L’ÉDITO
LONDRES ENTERRE SON PROJET DE DÉPORTATION À KIGALI… À QUI LE TOUR ?
Tout ça pour ça. Deux ans et près de 300 millions d’euros plus tard, le plan britannique consistant à déporter au Rwanda des demandeurs et demandeuses d’asile arrivé⸱es illégalement est en passe d’être abandonné par le Parti travailliste, vainqueur des élections législatives, le 4 juillet. Lors d’une conférence de presse, deux jours plus tard, le nouveau Premier ministre, Keir Starmer, a affirmé : « Ce projet était mort et enterré avant même de commencer. Il n’a jamais été dissuasif, je ne suis pas prêt à continuer avec des mesures gadget. »
Porté par les conservateurs pour lutter contre l’immigration illégale, et alors que la thématique a dominé les débats durant la campagne électorale (ouvrant au passage la porte à l’extrême droite, qui a obtenu cinq sièges...), « l’accord de migration et de développement économique » a fait long feu : depuis son vote, le 22 avril, aucun demandeur ou demandeuse d’asile n’a finalement pris l’avion.
Le texte négocié avec Kigali a connu un parcours ubuesque, faisant dire à beaucoup qu’il n’entrerait jamais en application tant il violait les conventions internationales des droits de l’homme, dont Londres est signataire. Le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, estimait en février que « les effets combinés de ce projet de loi, qui tente de soustraire l’action du gouvernement à l’examen juridique habituel, vont directement à l’encontre des principes fondamentaux des droits humains ». Retoqué par la Cour suprême britannique en novembre 2023, amendé par le chef de gouvernement Rishi Sunak, c’est au forceps que cet accord indigne a finalement été adopté.
Dans la foulée, dès la fin du même mois, Rishi Sunak, tout en assurance, a démarré les arrestations : 220 réfugié⸱es ont été interpellé⸱es à la va-vite alors que le chef de l’exécutif affirmait dans le même temps qu’aucun départ ne se ferait avant les législatives... Face à l’incertitude politique et à ces détentions arbitraires à durée indéterminée, la justice britannique a ordonné leur libération mi-juin. Pour certains d’entre eux, cette arrestation a eu des conséquences dramatiques sur leurs vies. The Guardian raconte comment un Syrien a « tout perdu », de son logement à ses réseaux d’entraide. Le journal cite également le cas d’un étudiant qui devait passer des examens et qui va devoir tout recommencer de zéro. Si certains ont pu retrouver leur logement, beaucoup ont été déplacé⸱es loin de leur lieu de résidence habituel.
À Kigali, quelques jours avant les élections présidentielle et législatives du 15 juillet, c’est la douche froide, même si les autorités relativisent, arguant que le problème est britannique, et non rwandais. « On est toujours prêt à examiner d’autres solutions qui pourraient sauver des vies humaines, et tant qu’il y a toujours des noyades et qu’il n’y a pas d’autres solutions, le gouvernement rwandais sera toujours ouvert à une autre façon de faire pour résoudre ce problème », a réagi le porte-parole adjoint du gouvernement, Alain Mukuralinda, sur RFI le 11 juillet.
Surtout, le Rwanda ne remboursera pas les 270 millions de livres sterling (320 millions d’euros) versés par la Grande-Bretagne, ce que n’impose d’ailleurs pas l’accord. Cette somme a servi à construire des logements, à rénover des hôtels dans lesquels les nouveaux arrivants devaient rester six mois, le temps que leur dossier soit traité. Que leur promettait-on ? Un salaire, un logement et la possibilité de s’installer durablement dans ce petit pays d’Afrique, à 6 000 kilomètres du lieu où ils comptaient faire leur vie. Après avoir traversé les déserts et les mers, avoir vu périr nombre de leurs compagnons de fortune, c’était (presque) un retour à la case départ. Ils et elles auraient d’ailleurs été libres de retenter leur chance… Mais depuis Kigali.
Alain Mukuralinda a néanmoins laissé la porte ouverte à d’autres pays qui souhaiteraient s’approprier le projet britannique. Dès le début des négociations avec Londres, en 2022, quelques pays d’Europe du Nord avaient pris contact avec Kigali, comme le Danemark, pour discuter d’éventuelles relocalisations. Si les discussions n’ont pas été suivies d’effets, le contexte européen, où les partis d’extrême droite gagnent en influence et où l’immigration est devenue un sujet omniprésent, pourrait changer la donne.
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À LIRE
LA PARTIE IMMERGÉE DE L’ICEBERG
Le 5 juillet, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, l’Organisation internationale pour les migrations et le Mixed Migration Centre ont publié un nouveau rapport consacré aux mouvements migratoires internes à l’Afrique de l’Ouest, à l’Afrique de l’Est et à l’Afrique du Nord. La mortalité et les violences consécutives à ces déplacements sont souvent négligées des études et des médias européens, qui ont tendance à se focaliser sur la route méditerranéenne.
