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Londres-Kigali, un pacte inique (1/2)

Un accord sur le dos des demandeurs d’asile

Parti pris · L’accord passé entre le Rwanda et le Royaume-Uni et rendu public en avril 2022, qui consiste à transférer les demandeurs d’asile arrivés sur le sol britannique et à externaliser le traitement de leur dossier, contrevient au droit international et scandalise de nombreuses organisations. Il brise en outre l’image de panafricaniste que Paul Kagame s’est façonnée ces dernières années.

L'image représente une scène dans un hall d'hôtel ou de conférence, où plusieurs personnes sont rassemblées. Au centre, deux hommes se serrent la main : l'un est de grande taille, portant un costume sombre et des lunettes, tandis que l'autre, avec des cheveux blonds, est habillé d'un costume clair. Ils affichent tous deux des sourires amicaux. En arrière-plan, on peut voir plusieurs autres personnes en discussion, ainsi que des détails du décor intérieur, comme des murs aux tons chauds et des éléments de lumière. L'ambiance semble professionnelle et conviviale.
Paul Kagame, le président du Rwanda, et Boris Johnson, le Premier ministre britannique, aux côtés de Patricia Scotland, la secrétaire générale du Commonwealth, en septembre 2019, à New York.
© Commonwealth Secretariat

À la mi-avril 2022, Kigali et Londres ont dévoilé un projet pilote dans le cadre duquel la Grande-Bretagne expulsera vers le Rwanda les demandeurs d’asile arrivés « illégalement » sur son territoire. Financé par Londres à hauteur de la somme astronomique de 120 millions de livres sterling (140 millions d’euros), ce dispositif concernera toute personne arrivée sur le sol britannique depuis le 1er janvier 2022. Bien que les détails de cet accord restent vagues, il est probable qu’il visera principalement les jeunes réfugiés de sexe masculin.

Chaque migrant envoyé au Rwanda devrait coûter aux contribuables britanniques entre 20 000 et 30 000 livres sterling (entre 23 000 et 34 000 euros). Cette somme couvrira l’hébergement avant le départ, une place dans un avion affrété et les trois premiers mois d’hébergement au Rwanda. C’est dans ce pays d’Afrique de l’Est que les demandes d’asile seront traitées. Les déboutés seront expulsés vers d’autres pays. Ce plan est subordonné à l’adoption du projet de loi sur la nationalité et les frontières actuellement examiné par le Parlement britannique. La Grande-Bretagne prévoyait un premier départ en mai 2022, une date qui ne sera probablement pas respectée car les groupes de défense des droits humains risquent fort de contester cet accord devant les tribunaux et, par conséquent, de retarder sa mise en œuvre.

Le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, et la ministre britannique de l’Intérieur, Priti Patel, parlent de cette initiative comme d’un remède à ce qu’ils considèrent être un dysfonctionnement du système d’asile : « [Le] système d’asile mondial est cassé. Partout dans le monde, il s’effondre sous la pression de véritables crises humanitaires, et parce que les trafiquants d’êtres humains exploitent le système actuel à leur propre avantage. Cela ne peut plus durer. Nous avons besoin de solutions innovantes pour mettre un terme à ce commerce mortel. » Dans un éditorial signé conjointement et publié dans le journal britannique Times, ils présentent cet accord comme une mesure humanitaire qui perturberait le modèle économique des bandes criminelles organisées et dissuaderait les migrants de mettre leur vie en danger.

À Kigali, on évoque « un acte de générosité »

Au Rwanda, le journal pro-Kagame The New Times of Rwanda a mis en avant l’expérience du pays en matière d’accueil des réfugiés : « Le Rwanda abrite près de 130 000 réfugiés venus de toute la région. » Le New Times affirme que « même ceux qui sont arrivés au Rwanda en tant que réfugiés fuyant la violence ont depuis été intégrés dans la communauté et bénéficient d’un accès à l’éducation, aux soins de santé et aux services financiers », et ajoute que « cette politique bienveillante envers les réfugiés est en partie liée à l’histoire du pays ».

Il conclut en notant que « la décision de Kigali de tendre la main aux migrants et aux demandeurs d’asile au Royaume-Uni qui ne sont pas en mesure de s’y installer est tout à fait conforme à cette politique de longue date à l’égard des migrants et à l’obligation morale de fournir une protection à toute personne ayant besoin de sécurité. Il est donc choquant que cet acte de générosité ait fait l’objet d’attaques sévères de la part de certaines personnes, y compris dans certains médias. »

De fait, les réactions au Royaume-Uni ont été majoritairement négatives, et le spectre des critiques va de l’Église anglicane à l’ONG de défense des droits humains Amnesty International. Un large éventail de 150 organisations, parmi lesquelles Liberty et le Refugee Council, ont envoyé une lettre ouverte au Premier ministre, Boris Johnson, et à sa ministre de l’Intérieur (qui est chargée de l’immigration). Même certains députés du Parti conservateur de Boris Johnson ont condamné l’accord. Des dizaines d’employés du Home Office [NDLR : le ministère de l’Intérieur] ont critiqué cette politique et menacent de faire grève.

