La lettre hebdomadaire #200

Jeunesse

L'image représente une scène colorée et vibrante dans un parc ou un jardin. Au premier plan, plusieurs enfants jouent joyeusement. Certains sont en train de courir, tandis qu'un enfant est assis dans un fauteuil roulant, profitant également du moment. Ils sont vêtus de t-shirts blancs. À l'arrière-plan, un grand arbre avec des feuilles luxuriantes offre de l'ombre, et un des enfants est suspendu à une corde accrochée à ses branches, se balançant. Le ciel se teinte de couleurs chaudes, allant du rose au jaune, suggérant un coucher de soleil. En dessous, des fleurs multicolores embellissent le sol, ajoutant une touche de gaieté à cette scène remplie de vie et de bonheur.
Joana Choumali, Brighter Days, série Albahian, 2024, techniques mixtes.
© Joana Choumali

ÉDITO

NI DIGUES, NI REPÈRES : LA JEUNESSE SEULE FACE À DESGIMES SANS LIMITE

Depuis le début du mois, des centaines de personnes (au moins 700, selon une dépêche AFP du 22 octobre) ont été arrêtées en Côte d’Ivoire et des dizaines d’entre elles ont été condamnées à de la prison ferme pour « trouble à l’ordre public » et « attroupement sur la voie publique ». Certaines, jugées le 21 octobre, risquent – sous réserve de l’issue de l’appel formé par leurs avocats – de croupir trois longues années dans les geôles insalubres et surpeuplées du pays. Leur tort ? Avoir manifesté leur colère après que leurs candidats, Laurent Gbagbo (président de 2000 à 2011) et l’homme d’affaires Tidjane Thiam, ont été interdits de participer à l’élection présidentielle du 25 octobre. Les Ivoiriens descendent dans la rue depuis plusieurs semaines à l’appel de leurs partis, le Parti des peuples africains (PPA-CI) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).

Les manifestants s’insurgent aussi contre le quatrième mandat convoité par le président sortant, Alassane Ouattara. Ce dernier, à 83 ans, n’en finit pas de tordre l’esprit de la Constitution, censée limiter le nombre de mandats présidentiels à deux (le Conseil constitutionnel ivoirien a jugé en septembre 2020 que le mandat qui s’achève était le premier sous la IIIe République). Cet « allié idéal de la France » et grand ami des présidents français se représente donc envers et contre tout.

Quatre autres candidats lui font face, dont l’homme d’affaires, héritier et ancien ministre de Ouattara Jean-Louis Billon, du Congrès démocratique (Code), et l’ex-épouse de Laurent Gbagbo, Simone Ehivet, du Mouvement des générations capables (MGC). Une partie des électeurs orphelins se tournera-t-elle vers eux ? Rien n’est moins sûr dans un pays verrouillé depuis bientôt quinze ans par un homme qui aura près de 90 ans à la fin de son mandat s’il est élu.

Ouattara aura alors presque l’âge de son homologue camerounais, Paul Biya, 92 ans, qui vient de concourir à un huitième mandat de sept ans le 12 octobre. Ce dernier aura près d’un siècle à son terme. Son opposant, Issa Tchiroma Bakary, 79 ans, a eu beau faire une campagne dynamique, réunir les foules et les votes, ou encore s’être déclaré vainqueur au nom de la « vérité des urnes », le Conseil constitutionnel s’apprête très certainement à publier d’ici quelques jours la victoire de son adversaire, déjà actée par la Commission nationale de recensement et sa fiche Wikipédia.

Ouattara comme Biya semblent indélogeables malgré leur âge. À moins que ce ne soit leur âge qui les rende indéboulonnables, comme calcifiés au pouvoir.

De l’autre côté de l’Afrique, dans l’océan Indien, Andry Rajoelina, « jeune » président malgache de 51 ans, a été balayé par une Gen Z avide de changement et finalement soutenue par l’armée. Il a été évacué par l’armée française, dans une nouvelle ingérence que nous dénoncions dans notre éditorial de la semaine dernière. Dans cet île-continent, l’instabilité est chronique, Rajoelina avait lui-même pris le pouvoir en 2009 par un putsch.

Les premières victimes de ces situations de longévité politique et de déstabilisation chronique sont les populations. À Madagascar, la jeunesse est descendue dans la rue pour exprimer son ras-le-bol face aux coupures d’eau et d’électricité, avant de revendiquer un changement politique devant une répression aveugle et sourde.

