JOURNAL DE BORD DE LA FLOTTILLE GLOBAL SUMUD #1

Le dernier bateau pour Gaza. « L’incertitude peut anéantir l’espoir »

Zukiswa Wanner, écrivaine et activiste sud-africaine, publie dans Afrique XXI son journal de bord de la flottille Global Sumud en route pour Gaza. Son bateau, baptisé par elle Mendi Reincarné (son vrai nom ne doit pas être révélé avant la fin de la traversée), a pris la mer le dernier, mercredi 17 septembre, depuis Tunis.


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L'image montre un moment capturé au coucher du soleil sur un port. À l'arrière-plan, le ciel est teinté de nuances chaudes d'orange et de rose, tandis que le soleil se cache derrière les bâtiments. Au premier plan, deux personnes sont en train de manipuler un drapeau. L'une d'elles tient un drapeau avec des couleurs symboliques, représentant la Palestine, et l'autre semble l'accrocher ou le déployer. Les personnes sont habillées de manière décontractée, et on remarque des foulards avec des motifs spécifiques. Le port est animé, avec des bateaux amarrés et un léger reflet des lumières du soleil sur l'eau. L'atmosphère dégage une impression de solidarité et d'engagement.
La flottille Global Sumud au départ de Barcelone, le 31 août 2025.
© Andoni Pititako / Flickr

Mercredi 17 septembre

Les dernières 96 heures ont été mouvementées sans qu’on bouge pour autant. Nous partions. Puis nous ne partions plus et un seul membre de notre équipe partait. Puis il a dit qu’il ne partirait pas si toute l’équipe ne partait pas, alors « les autorités compétentes » (dans la mesure où l’on peut parler d’« autorités compétentes » dans un mouvement latéral1) ont reconsidéré la situation.

J’ai passé le dimanche à faire l’inventaire de la nourriture à bord du Mendi Reincarné (je reparlerai de cela plus loin) et à compléter les vivres. Je suis retournée à notre logement dans l’après-midi ; j’ai fait un somme et je me suis réveillée assez tard pour retrouver l’un des membres de notre groupe. J’ai laissé mon téléphone à l’hôtel, car je voulais discuter tranquillement sans être constamment distraite par mon portable. Cette heure passée loin de mon téléphone m’a fait manquer une occasion inattendue.

Quand je suis revenue vers mon maître esclavagiste (mon téléphone), j’ai découvert de nombreux appels en absence. Trois femmes sud-africaines avaient été demandées sur un bateau, et moi, élue en tête de liste par l’équipe, j’étais injoignable ! Les 2e et 3e membres de notre équipe, qui sont souvent ensemble, ont donc obtempéré. Une autre membre de l’équipe a aussi été appelée mais elle avait renoncé au voyage et se trouvait déjà à l’aéroport. Alors, ils ont invité une Irlandaise comme troisième membre. Il y a des passeports auxquels je cède volontiers ma place dans le cadre d’un mouvement de solidarité. L’Irlande en fait partie. Comme le Brésil et toutes les nationalités du groupe de La Haye2. Mais j’aurais été très mortifiée de laisser ma place à un autre passeport européen ou nord-américain, parce que franchement, quoi !

Un bateau sud-africain sur cale

Après cela, satisfaite de l’issue, je me suis préparée psychologiquement à rester à quai pour faire partie du soutien à terre, mais partir en mer restait mon premier choix.

Zukiswa Wanner
Zukiswa Wanner
© Zukiswa Wanner

Tôt le matin, après avoir appris qu’il y avait un bateau prévu pour embarquer trois Sud-Africains à Sidi Bou Saïd [en Tunisie, NDLR], nous sommes partis en compagnie d’un quatrième qui espérait trouver une place. Mais à notre arrivée, on nous a dit que le bateau était en fait à Gammarth. Nous l’avons trouvé, bien sûr, et avons immédiatement chargé nos bagages à bord. Nous ne voulions pas prendre le risque que quelqu’un nous souffle la place sous nos yeux. Nous avons ensuite marché jusqu’à l’embarcation sud-africaine qui était en réparation : le bateau est sur cale depuis la veille. Nous avons donné un coup de main, malgré l’avertissement d’un spécialiste des bateaux selon qui il était peu probable qu’il puisse prendre la mer, même le dernier jour, mercredi. Beaucoup semblaient mal à l’aise avec le capitaine et doutaient de sa volonté de partir, mais moi, je l’ai immédiatement apprécié. Coléreux, mais prompt à pardonner et à rire. Un vieux loup de mer à l’âme d’artiste. Je comprenais aussi pourquoi il suscitait des inquiétudes. Beaucoup de ses blagues étaient prises à la lettre, une situation que j’ai trop souvent vécue. Derrière les plaisanteries, il y avait, pourtant, un homme qui prenait très au sérieux ses responsabilités envers les êtres humains. Un homme qui ne transigeait pas sur les questions de sécurité, quoi que fassent « les autres bateaux ». Quelqu’un qui était impatient de partir a dit : « Nous y arriverons, si Allah le veut. » Il a répondu : « Allah vous demande d’utiliser votre cerveau. »

