La lettre hebdomadaire #161

Trump

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© Tasnim

ÉDITO

TRUMP ET L’OMS : L’AFRIQUE POURRAIT ÊTRERIEUSEMENTNALISÉE

Par Stéphanie Tchiombiano (Paris 1 Panthéon Sorbonne, Institut des mondes africains), spécialiste de la santé mondiale.

Quelques heures à peine après avoir prêté serment, le président états-unien, Donald Trump, a signé une série de décrets dont la portée échappe encore à l’entendement. Ces décrets portent notamment sur la santé et sur le changement climatique, que Donald Trump qualifie de « canular ». Trois de ces décisions pourraient avoir un impact sanitaire particulièrement important pour le continent africain et pour le monde.

Le président états-unien a d’abord annoncé le retrait de son pays de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’accusant de mauvaise gestion des crises sanitaires mondiales et de dépendance à l’égard de certains États, comme la Chine.

Cette première décision relance un processus qu’il avait déjà initié en juillet 2020, en pleine crise Covid, et qui avait été stoppé par Joe Biden dès son arrivée au pouvoir, en janvier 2021. Considérant que les États-Unis ne devaient plus être la « vache à lait » du multilatéralisme, Donald Trump s’est fendu d’un commentaire laconique : « L’OMS nous a arnaqués ; tout le monde arnaque les États-Unis. Cela n’arrivera plus. » Washington assurant environ 20 % du financement de l’OMS, via sa cotisation indexée sur le produit intérieur brut national et par des cotisations volontaires, cette décision remet en question le fonctionnement et le mandat de l’organisation onusienne, véritable pilier de la gouvernance mondiale de la santé.

Si cette annonce secoue l’ensemble de l’architecture institutionnelle de la santé mondiale, elle peut avoir des répercussions directes sur le continent africain par son impact sur certains dispositifs d’accompagnement des pays à revenus limités, comme le programme de préqualification de produits de santé (visant à s’assurer de la qualité et de l’efficacité des médicaments ou des vaccins), l’appui aux politiques publiques par la définition de normes et de standards internationaux ou encore des dispositifs spécifiques de veille épidémiologique et d’alerte précoce.

Donald Trump a ensuite annoncé l’arrêt de la participation états-unienne aux négociations sur la sécurité sanitaire internationale, affirmant que les dispositions du traité international de prévention, de préparation et de riposte face aux pandémies n’auraient pas de force contraignante pour son pays. Cette décision, s’adressant clairement à son électorat américain « anti-système », qu’il conviendrait de protéger « en priorité » par rapport au reste du monde, est totalement illogique. En fragilisant les instruments internationaux de prévention et de gestion des crises sanitaires, les États-uniens se coupent d’un accès aux données essentielles sur les épidémies de demain et d’un siège précieux à la table des négociations.

Donald Trump a enfin annoncé la suspension des financements de l’aide publique au développement pour une période de quatre-vingt-dix jours, afin d’« évaluer son alignement avec les intérêts américains », comme l’expliquait le secrétaire d’État Marc Rubio quelques jours plus tôt : « Chaque dollar que nous dépensons, chaque programme que nous finançons et chaque politique que nous poursuivons doit être justifié par la réponse à trois questions simples : cela rend-il l’Amérique plus sûre, l’Amérique plus forte et l’Amérique plus prospère ? »

Cette suspension est particulièrement importante dans le secteur de la santé, les États-Unis représentant, à eux seuls, plus du tiers de la totalité de l’aide en santé mondiale. Elle intervient dans un contexte global de recul. Si de nombreux pays occidentaux, sous la pression des partis d’extrême droite, n’ont pas attendu les États-Unis et ont déjà acté une diminution de leur aide (Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, Finlande, Suède), la décision de Donald Trump est particulièrement préoccupante du fait des volumes financiers qu’elle représente. Or le continent africain en est un bénéficiaire important, à travers le financement de projets de santé très larges, notamment dans le domaine de la lutte contre les maladies infectieuses, de la santé mère-enfant, ou encore de la santé sexuelle et reproductive.

