
Lors de son investiture comme président du Gabon, en mai, le général Brice Clotaire Oligui Nguema avait symboliquement déposé un flambeau entre les mains du général Mamadi Doumbouya, président de la transition en Guinée, comme pour lui montrer la voie à suivre. Un an et demi après avoir renversé le président Ali Bongo, Oligui Nguema venait d’être élu avec 94 % des voix au premier tour de la présidentielle, après un référendum constitutionnel remporté avec 91 % des voix. Une « transition » sans anicroches, en somme. En normalisant son régime à l’intérieur et à l’international, est-il devenu une source d’inspiration pour son homologue guinéen ? Car Mamadi Doumbouya semble vouloir emprunter le même chemin.
Le 1er avril, il a subitement décidé de mettre fin à une transition qui s’éternisait depuis le renversement du président Alpha Condé (2010-2021), le 5 septembre 2021. Il a annoncé ce jour-là qu’un référendum constitutionnel se tiendrait le 21 septembre. Selon toute vraisemblance, l’élection présidentielle devrait suivre, peut-être en décembre. Sans doute lassé de répéter à chaque discours de Nouvel An que « cette année sera une année électorale », il semble désormais pressé de tourner la page de la transition pour devenir président de plein droit.
S’il n’a pas encore annoncé sa volonté de briguer un mandat présidentiel, personne n’imagine le contraire : la disposition de la charte de la transition – le texte censé tenir lieu de Loi fondamentale – lui interdisant de se présenter n’a pas été reconduite dans le projet de Constitution, et ses plus proches collaborateurs ne cessent de répéter qu’il sera leur candidat. Doumbouya avait pourtant juré, juste après le coup d’État, qu’il respecterait les termes de la charte : « Ni moi, ni aucun membre du CNRD [Comité national du rassemblement pour le développement, le nom de la junte, NDLR] […] ne serons candidats aux élections à venir. »
Une campagne sans opposition
L’issue du référendum devrait être la même qu’au Gabon. Le CNRD n’a en effet rien laissé au hasard. Il a mis à profit ses quatre années au pouvoir pour écraser le champ politique et verrouiller entièrement le système : il a poussé à l’exil, mis en prison ou fait disparaître de force les principaux dirigeants politiques de l’opposition et de la société civile ; il a manœuvré pour empêcher les principaux leaders politiques de concourir à l’élection à venir ; il a fermé les principaux médias audiovisuels privés ; il a interdit les manifestations ; il a pris directement en main l’organisation des scrutins, jusque-là dévolue à une commission électorale indépendante.
Et comme si cela ne suffisait pas, il a même interdit aux principaux partis politiques, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), de Cellou Dalein Diallo, et le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), d’Alpha Condé, de mener campagne pour le référendum, en les suspendant administrativement.
Une campagne référendaire unilatérale, donc : les rues de Kaloum, le centre-ville de Conakry, sont remplies de petites affiches « Je vote Oui à la nouvelle constitution », flanquées de drapeaux guinéens. Quant au gouvernement et à l’administration, chaque ministre et chaque cadre de la fonction publique est chargé d’animer la campagne dans son fief. Le tout à grand renfort de véhicules 4x4 sortis d’usine, dont le rutilement tranche avec les routes défoncées et presque impraticables de l’intérieur du pays. Doumbouya avait pourtant dénoncé « la politisation à outrance de l’administration publique » et « la gabegie financière » pour justifier son putsch. Des phrases que des citoyens déçus ne cessent de rappeler sur les réseaux sociaux.
« Faites donc comme vous aviez fait en 1958 »
En dépit des moyens mobilisés, le CNRD peine à drainer les foules et à susciter l’enthousiasme. Lors du lancement de la campagne à Kankan, la ville natale de Doumbouya, le public était clairsemé. Mauvaise organisation (avec notamment des couacs dans la fabrication et la distribution des tee-shirts de propagande), scrutin joué d’avance, quasi-absence d’électricité dans la deuxième ville du pays… La population a-t-elle du mal à adhérer au projet du nouvel homme fort de Guinée ?
La seule voix critique active sur le terrain est celle de Faya Millimono, candidat malheureux à l’élection présidentielle de 2015 avec 1 % des voix. Il appelle à voter « Non » : « En 1958, c’est un général qui vous avait proposé une Constitution. En septembre de cette année 2025, c’est un autre général qui vous propose une autre Constitution. En 2025, faites donc comme vous aviez fait en 1958. ». Le 28 septembre 1958, les Guinéens avaient obtenu leur indépendance en rejetant massivement le projet de communauté française promu par le général de Gaulle – un moment fondateur dans la mémoire collective.