Lors du départ du « Mendi Réincarné », mercredi 17 septembre.
Lors du départ du «  Mendi Réincarné  », mercredi 17 septembre.
© Zukiswa Wanner

Le VIP de la délégation sud-africaine est venu sur le bateau... (Oui, oui, je sais, pas de VIP, puisque nous sommes un mouvement latéral)... et il a déjeuné avec nous. J’étais alors certaine que tous les problèmes seraient résolus. Puis, le VIP est reparti en début de soirée et nous sommes retournés à notre logement, alors que nous avions espéré dormir sur le Mendi Réincarné. Nous représentions un risque pour la sécurité, et les garde-côtes voulaient qu’on quitte les lieux. Le mardi s’est déroulé comme le lundi, avec encore plus de travail sur le bateau que j’appelais Mendi Réincarné depuis que j’y avais mis les pieds pour la première fois, espérant que, contrairement à son lointain ancêtre, il ne sombrerait jamais [Le navire sud-africain Mendi SS coula dans la nuit du 20 au 21 février 1917 dans la Manche, accidentellement heurté par un bâtiment états-unien. 618 soldats noirs périrent dans le naufrage, à côté de 9 officiers et sous-officiers blancs. La légende dit qu’ils dansèrent la danse de la mort avant de sombrer, NDLR].

Tenir tête à l’empire

Pour mémoire, chez nous, la pièce Dancing the Death Drill [qui raconte en partie la tragédie du Mendi SS, NDLR], de Fred Khumalo, est actuellement à l’affiche du Joburg Theatre.

À bord de ce navire se trouvaient nos ancêtres sud-africains, méprisés alors qu’ils servaient l’empire. Le Mendi Réincarné est l’un des bateaux de la flottille qui espère pouvoir apporter une aide humanitaire aux victimes de l’empire et, en substance, condamner l’empire pour les mensonges proférés et le financement du génocide et de la famine.

Un peu plus optimiste et après avoir été informée par un soi-disant expert qu’il n’y avait absolument aucun espoir de départ sur le bateau initial, j’ai transféré mes affaires sur le Mendi Réincarné. Il ne restait plus que l’essai en mer. Tout semblait prêt. Lorsque nous sommes partis mardi soir, nous étions pleins d’espoir, mais nous nous sommes dit aussi que si rien ne se passait avant midi, nous rentrerions chez nous. À 11 heures, nous avons reçu un appel nous demandant où nous étions. Les essais en mer avaient été concluants. Il y avait de la place pour deux d’entre nous sur le Mendi Réincarné, comme on nous l’avait annoncé deux jours plus tôt, et nous étions prêts à embarquer. L’un des nôtres était rentré chez lui le jour même et un autre nous accompagnait pour s’assurer que nous partions pour de bon.

À midi, nous étions toujours là.

Messages de Gaza

Nous avons levé l’ancre au crépuscule, avec l’intention de rattraper le reste de la flottille dans les 72 heures suivantes.

À bord, j’ai enfin pu répondre à un message direct envoyé par quelqu’un de Gaza. Après l’annonce de ma participation à la flottille, cette personne m’avait écrit. Nous avions discuté. De nos espoirs communs pour la flottille. De son « sumud » (« résilience », « persévérance ») et de celui de ses compatriotes gazaouis. De l’empire. De l’échec des dirigeants mondiaux, de leur asservissement au capital face à la pression exercée par des civils ordinaires, des dizaines de millions de personnes à travers le monde, pour qu’ils se conduisent mieux envers les peuples de Gaza, du Soudan, du Congo, d’Haïti et du reste du monde. Pour que l’humanité l’emporte sur le profit.

Ne sachant pas si j’allais prendre la mer, j’avais cessé de répondre parce que je ne voulais pas mentir. Mais j’étais également consciente que l’incertitude peut anéantir l’espoir. Je me suis donc abstenue. Maintenant que j’étais à bord, je pouvais enfin répondre à ce Gazaoui appelé Souleimane qui me tenait au courant de la situation à Gaza. Elle était et elle reste terrible.

L’urgence d’un couloir humanitaire pour acheminer l’aide est plus impérieuse que jamais, mais même dans les moments les plus sombres, l’espoir demeure. Que le siège sera levé. Qu’une paix durable pour la Palestine sera obtenue et que la justice tant attendue sera rendue dans un avenir pas trop lointain. Abandonner Gaza et toute la Palestine n’est pas une option : l’échec sonnerait le glas de l’humanité.

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2Le Groupe de La Haye est un bloc mondial d’États engagés dans des «  mesures juridiques et diplomatiques coordonnées  » pour défendre le droit international et la solidarité avec le peuple palestinien. Visiter leur site.