La lettre hebdomadaire #195

Rwanda, une histoire de vélo

L'image présente une composition vibrante et colorée, dominée par des teintes de rouge, vert et jaune. Au centre, un personnage détendu est assis sur un vélo, entouré d'un environnement tropical qui évoque des palmiers et d'autres formes naturelles stylisées. Les formes géométriques et les motifs abstraits se mêlent pour créer une impression de mouvement et d'énergie. Le fond est rempli de motifs colorés qui ajoutent de la profondeur à la scène, donnant une sensation de chaleur et de vie, comme un jour ensoleillé dans un lieu exotique.
© Angu Walters

ÉCHOS DE TERRAIN

KIGALI, CAPITALE MONDIALE DULO

« Ça va être un grand moment » ; « moi, je quitte la ville, même si je sais que c’est très important » ; « je ne comprends pas cette passion pour le vélo, mais c’est un bon deal pour le pays »... Ces quelques mots échangés avec plusieurs habitants de Kigali en disent long sur l’humeur qui s’est emparée de la ville. Du 21 au 28 septembre, le Rwanda entrera dans l’Histoire en devenant le premier pays africain à accueillir les Championnats du monde de cyclisme route. Durant une semaine, il va s’afficher sur les télévisions du monde entier. Le soutien des Kigalois semble quasi inconditionnel, malgré les quelques reproches formulés à l’égard des conséquences de l’événement dans leur vie quotidienne.

Jour après jour, la ville se pare des couleurs de l’Union cycliste internationale (UCI) (bleu, rouge, noir, jaune, vert). Elles se confondent avec celles du pays hôte (bleu, jaune, vert), et de l’un des principaux sponsors, TotalEnergies (rouge, bleu, vert, jaune), dont les relations avec le Rwanda sont au beau fixe depuis que des soldats rwandais sécurisent les précieuses réserves de gaz de la compagnie française dans le Cabo Delgado, au Mozambique, contre les attaques d’un groupe armé affilié à l’Organisation de l’État islamique.

Des barrières noir et blanc sécurisent les parcours des différentes épreuves et, à en croire les habitants et les premiers signes dans les rues, la ville sera entièrement bouclée. Les écoles seront même fermées pour laisser le champ libre à la compétition. Autour du Convention Center (le centre de conférences), les barnums blancs sont montés et proprement alignés sur plusieurs centaines de mètres : en cette « petite saison des pluies », des trombes d’eau s’invitent tous les jours. Les routes, impeccables, semblent avoir été refaites hier.

D’aucun estiment que le vélo est le sport le plus populaire du pays, « devant le foot ! », s’étonne même un journaliste rwandais. En réalité, le ballon rond reste « le sport roi » mais le vélo, lui, vient au public, quand l’autre se cantonne aux stades et aux écrans. Au Rwanda, le vélo est partout : des quantités de bicyclettes, parfois bariolées tels des sapins de noël, montent et descendent les nombreuses pentes du pays des Mille Collines. C’est même devenu un service de taxi à part entière, surtout dans les coins où les dénivelés sont plus modestes...

Le deux-roues fait son apparition à l’époque coloniale. Avant de devenir un sport, il est longtemps utilisé pour transporter des marchandises. C’est ce que raconte, par exemple, le coureur cycliste Nathan Byukusenge, qui a perdu une grande partie de sa famille pendant le génocide des Tutsis, en 1994 : « Comme la plupart des membres de l’équipe [nationale], il a commencé à faire du vélo pour transporter des marchandises, écrit en 2017 le journal nigérian Pulse. Il gagne environ 2 dollars (environ 1,70 euro) par jour en transportant du manioc et de la canne à sucre sur son porte-bagages. »

Ici, le vélo a donc toujours fait partie du paysage – y compris lorsqu’il n’était qu’une planche de bois posée sur deux roues. En 1976 est créée la fédération nationale de cyclisme. En 1988 est inauguré le Tour du Rwanda. Mais cette compétition, arrêtée en 1990 par la guerre et qui n’est alors pas reconnue par l’UCI (elle intègre l’UCI Africa Tour en 2009), n’attire que les coureurs régionaux (ils sont une quarantaine de participants au milieu des années 2000).

Deux états-uniens vont contribuer à changer la donne : le coureur Jonathan « Jack » Boyer, premier de son pays à participer à un Tour de France, est invité par un ami fabricant de VTT à venir l’aider à organiser une première compétition de vélo. Boyer est impressionné par les performances des Rwandais. Soutenu par la fédération locale, il s’investit dans l’équipe nationale et participe à dynamiser le Tour du Rwanda. Cette épreuve, gagnée plusieurs années de suite par la Rwanda Team à partir de la mi-2010, est désormais la deuxième du continent, derrière la Tropicale Amissa Bongo, au Gabon (en réalité, le Tour du Rwanda est devenue la première depuis l’arrêt de la Tropicale au lendemain du putsch de 2023). Quelque 3 millions de personnes suivraient aujourd’hui le Tour depuis le bord de la route.