Les résultats s’appuient sur 31 542 entretiens réalisés entre 2020 et 2023, sur place ou par téléphone : ces témoignages représentent une source inestimable alors que les données étaient jusque-là très incomplètes, voire inexistantes. Les chiffres montrent que ces déplacements ont augmenté ces dernières années, notamment à cause de l’instabilité politique en Afrique de l’Ouest, du conflit au Soudan et des effets du changement climatique. Cette progression s’est accompagnée d’une croissance des violations des droits humains.
Sur la base des entretiens conduits par le MMC, le nombre d’exilé⸱es ayant perdu la vie dans le désert du Sahara seraient deux fois plus nombreux que les victimes des traversées de la Méditerranée.
Les risques rencontrés par les déplacé⸱es sont par ailleurs multiples : 38 % témoignent de violence physique, 31 % font part de vols, 30 % d’emprisonnement arbitraire et de travail forcé, 21 % d’extorsion, 18 % d’enlèvement et 15 % de violences sexuelles. Les expulsions pratiquées par les pays comme l’Algérie et la Libye fragilisent d’autant plus les candidat⸱es à l’exil. Malgré les nombreux protocoles, déclarations et plans d’action, les témoignages récoltés mettent en évidence que les violences, les enlèvements et le trafic d’êtres humains sont particulièrement en hausse.
À lire : UNHCR, IOM, MMC, « On this journey, no-one cares if you live or die. Abuse, Protection and Justice along Routes between East and West Africa and Africa’s Mediterranean Coast », 5 juillet, 71 pages.
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DANS L’ACTU
EN GUINÉE, MAMADI DOUMBOUYA TOUJOURS À LA DÉRIVE
C’est une nouvelle arrestation qui commence à faire beaucoup de bruit en Guinée et en dehors : les défenseurs des droits humains Oumar Sylla, alias Foniké Menguè, et Mamadou Billo Bah n’ont pas donné signe de vie depuis leur enlèvement à leur domicile de Conakry dans la nuit du 9 au 10 juillet par des militaires encagoulés et armés. Foniké Menguè, coordinateur national du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), est une figure bien connue des Guinéens, tout comme Mamadou Billo Bah, en tant que coordinateur de Tournons la page-Guinée (TLP-Guinée) et responsable des antennes et de la mobilisation du FNDC.
Le régime de Mamadi Doumbouya se radicalise chaque jour un peu plus, réduisant à peau de chagrin la liberté d’expression et toute critique de sa junte arrivée au pouvoir à la suite d’un coup d’État en 2021.
Les réaction internationales sont nombreuses : dix-huit organisations, parmi lesquelles la Fédération internationale pour les droits humains et l’Organisation mondiale contre la torture, ont appelé le 10 juillet à leur libération immédiate. Même chose du côté de Mary Lawlor, rapporteuse spéciale sur les défenseurs des droits humains pour les Nations unies, qui s’est dite « très préoccupée ». « Ils n’auraient pas eu accès à leurs avocats », s’est-elle indignée, avant d’appeler à leur libération sans délai. Le 11 juillet, Amnesty International a rappelé que la mise en « détention secrète [est une] violation du droit international ».
De son côté, le barreau de Guinée a publié un communiqué expliquant se réserver « le droit de convoquer une Assemblée générale extraordinaire afin de définir les mesures à prendre s’ils ne sont pas libérés ou conduits devant le parquet compétent au plus tard le vendredi 12 juillet 2024 à 10 heures ». Il n’y avait toujours pas de nouvelle lorsque ces lignes étaient écrites.
Il y a deux ans presque jour pour jour, notre journaliste Tangi Bihan alertait sur la dérive de Mamadi Doumbouya : « Après dix mois de transition, le CNRD ne semble pas pressé d’organiser les élections et de rendre le pouvoir aux civils. Il cherche plutôt à asseoir son contrôle sur les institutions du pays », écrivait-il.
À (re)lire : Tangi Bihan, « En Guinée, Mamadi Doumbouya sur les traces de Moussa Dadis Camara ? », 8 juillet 2022.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE
En Éthiopie, le nettoyage ethnique au Tigray de l’Ouest
« Ils ont chacun tiré une balle pour vérifier si nous étions morts »
Enquête ⸱ Durant dix-huit mois, le chercheur Mehdi Labzaé a parcouru les camps de déplacés du Tigray de l’Ouest, dans le nord de l’Éthiopie. Il a recueilli des centaines de témoignages de survivant es de la guerre que se livrent les nationalistes amharas et les Forces de défense du Tigray.
Épisode 2 : « J’ai fini par donner ma fille sinon ils l’auraient prise de force »
Épisode 3 : « Ça ne se réglera pas sans une nouvelle guerre »
Kenya. « Il faudra du temps pour assainir la classe politique du pays »
Entretien ⸱ Depuis le 18 juin, des manifestations secouent tout le pays. La répression policière a fait au moins 39 morts. Si le projet de loi de finances, qui prévoit la hausse de taxes, est à l’origine des contestations, les Kényans réclament désormais le départ du président, William Ruto. Entretien avec Douglas Lucas Kivoi, docteur en éthique et philosophie africaine, politologue et analyste principal au Kenya Institute for Public Policy Research and Analysis.
Par Marta Perotti
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