De nombreux précédents

Les accords de ce type ne sont pas nouveaux. La Grande-Bretagne avait déjà tenté de conclure un pacte similaire avec le Ghana et le Kenya, mais les deux pays l’avaient finalement rejeté, craignant une réaction négative de leurs citoyens. De son côté, le Rwanda a déjà conclu des accords du même genre avec Israël, qui a délocalisé plusieurs milliers de demandeurs d’asile, dont beaucoup d’Érythréens et de Soudanais, au Rwanda et en Ouganda entre 2014 et 2017. Un tollé public a contraint Tel-Aviv à abandonner ce projet quand il a été démontré que la plupart de ces demandeurs d’asile se sont retrouvés par la suite entre les mains de passeurs et ont été soumis à l’esclavage lors de leur tentative d’atteindre l’Europe. Dans le cadre d’un accord financé par l’Union européenne (UE), le Rwanda a également accueilli des personnes évacuées de Libye. Le Danemark a d’ailleurs conclu un accord similaire avec le Rwanda, mais il n’a pas encore été mis en œuvre.

En 2016, l’Australie a signé un accord comparable avec Nauru, un minuscule État insulaire situé au nord-est de l’Australie, dans l’océan Pacifique. En mai 2016, l’Australie détenait 1 193 personnes sur Nauru, pour un coût de 45 347 dollars (43 000 euros) par mois et par personne, soit environ 1 460 dollars (1 380 euros) par jour ou 534 000 dollars (506 000 euros) par an.

La même année, l’UE signait un accord avec la Turquie en vertu duquel cette dernière acceptait de reprendre les « migrants en situation irrégulière », principalement originaires de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak, en échange d’une réduction des restrictions en matière de visas pour les citoyens turcs, d’une aide de 6 milliards d’euros, d’une mise à jour de l’union douanière entre l’UE et la Turquie et d’une redynamisation des discussions (bloquées depuis plusieurs années) concernant l’adhésion d’Ankara à l’Union européenne.

Un bilan déplorable en matière de droits humains

Si ces échecs n’ont pas dissuadé la Grande-Bretagne de mettre en place un tel dispositif, le bilan du Rwanda en matière de droits humains aurait dû le faire. Même les partisans de Kagame concèdent que son bilan en la matière est déplorable. Lors de la 37e session de l’Examen périodique universel (un examen régulier et formel du bilan des 193 États membres des Nations unies en matière de droits humains), la Grande-Bretagne a recommandé au Rwanda de « mener des enquêtes transparentes, crédibles et indépendantes sur les allégations d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées et de torture, et de traduire les auteurs en justice ». Un Rwandais réfugié à Londres a déclaré au Guardian que « le Rwanda [était] un bon pays pour l’image, mais pas pour la liberté d’expression. Ceux qui s’opposent à Kagame finissent en prison. Le gouvernement rwandais utilise la torture et la violence contre ses opposants. »

L’accord entre le Rwanda et la Grande-Bretagne contrevient également au droit international. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés précise que le principe de non-refoulement « interdit aux États de transférer ou de soustraire des personnes à leur juridiction ou à leur contrôle effectif lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire que ces personnes risquent de subir des atteintes irréparables en cas de retour, notamment des persécutions, des tortures, des mauvais traitements ou d’autres violations graves des droits humains ». Le HCR note par ailleurs que la Grande-Bretagne a le devoir, en vertu du droit international, de veiller à ce que les demandeurs d’asile soient protégés.

L’organisme onusien est fermement opposé aux arrangements qui visent à transférer les réfugiés et les demandeurs d’asile vers des pays tiers en l’absence de garanties et de normes suffisantes. De tels arrangements ne font que déplacer les responsabilités en matière d’asile, éludent les obligations internationales et sont contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention relative au statut des réfugiés. Les personnes qui fuient la guerre, les conflits et les persécutions méritent compassion et empathie. Elles ne devraient pas être vendues comme des marchandises et transférées à l’étranger pour que leur cas soit « traité ».

Pas la bonne couleur de peau

Le Rwanda est l’État le plus densément peuplé d’Afrique, avec plus de 500 habitants au kilomètre carré1. Il a déjà sa part de réfugiés en provenance des pays voisins. Vincent Biruta a déclaré au Financial Times en avril dernier que « ce programme [NDLR : l’accord avec la Grande-Bretagne] sera consacré aux demandeurs d’asile qui se trouvent déjà au Royaume-Uni. Nous préférons ne pas recevoir de personnes venant de pays voisins comme la RDC, le Burundi, l’Ouganda ou la Tanzanie. »

Bien qu’il ait obtenu de bons résultats économiques comparativement à de nombreux autres États africains, le Rwanda reste un pays pauvre qui doit s’attaquer en priorité à ses problèmes économiques internes plutôt que de permettre à la Grande-Bretagne de se débarrasser de ses réfugiés. Il est peu probable que les avantages économiques de cet accord aident le Rwandais moyen à sortir de la pauvreté. Si le Rwanda a besoin de plus de réfugiés, il ne doit pas chercher plus loin que chez ses voisins. Beaucoup de ceux qui se retrouveront au Rwanda seront probablement des personnes qui auraient eu le droit de rester en Grande-Bretagne - mais les suprémacistes blancs du Royaume-Uni ne veulent pas d’eux parce qu’ils n’ont pas la bonne couleur de peau.

Avec cet accord, Boris Johnson et Priti Patel se plient aux exigences des racistes dans le seul but d’obtenir plus de voix aux élections. Si cet accord avait été en vigueur en 1972, lorsque Idi Amin Dada a déporté les Ougandais d’origine asiatique au Royaume-Uni, la famille de Priti Patel aurait probablement été expédiée au Rwanda. Pour sa part, Paul Kagame cherche à gagner les bonnes grâces et l’argent des nations occidentales. Cela sape l’image du panafricaniste authentique et intrépide, défenseur des moins fortunés, qu’il entend donner de lui depuis plusieurs années.

1selon les données de la Banque mondiale.