Boyer et son acolyte sont allés plus loin à travers le « Project Rwanda » : la bicyclette est devenue une vitrine pour le pays, portée par le Rwanda Development Board (l’institution rwandaise chargée de la promotion économique du pays), qui s’en sert pour attirer des aficionados du monde entier et faire ainsi rentrer des devises. Le vélo fait partie intégrante de la stratégie touristique du Rwanda (avec notamment la marque « Visit Rwanda »), mais aussi d’un plan national de santé publique, comme l’explique l’UCI Rwanda :

« Le cyclisme et d’autres sports ont été intégrés dans le cadre d’un effort concerté du gouvernement visant à créer une société pacifique, notamment par des investissements dans la construction et la promotion de nouvelles infrastructures et manifestations sportives. Selon la politique nationale en matière de sport pour 2030, la vision du Rwanda est de permettre à sa population de mener une vie saine grâce à la pratique du sport dans tous les domaines et d’obtenir des résultats sportifs internationaux au niveau individuel, communautaire, organisationnel et commercial. »

Le vélo et le sport en général sont devenus une religion dans un pays où, quoi qu’il en soit, il ne serait pas bien vu de ne pas adhérer à cette politique. Alors, si jusqu’à ce vendredi 18 septembre le football était encore largement dominant sur les écrans, le journaliste cité plus haut n’a aucun doute : dès le 21 septembre, le ballon rond sera partout remplacé par les deux-roues.


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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

JOURNAL DE BORD DE LA FLOTTILLE GLOBAL SUMUD
Le dernier bateau pour Gaza. « L’incertitude peut anéantir l’espoir »
Chronique #1 Zukiswa Wanner, écrivaine et activiste sud-africaine, publie dans Afrique XXI son journal de bord de la flottille Global Sumud en route pour Gaza. Son bateau, baptisé par elle Mendi Reincarné (son vrai nom ne doit pas être révélé avant la fin de la traversée), a pris la mer le dernier, mercredi 17 septembre, depuis Tunis.

Brûler les camps. La résilience djihadiste dans le bassin du lac Tchad
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Par Vincent Foucher

En Guinée, Mamadi Doumbouya prépare sa légitimité dans les urnes
Analyse Le 21 septembre, un référendum constitutionnel doit permettre au général Mamadi Doumbouya, au pouvoir depuis un coup d’État en septembre 2021, de se présenter à l’élection présidentielle, contrairement à son engagement initial. Pendant la transition, qui touche bientôt à sa fin, il a dirigé le pays d’une main de fer, éliminant une à une toutes les voix discordantes.
Par Vincent Foucher

Guinée. Une très discrète coopération militaire avec la France
Enquête Avec l’arrivée au pouvoir de l’ancien légionnaire Mamadi Doumbouya, la France a intensifié sa coopération militaire avec la Guinée. Depuis 2022, cet appui, notamment aux unités d’élite engagées dans la répression contre les opposants, reste discret, voire secret.
Par Thomas Dietrich

Afrique du Sud. À Johannesburg, la vie brutaliste de Ponte City
Histoire Inauguré il y a cinquante ans, l’un des bâtiments les plus emblématiques de la capitale économique sud-africaine est en vente aux enchères. Marquant l’apogée du régime d’apartheid, la tour résidentielle, qui fut longtemps la plus élevée du continent, a traversé les hauts et les bas du quartier d’Hillbrow, de son déclin à sa lente revitalisation. Jusqu’à devenir un symbole de sa résilience mais aussi de son « africanisation ».
Par Jean-Christophe Servant
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IN ENGLISH

LOGBOOK OF THE GLOBAL SUMUD FLEET
On the way to Gaza. Last Boat Out of Port
Op-ed #1 The South-African writer and activist Zukiswa Wanner publishes in Afrique XXI her logbook from the Global Sumud Floatilla sailing to Gaza. Her boat, which name must not be revealed before the end of the mission, set sail from Tunis on Wednesday.

Guinea’s Junta Prepares Its Electoral Offensive
Analysis In Guinea, the junta has called a constitutional referendum for September 21. The new constitution would allow the country’s leader, General Mamadi Doumbouya, to stand in the yet to be announced presidential election, despite his initial pledge not to. After four years in power, Doumbouya has systematically silenced dissenting voices.
By Vincent Foucher

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