire du bruit.

Au cours des dernières vingt-quatre heures, j’ai vu deux personnages politiques s’empêtrer. Le premier, Barack Obama, a tenté de dire qu’il n’était pas le président tout en s’empressant de jouer les arbitres entre les deux camps. Je l’ai écouté essayer d’échapper à ce qui se passe à Gaza, et, pour la première fois, j’ai entendu cet homme bégayer. Comment a-t-il pu tromper le monde si longtemps alors qu’il n’était, en réalité, qu’un homme de paille de l’Empire ? Pourtant, il fut autrefois un militant propalestinien. La politique aux États-Unis est triste.
En Afrique du Sud, l’une des dirigeantes du principal parti d’opposition (L’Alliance démocratique) – qui fait actuellement partie du Gouvernement d’unité néolibérale aux côtés du Congrès national africain après l’échec de ce dernier à obtenir la majorité absolue aux dernières élections – vient de se retirer de la campagne. Helen Zille passe pour la future candidate à la mairie de Johannesburg. Dans une interview accordée à la télévision nationale, en réponse à une question sur le génocide à Gaza, elle a dit : « Génocide est un mot très fort. Je ne suis jamais allée à Gaza, donc je ne sais pas. »
Écraser par la violence, en paroles et en actes
Cher lecteur, les ancêtres juifs de Mme Zille, du côté maternel aussi bien que paternel, sont arrivés d’Allemagne en Afrique du Sud dans les années 1930. Elle est née à Johannesburg six ans après la Seconde Guerre mondiale. Je me demande si elle a déjà entendu parler de l’Holocauste et si elle le reconnaît puisqu’elle n’y était pas. C’est typique des sionistes, n’est-ce pas ? Ils n’essaient même pas de raconter des mensonges bien tournés. Ce qu’ils font, c’est vous écraser par la violence, en paroles et en actes. Le problème, c’est que beaucoup d’entre nous refusent de s’engager en feignant l’ignorance. Or nous savons qu’ils savent. Et nous leur demanderons des comptes lorsque viendra notre Nuremberg.
Bien que j’aie l’air en colère aujourd’hui, et j’aurais des motifs valables de l’être, je ne le suis pas. Et il y a trois raisons à cette humeur positive. La première est qu’après avoir accompli des tâches banales, comme notre lessive et notre vaisselle à l’eau de mer (car nous devons économiser l’eau), nous avons eu une conversation plutôt intéressante au sein de la famille. Nous avons échangé sur les raisons qui nous avaient poussés à embarquer sur la flottille Global Sumud. C’était magnifique de les écouter tous, originaires de pays différents, unis dans un même but. Et de comprendre que l’ennemi n’est pas seulement celui des Palestiniens, mais le nôtre à tous. Aujourd’hui, c’est Gaza, demain ce sera nos villes natales. Car les sionistes et leurs semblables semblent empressés de désensibiliser le monde au mal et aux meurtres (sauf quand c’est celui de Charlie Kirk 👀). Mais comme nous l’ont montré les Italiens par leur grande manifestation, nous, qui sommes des centaines, des millions voire des milliards de personnes, pouvons faire la différence et repousser un ennemi qui veut que nous soyons plus intéressés par le classement Forbes des personnes les plus riches que par la faim endurée par des êtres humains n’ayant pas mangé depuis des jours. Nous sommes nombreux. Nous avons une voix. Et nous en userons jusqu’à ce que le mal soit vaincu. Nous sommes les POZ (People Opposing Zionism, les opposants au sionisme).

Sur une note littéraire plus légère, parce que j’adore les histoires et que je cherche toujours un moyen de les partager, mercredi dernier, le jour où j’ai embarqué, j’ai lancé un club de lecture de la flottille Global Sumud. Je voulais qu’on lise (ou relise, dans mon cas) un texte en commun pendant notre voyage vers Gaza. Je voulais un livre qui nous éclaire sur Gaza tout en nous donnant un aperçu de notre destination. Le roman que j’ai choisi est The Bitterness of Olives [« L’Amertume des olives »] d’Andrew Brown (Karavan Press, 2023). Pour que ce ne soit pas trop fastidieux pour les lecteurs, j’ai demandé à Andrew de lire le prologue. Ensuite, j’ai lu la première page du premier chapitre et, à tour de rôle, quelqu’un d’autre a lu la première page du chapitre suivant, et ainsi de suite. Tout ça pour dire que les salons littéraires sud-africains sont admirablement engagés dans cette initiative ! Nous sommes mardi aujourd’hui et j’ai déjà des lecteurs inscrits jusqu’à lundi prochain. Cela témoigne, comme j’aime souvent le dire, de la manière dont la plupart des artistes nous montrent que l’aspect « humain » des sciences humaines passe par l’action et l’engagement.