On peut légitimement craindre une baisse du financement par les États-Unis des principales initiatives en santé mondiale dans les mois ou les années qui viennent. Les États-Unis sont en effet, et de loin, le premier bailleur du Fonds mondial de lutte contre le sida et la tuberculose ou encore de Gavi, l’alliance pour les vaccins. Les interventions de ces deux organisations sont en large partie consacrées au continent africain. Quatre pays (Nigeria, Niger, RD Congo et Tanzanie) concentrent aujourd’hui la moitié des cas de paludisme dans le monde, et l’Afrique représente plus des deux tiers de l’épidémie mondiale de sida. Le « President’s Emergency Plan for AIDS Relief » (Pepfar), programme de lutte contre le sida, joue un rôle central dans la riposte à l’épidémie et l’accès aux antirétroviraux. Ce sont donc plusieurs millions d’hommes et de femmes africaines séropositives sous traitement qui sont mis en danger aujourd’hui.

Le retour de Donald Trump annonce d’autres menaces importantes, comme le rejet de la science et la montée en puissance de ce que l’OMS appelle l’« infodémie » (épidémie d’informations fausses sur la santé), avec la nomination d’un militant antivaccin notoire au poste de secrétaire d’État à la santé et aux services sociaux (Robert F. Kennedy). L’administration et le Congrès américains ont réussi à limiter l’impact des décisions prises lors du premier mandat de Donald Trump, mais les rapports de force ne sont plus les mêmes. Les deux chambres du Congrès sont à majorité républicaine et, surtout, le rapport au temps a changé : Donald Trump a quatre ans devant lui pour aller au bout de ses projets.
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À ÉCOUTER

EN AFRIQUE AUSTRALE, DESSIRS CONTRARIÉS

Où va l’Afrique australe ? À travers quatre pays, les Comores, le Botswana, le Mozambique et l’Afrique du Sud, l’émission Culture Monde de Radio France dresse une radioscopie des changements en cours. L’alternance au Botswana est à ce titre remarquable. Le nouveau président, Duma Boko, élu en novembre 2024, a mis fin à près de soixante ans d’hégémonie du Botswana Democratic Party (BDP)… Et la défaite a été accueillie avec classe : « Nous sommes tout à fait heureux de nous retirer pour devenir une opposition loyale qui demande des comptes au gouvernement », a déclaré le président sortant Mokgweetsi Masisi.

Une situation à l’opposé de celle qui existe dans nombre d’autres pays d’Afrique, ou la défaite des partis historiques est, parfois, tout simplement inenvisageable. C’est le cas au Mozambique, comme le rappelait dans Afrique XXI l’historien Michel Cahen. Cette position intransigeante a conduit le pays au bord de la guerre civile.

Aux Comores, le président Azali Assoumani, élu en 2016, réélu en 2019 et en 2024, semble quand à lui décidé à rester le plus longtemps possible au pouvoir. La présidence tournante entre les principales îles de l’archipel a été supprimée par un référendum en 2018. Et Assoumani peut d’ores et déjà rester au pouvoir jusqu’en 2029… Alors même que sa réélection il y a un an avait été contestée par l’opposition, qui avait dénoncé une « mascarade électorale ». Une révision de la Constitution est également en cours.

Enfin, en Afrique du Sud, les scandales qui ont émaillé le parti de Nelson Mandela, l’African National Congress (ANC), ont mis un terme à une domination qui semblait inébranlable : pour la première fois depuis presque trente ans, l’ANC a dû consentir à faire une alliance après sa chute vertigineuse à la dernière élection présidentielle, en mai 2024. Historique.

Dans ce tableau, certes partiel, le Botswana apparaît comme une lumière d’espoir rare dans une région où, pourtant, les peuples semblent aspirer au changement.

À écouter : France Culture, « Afrique australe : un désir de changement », une série en quatre épisodes, disponible depuis le 13 janvier.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

Otage, témoin, journaliste : Olivier Dubois raconte Al-Qaïda au Maghreb islamique
Entretien Enlevé le 8 avril 2021 à Gao, dans le nord du Mali, le journaliste français Olivier Dubois a été libéré le 20 mars 2023 à Niamey, au Niger. À la veille de la sortie d’un livre témoignage, il partage avec Afrique XXI sa connaissance acquise dans l’épreuve du Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin, la filiale sahélienne d’Al-Qaïda qui l’a retenu pendant presque deux ans.
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In English

In DR Congo, a Western vision perpetuates violence
Persistence of colonial dynamics, plundering of resources, corruption, conflicts... Through their discourses, progressive as well as reactionary thought contribute to the depoliticization of countries such as the Democratic Republic of the Congo. “Such narratives tend to reduce Africa to a simple recipient body of foreign policies,” say researchers Christoph Vogel and Aymar Nyenyezi Bisoka.
Par Christoph Vogel and Aymar Nyenyezi Bisoka

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