
ÉDITO
À MADAGASCAR, UNE NOUVELLE INGÉRENCE DE LA FRANCE
Dimanche 12 octobre, lorsque Emmanuel Macron envoie un avion militaire français exfiltrer le président malgache, Andry Rajoelina, vers la Réunion puis vers « une autre destination » (probablement Dubaï), dans la plus pure tradition française, il n’y a plus de gouvernement à Paris. Certes, Jean-Noël Barrot, désormais abonné au portefeuille des Affaires étrangères, assure toujours les affaires courantes pour le gouvernement, renversé depuis le 6, mais à la Défense, en revanche, il n’y a plus personne. Bruno Le Maire, nommé le 5 octobre en remplacement du fidèle Sébastien Lecornu (qui, lui, vient d’intégrer Matignon), a démissionné : il est officiellement « déchargé à sa demande de l’expédition des affaires courantes ». Dès lors, l’intérim du ministère des Armées est assuré par un Lecornu occupé à bien d’autres choses : le gouvernement qu’il a nommé le 5 octobre a, en effet, chuté le lendemain avec sa propre démission...
Du 10 au 12 octobre dans la soirée, seul Sébastien Lecornu figure au gouvernement en tant que Premier ministre, renommé à ce poste par Emmanuel Macron. Une situation idéale pour le président français qui n’aime rien tant que décider tout seul, surtout dans son domaine réservé : la défense et les affaires étrangères, où il multiplieles initiatives souvent malheureuses. Dans la Constitution de la Ve République, il a besoin de la signature de Matignon, quand bien même ces opérations se décident le plus souvent entre le président et l’état-major.
Il aurait pu être instruit par le calamiteux épisode nigérien, il y a deux ans : une menace d’intervention militaire en plein été, tandis que les bureaux du Quai d’Orsay étaient quasi déserts, et les soldats français basés à Niamey assiégés par la foule. On se souvient de l’onde de choc provoquée par son bellicisme à l’égard d’une ancienne colonie française, qui, au-delà de la relation franco-nigérienne désormais fracassée, a provoqué la formation de l’Alliance des États du Sahel, l’éclatement de la Cedeao et la défiance profonde des trois alliés du Sahel central à l’égard de la France, des États-Unis et de l’Europe. Sans parler du dégagisme qu’on voit s’épanouir depuis lors sur le continent. Il aurait pu aussi se souvenir de l’exfiltration de Blaise Compaoré, ordonnée par François Hollande en 2014, qui provoqua une crise politique majeure au Burkina Faso.
Emmanuel Macron déteste qu’on vienne trop fouiller dans son pré carré. Il affectionne l’ombre et le secret. L’intervention de la France dans l’exfiltration de Rajoelina n’est toujours pas officielle. « Jupiter » n’entend pas s’en justifier quelles qu’en soient les conséquences. Les Français installés sur la Grande Île, exposés à la colère d’une partie de la population, n’auront qu’à se débrouiller.
Après avoir répondu ne « rien » confirmer sur l’intervention française, il a concédé deux ou trois mots de sa plus belle langue de bois aux journalistes qui l’interrogeaient au débotté sur le tarmac de l’aéroport Charm el-Cheikh : « Je pense qu’il est très important que l’ordre constitutionnel, la continuité institutionnelle soient préservés à Madagascar parce qu’il en va de la stabilité du pays et des intérêts de la population. » On a du mal à prendre au sérieux cette préoccupation quand on suit le désordre politique créé en France par le même Emmanuel Macron depuis la dissolution inopinée de l’Assemblée nationale en juin 2024. À moins que « la continuité institutionnelle » ne désigne ici, par un effet de miroir inconscient, la sienne propre à l’Élysée.
Et d’affirmer, dans le cadre de cette courte interview improvisée dans la nuit égyptienne, « son affection et son attention » à l’égard de cette jeunesse « qui s’est exprimée, qui est politisée, qui veut vivre mieux, et ça c’est une très bonne chose ». « Il ne faut simplement pas qu’elle soit récupérée par des factions militaires ou des ingérences étrangères. » Faut-il lui rappeler que Madagascar n’est pas la France ? Car l’ingérence étrangère caractérisée aux yeux des Malgaches, c’est la France qui vient justement de la commettre en sauvant un Rajoelina sur le point de tomber et en lui permettant, à travers une ridicule sortie sur les réseaux sociaux, de prétendre continuer à exercer le pouvoir. La Gen Z malgache n’a pas besoin du locataire de l’Élysée. Elle peut parfaitement s’exprimer seule et négocier, comme elle est en train de le faire, avec les nouvelles autorités de transition, coiffées par un colonel quinquagénaire sorti dans la rue marcher aux côtés des jeunes et dénoncer la répression brutale exercée par les forces de sécurité. Sur place, on évoque le chiffre de vingt-deux morts.
Pourquoi donc alors Emmanuel Macron est-il venu au secours de ce jeune président malgache contesté dans la rue mais doué pour les affaires et qui fut, un temps, le protégé de Nicolas Sarkozy ? On ne le saura jamais sans doute. Ni les Français et leurs représentants toujours disciplinés quand il s’agit du pré carré présidentiel. Ni les Malgaches.
Sur la base de rares fuites, les médias ont évoqué un deal pour la grâce de deux Français détenus. D’autres ont pensé que Rajoelina avait été exfiltré juste parce qu’il était français. Mais ce ne sont que des hypothèses. Les vrais motifs se situent peut-être ailleurs. Sortir du pétrin, tout simplement, un président « ami » de la France (ou plutôt de ses dirigeants), comme Blaise Compaoré en 2014, en se drapant dans les valeurs du droit international et des promesses de contribution à la paix.
Selon la dernière mise à jour de « La stratégie indopacifique de la France » publiée par le ministère des Affaires étrangères, cet espace était devenu « une priorité pour la France ». Emmanuel Macron avait esquissé ses projets à grands renforts de déplacements et de prises de parole après le recul de Paris sur le continent africain. Avec cette nouvelle ingérence, nul doute qu’il vient de perdre l’un de ses principaux points d’appui.
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