Alors que « la vie gêne » de plus en plus de Camerounais incapables de joindre les deux bouts, leur président grabataire vit une grande partie de l’année dans un hôtel de luxe à Genève. Une armada de porte-flingues en roue libre, tous aussi âgés les uns que les autres, se radicalisent pour se maintenir, tuant ou intimidant journalistes et militants.

En Côte d’Ivoire, où trois Ivoiriens sur quatre ont moins de 35 ans, « c’est pas facile », explique Joël, 23 ans, dans un reportage de TV5 Monde. Son ami lui explique qu’il vaut mieux ne pas parler politique, car c’est « tabou ». Les Ivoiriens, souvent privés d’emploi (même si le taux de chômage officiel est de moins de 4 %), d’une pleine liberté d’expression et interdits de manifester, se souviennent encore de la crise postélectorale de 2010-2011, qui avait fait 3 000 morts.

Tandis que la France soutient tous ces régimes, sans exception, la jeunesse se retrouve seule face à ces démons et à leurs canons, dans un silence assourdissant de la communauté internationale et dans un monde où les digues et les repères continuent de sauter les uns après les autres.
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À LIRE

DULO AUX MILLE COLLINES, EN TEXTE ET EN DESSIN

Publié par Histoires et Images, une maison d’édition franco-rwandaise (basée à Kigali mais créée et tenue par un couple de Français), Les Milles Collines à coups de pédale réunit l’auteur rwando-belge Joseph Ndwaniye et l’artiste peintre belge Paul De Gobert. Sorti en mars et exposé à l’occasion des Championnats du monde de cyclisme, qui se sont déroulés pour la première fois en Afrique (à Kigali, du 21 au 28 septembre), il raconte l’histoire du vélo au Rwanda à travers des dessins, des poèmes et des récits historiques.

Apparu d’abord sous la forme d’une planche de bois posée sur deux roues – certains spécimens d’époque sont aujourd’hui utilisés comme des trottinettes par les enfants –, le vélo est très utilisé dans les campagnes pour le transport de personnes et de marchandises. Pour Joseph Ndwaniye, il symbolise d’abord « la beauté et la simplicité de la vie rurale ».

Aujourd’hui, le vélo est toujours présent dans la vie quotidienne des familles, mais il est aussi devenu un sport, pratiqué dans des clubs à travers tout le pays. Le Tour du Rwanda est une épreuve annuelle suivie par près de 3 millions de Rwandaises. L’auteur y voit « la liberté, l’harmonie et une connexion profonde avec le paysage » : durant la semaine des compétitions, le monde entier a pu admirer la nature rwandaise et les vélos en fibre de carbone filant sur les pentes asphaltées de la capitale.

À lire : Joseph Ndwaniye et Paul De Gobert, Les Mille Collines à coups de pédale, Histoires et Images, 2025, Kigali.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

Comment Ouattara a patiemment tissé son réseau à Paris
Série 1/2 Ce 25 octobre, le président ivoirien se présente devant les électeurs pour la quatrième fois. Son accession au pouvoir et sa longévité auraient-elles été possibles sans le soutien de la France ? De ses débuts dans les institutions financières internationales à son élection contestée en 2010, le président ivoirien a patiemment construit un réseau d’influence sans égal avec l’ancien pays colonisateur.

L’allié idéal de Paris
Série 2/2 Depuis son accession au pouvoir grâce à la France, en 2011, le chef de l’État a ouvert en grand les portes de son pays à l’ancien colonisateur, notamment aux entreprises et aux réseaux politiques.
Par Fanny Pigeaud

Anicet Ekane : « Si le régime Biya persiste, ce sera une incitation à la révolte »
Entretien À la veille de l’annonce officielle des résultats de l’élection présidentielle camerounaise, Anicet Ekane, président du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), explique la stratégie d’union défendue par son parti afin de faire tomber, par les urnes, le président Paul Biya, au pouvoir depuis plus de quatre décennies.
Par Thomas Deltombe et Jean-Bruno Tagne

Éthiopie. Au Tigray, les déplacements se poursuivent
Témoignages Trois ans après la fin de la guerre, environ 1 million de déplacés n’ont pas pu rentrer chez eux. Pire, l’occupation de l’ouest de la région par les forces amharas provoque de nouveaux départs.
Par Nadia Lesdos
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IN ENGLISH

Cameroon : In Search of “the Truth of the Ballot Box”
Analysis Since the presidential election of October 12, Cameroon has been in turmoil. While opposition figure Issa Tchiroma Bakary has declared himself the winner, citizens are mobilising to monitor the vote count, facing a government willing to do anything to keep Paul Biya at the head of the country despite his 92 years.
By Marie-Emmanuelle Pommerolle

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