
ÉDITO
KENYA-ALLEMAGNE : ACCORD CYNIQUE ET IMPUISSANCE POLITIQUE
Le « partenariat de migration » signé le 13 septembre à Berlin entre l’Allemagne et le Kenya est cynique à plus d’un titre. Olaf Sholz, le chancelier allemand, et William Ruto, le président kényan, ont signé un pacte d’une extrême violence.
Que prévoit l’accord ? Au même titre que ceux déjà signés entre l’Allemagne et d’autres pays (Inde, Géorgie, Ouzbékistan, Maroc), il propose de permettre la venue de jeunes Kényan
es ayant des compétences dans des secteurs où les entreprises allemandes ont du mal à trouver de la main d’œuvre et, en échange, de faciliter l’expulsion de Kényan es qui se trouvent sur le sol allemand de manière irrégulière et dont les compétences ne répondent pas aux besoins du marché du travail.La déportation d’exiléconclue entre Londres et Kigali en avril 2022 (qui prévoyait le transfert au Rwanda de demandeurs d’asile arrivés sur le sol britannique), et qui a finalement été annulée par le Parti travailliste après sa victoire aux élections législatives de juillet dernier. Cet accord était contesté par de nombreux juristes. Celui conclu entre Berlin et Nairobi l’est aussi : il ne serait pas en « conformité avec les règles de l’Union européenne », indique dans le quotidien allemand Bild le professeur Kay Hailbronner, directeur du Centre de droit international et européen sur l’immigration et l’asile.
es se trouvant en Allemagne rappelle fortement l’entente qui avait étéOlaf Sholz espère peut-être récolter un bénéfice politique alors que l’immigration est devenue un thème majeur des campagnes électorales allemandes : l’AFD, parti d’extrême droite, a réalisé le plus gros score de son histoire aux élections européennes du 9 juin, avec 15,9 % et 15 membres entrés au parlement, devant le SPD du chancelier.
En cherchant à donner des gages à cet électorat, Sholz participe à normaliser les thèses racistes de l’AFD, ce qui aura pour effet de le renforcer – comme en France, où l’appropriation par la droite française, et particulièrement par le président Emmanuel Macron, des sujets de l’extrême droite n’a fait que renforcer le parti de Marine Le Pen. La presse allemande rappelle par ailleurs que le nombre d’immigré es kényan es en situation irrégulière est dérisoire à peine plus de 800 selon Bild.
Avec cet accord, Olaf Sholz va en outre organiser – et donc favoriser – la fuite des cerveaux d’un pays qui en aurait tant besoin, et institutionnaliser un tri inhumain, celui du « bon grain de l’ivraie », comme on trierait du bétail sur des critères de rendement. De son côté, William Ruto, qui affronte depuis plusieurs semaines des manifestations de jeunes contre la corruption des élites et la hausse du coût de la vie, propose une seule perspective aux citoyen es diplômé es de son pays : se déraciner pour espérer trouver un emploi. Un terrible aveu d’impuissance.
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À LIRE
LE NIGERIA À LA LOUPE
Cet utile ouvrage de synthèse offre une première approche du Nigeria pour les lecteurs non familiers du pays le plus peuplé d’Afrique. Il en aborde successivement toutes les facettes : son peuplement, son histoire, ses conflits intérieurs (banditisme, séparatismes, Boko Haram), son économie, ses religions, son système politique et enfin les relations internationales. « Le Nigeria fait partie des puissances émergentes du XXIe siècle », note l’auteur. En même temps, il « compte le plus grand nombre de personnes dans l’extrême pauvreté, quelque 87 millions d’habitants, davantage qu’en Inde »…
Le pétrole constitue depuis l’indépendance un « gâteau national » dont on se dispute le partage alors que la Nigerian National Petroleum Corporation (NNPC) sert « de “vache à lait” aux divers gouvernements ». Cette manne est notamment utilisée pour subventionner le carburant de la population et atténuer la misère. Mais la baisse tendancielle de la production de pétrole, donc des recettes d’exportation, couplée à une très faible diversification de l’économie, a fini par mettre les finances publiques dans le rouge. Un sujet explosif : quand le président Bola Tinubu a essayé de réduire ces subventions, il y a quelques semaines, il a fait sortir des milliers de Nigérians dans la rue.
Une implosion de ce pays traversé par de nombreux mouvements sécessionnistesest-elle possible ? L’auteur n’y croit pas. Selon lui, le combat des séparatistes « relève d’abord de la gesticulation politique pour faire pression sur Abuja ». En outre, la mémoire traumatique de la guerre du Biafra (1967-1970) – qui a fait plusieurs centaines de milliers de morts – dissuade les nouvelles générations de se lancer dans pareille aventure. De plus, la partition des États fédérés (ils étaient trois à l’indépendance, ils sont trente-six aujourd’hui) « réduit d’autant la puissance des contrepouvoirs régionaux ». Enfin, les élites, et plus spécifiquement les milieux d’affaires, « ne souhaitent pas […] la disparition de cette formidable union douanière ». L’auteur veut croire que « les intérêts croisés de la classe marchande et politique garantissent […] l’unité du pays ».
Tangi Bihan
À lire : Marc-Antoine Pérouse de Montclos, Géopolitique du Nigeria, PUF, Paris, 2024, 192 pages, 15 euros.
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