Les partis politiques les plus représentatifs – ils ont pesé ensemble plus de 90 % des voix lors des élections successives depuis 2010 – appellent, eux, à boycotter le scrutin. Regroupés au sein de la coalition des Forces vives, ils ont envisagé un temps d’appeler leurs militants à empêcher le vote, mais ils ont abandonné cette idée. En mars 2020, les forces opposées à la nouvelle Constitution d’Alpha Condé lui ouvrant la voie à un troisième mandat avaient mené avec un certain succès ce genre de boycott, au prix, certes, d’une forte répression. Mais cette fois, les Forces vives n’ont pas la capacité, sur le terrain, de réaliser une telle opération.
Cinquante-neuf manifestants tués depuis 2022
Cette fois, peu de chances que le projet aboutisse : la manifestation à l’appel des Forces vives pour le quatrième anniversaire du coup d’État, le 5 septembre, a été un échec. La faute, certainement, aux intimidations des forces de l’ordre la veille du rassemblement, aux arrestations préventives et au fort dispositif sécuritaire. Mais la faute aussi, sans doute, à la lassitude des militants de base face au manque de perspectives. Selon un décompte1 des organisations guinéennes de défense des droits humains arrêté en décembre 2024, cinquante-neuf personnes ont été tuées dans les différentes manifestations des Forces vives depuis 2022.
Les Forces vives sont en effet considérablement affaiblies par la cooptation et par ce qu’il faut bien appeler la terreur calculée que fait régner le CNRD. Le RPG, l’ancien parti au pouvoir, s’est vidé de ses cadres après le départ en exil d’Alpha Condé et le placement en détention de ses principaux lieutenants. Ils soutiennent désormais Doumbouya. À l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo, en exil, en est réduit à donner des interviews à la presse internationale et n’a plus la capacité, à court terme en tout cas, de mobiliser ses militants sur le terrain. Sidya Touré, président de l’Union des forces républicaines (UFR), semble, lui, démissionnaire : il ne s’exprime presque plus publiquement.
Au Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), le mouvement citoyen à la tête de la lutte contre le troisième mandat de Condé, Foniké Menguè et Billo Bah, deux des principaux dirigeants, sont toujours introuvables après leur enlèvement par des hommes en uniforme il y a plus d’un an ; les autres leaders sont tous en exil. Quant à Abdoul Sacko, le chef des Forces sociales – une petite association –, il s’est également exilé après avoir été kidnappé par des hommes en armes, torturé et abandonné en rase campagne. Enfin, Aliou Bah, le très actif chef du Mouvement démocratique libéral (MoDeL), a été condamné à deux ans de prison pour avoir dénoncé les disparitions forcées et critiqué le manque de transparence dans la gestion de l’immense projet minier de Simandou, sur lequel le CNRD fonde une grande partie de sa propagande.
Enlèvements et tortures des voix discordantes
Cette terreur tend d’ailleurs à s’étendre à d’autres segments de la société qui osent remettre en cause le pouvoir absolu de la junte. Un haut fonctionnaire des mines, Saadou Nimaga, a été kidnappé2 en octobre 2024 alors qu’il préparait un ouvrage sur Simandou. Un journaliste critique, Habib Marouane Camara, a lui aussi été kidnappé, en décembre. Enfin, le célèbre et éloquent ancien bâtonnier de l’ordre des avocats Mohamed Traoré a lui aussi fait les frais3 de ces pratiques, en juin : comme Sacko, il a été kidnappé, torturé et abandonné dans un village. Plusieurs sources évoquent d’autres disparitions de personnalités moins connues, tandis que nombre de militants de partis politiques, d’activistes de la société civile, d’avocats ou de journalistes se disent menacés du même sort.
Intimidées, privées de ses modes d’action et en manque de stratégie, les Forces vives auront bien du mal à empêcher Doumbouya de se faire élire. Une élection à laquelle Condé et Touré ne pourront d’ailleurs pas participer puisque la nouvelle Constitution prévoit un plafond de 80 ans pour se présenter à la présidentielle. Diallo ne pourra pas non plus concourir : il n’a même pas pu s’inscrire sur les listes électorales. Selon lui, l’ambassade de Guinée à Abidjan, où il vit en exil, avait reçu la consigne de ne pas l’enrôler.