Un poème de Rifka
Enfin, la troisième raison de mon humeur, même si elle est plus sombre que les autres, c’est que Rifka m’a envoyé un poème hier soir. Et pendant que je le lisais, alors que nos bateaux étaient survolés par les drones, je n’ai pas pu m’empêcher de dire à Eurozone que je suis convaincue que c’est parce qu’ils veulent anéantir Gaza avant notre arrivée qu’ils envoient leurs drones pour nous intimider si loin de la côte israélienne. Mais je pense qu’ils ne comprennent pas notre volonté et notre amour pour l’humanité.
Chaque personne à bord de ce bateau restera, sans nul doute, pour aider à reconstruire Gaza. Car, comme je l’ai déjà dit, notre humanité est plus forte que notre peur. Voici le poème de Rifka, que je partage avec son autorisation. Je m’arrête là pour ce soir.
Tal El-Hawa, sud de Rimal,Des noms désormais gravés dans le feu et les décombres,Pris dans les filets d’un génocide.Je suis originaire de Zarnouqa, dans le district occupé de Ramleh.Née dans le camp de Nusseirat,J’ai bâti ma vie avec mon mari et mes enfants,Dans le sud de Rimal,Où chaque battement de cœur résonnait dans les rues de Tel al-Hawa.Là-bas, nous ne vivions pas seulement dans des maisons,Nous vivions dans les rires les uns des autres,Dans la chaleur partagée des trottoirs et des devantures de magasins,Dans le langage doux et tacite de l’appartenance.L’hôpital El-Quds – où j’ai vu mon visage renaître,Dans les yeux de mes filles lorsqu’elles sont venues au monde.Leur école se trouvait non loin,De la boulangerie qui réveillait le quartier tous les matins à l’aube,Du magasin de falafels où les salutations précédaient les prix,Et du vendeur de katayef qui accrochait des lampes à sa porte pour le ramadan.L’homme qui vendait des awama en hiver.Et le café Mazaj,Ce breuvage sacré épicé à la cardamome,Versé directement dans le cœur et non dans la tasse.Roi de tous les cafés.Quand les jours devenaient lourds de tristesse,Je m’échappais dans la nuit de Tal El-HawaSeule, mais jamais solitaire.Les rues m’accueillaient.Leur silence était une chanson familière.Leur obscurité, une amie.L’air frais caressait mes joues,Et soulageait mon cœur.Sur le chemin du retour,Je m’arrêtais à la boutique de falafels,Toujours bondée, toujours animée.Mais j’étais servie la première.Non par charité,Mais pour des raisons plus anciennes,Sacrées.Les enfants de cette terre ne vous font pas attendre,Quand vous êtes une femme.Je n’ai jamais considéré cela comme une atteinte à mon féminisme.Je voyais cela comme une ancre,Des racines,Un lien supplémentaire qui m’attachait,À cette terre que je n’ai jamais quittée,À cette maison dont je n’ai jamais douté.Et Gaza,Belle Gaza,Gaza chérie,Est brûlée, détruite,Mais jamais effacée.Gaza est perdue, mais ne périt pas.Gaza est détruite, mais ne meurt jamais.
Post-scriptum : j’ai écrit et envoyé ce texte mardi soir. Puis, avec la lâcheté qui caractérise les sionistes (car le mal est plus à l’aise sous le couvert de la nuit, et nous nous réveillons souvent avec la nouvelle de nouveaux Palestiniens tués), ils ont envoyé plus de dix drones au-dessus de notre flottille, et nous avons subi quelques attaques et le brouillage de nos communications. Ces sbires de Satan sont assez stupides pour ne pas comprendre qu’en tant que mission humanitaire pacifique, nous voyageons sous surveillance étroite, pour pouvoir prouver, une nouvelle fois, au monde entier, qui sont les auteurs de la violence. Ils peuvent brouiller nos signaux, mais nos signaux émettent des signaux et des images qui démasquent leurs tentatives d’intimidation. Une fois encore, je soupçonne qu’ils veulent nous retarder pour nous empêcher d’arriver à Gaza ou nous empêcher d’arriver avant qu’ils aient totalement décimé Gaza. Mais nous sommes du monde entier. Nous avons le monde avec nous. Et nous sommes et restons déterminés dans notre lutte pour que l’humanité prévale.
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