La conjoncture régionale et internationale joue également en faveur du CNRD. La junte a joué habilement des tensions entre les pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour en tirer des bénéfices politiques. La priorité de cette dernière est en effet de ne pas perdre un nouveau membre, et certainement pas de faire respecter les engagements pris par la junte. Quand la Cedeao faisait encore des missions politiques en Guinée pour s’assurer que la transition avançait et que le CNRD respectait ses engagements, un haut responsable de la junte maniait la rhétorique souverainiste ou partait en visite à Bamako…
Reclus et paranoïaque
Enfin, dans un contexte de fortes tensions entre puissances et de guerres multiples, la Guinée n’est clairement pas la priorité de ladite « communauté internationale ». Paris a d’ailleurs vu dans la prise du pouvoir par Doumbouya, ancien caporal de la Légion étrangère française4, une opportunité de réchauffer ses relations avec Conakry, après le froid de la fin de l’ère Condé et après s’être fait chasser de plusieurs autres pays de la région.
Ainsi, après avoir soigneusement mis en scène sa rupture avec le système Condé pour légitimer son putsch, Doumbouya en reprend l’essentiel des méthodes répressives, avec plus de brutalité encore. Et cela non sans recycler un certain nombre de cadres opérant sous Condé. Une expression devenue courante à Conakry est que le pays n’est plus gouverné mais « commandé » par le CNRD…
Pour autant, si Doumbouya semble avoir déjà gagné la partie politique, il ne paraît pas serein mais plutôt presque paranoïaque. Reclus entre les îles de Loos, au large de Conakry, et son palais présidentiel, il sort de moins en moins, et jamais sans un dispositif de sécurité démesuré. Pour aller inaugurer un simple pont, en avril dernier, il a mobilisé un hélicoptère de combat et une dizaine de véhicules blindés. Sur les images publiées sur les réseaux sociaux, il est toujours accompagné de ses gardes armés et cagoulés, y compris lors de ses audiences dans son bureau du palais présidentiel. Même les journalistes de la télévision nationale ne peuvent plus l’approcher et l’interviewer : une direction spéciale de la présidence se charge de la couverture de ses activités et transmet les images.
Des tensions au sein de la junte ?
Ce paradoxe pourrait traduire des tensions à l’intérieur même de la junte et de l’armée. Certains faits semblent aller en ce sens. La junte a procédé à des purges successives au sein de l’armée : après le putsch, pour évincer les hommes vus comme fidèles à Condé ; après l’évasion spectaculaire, en novembre 2023 avec certainement la complicité de certaines factions de l’armée, de Claude Pivi5, un influent chef militaire issu de la junte dirigée par Moussa Dadis Camara (2008-2009) ; ou encore après la mort suspecte6, en détention, en juin 2024, du général Sadiba Koulibaly, ancien chef d’état-major sous la transition et un temps présenté comme le numéro deux de la junte avant de tomber en disgrâce.
En parallèle, on assiste à une montée en puissance des forces spéciales, l’unité dont est issu Doumbouya : passée7 depuis le coup d’État d’environ 500 à plus de 2 000 hommes, elle est devenue une armée dans l’armée. C’est la seule unité dans laquelle il affiche sa confiance : lors du défilé militaire du 2 octobre 2024, ses troupes affichaient leurs véhicules blindés flambant neufs livrés par les Émirats arabes unis, tandis que les autres militaires défilaient sans armes ou sans chargeurs…
À moyen terme, le danger, pour Doumbouya, ne viendra donc sans doute pas de son opposition politique. Il pourrait plutôt venir d’une mauvaise gestion des tensions au sein de l’appareil sécuritaire. C’est d’ailleurs ce qui l’avait poussé à renverser Condé : des rumeurs bruissaient selon lesquelles il était sur le point d’être mis aux arrêts. Il avait alors préféré dégainer le premier.

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1Human Rights Watch, « Guinée : Les droits humains en péril alors que la transition promise se fait attendre », 2 décembre 2024, disponible ici.
2Marième Soumaré, « Guinée : ce que l’on sait de la mystérieuse disparition de Saadou Nimaga », Jeune Afrique, 4 novembre 2024, à lire ici.
3Ilaria Allegrozzi, « Un éminent détracteur de la junte guinéenne enlevé et torturé », HRW, 24 juin 2025, à lire ici.
4Pierre-Élie de Rohan Chabot, Doumbouya, le putschiste funambule de la Guinée, Revue XXI, 14 juillet 2024, à lire ici.
5Guinée : Claude Pivi, le soldat mystique devenu ennemi public numéro un, RFI, 26 novembre 2023, à lire ici.
6Guinée : pourquoi la mort du général Sadiba Koulibaly intrigue, Jeune Afrique, 2 juillet 2024, à lire ici.
7Fatoumata Diallo et Marième Soumaré, Guinée : l’armée restera-t-elle loyale à Mamadi Doumbouya ?, Jeune Afrique, 16 octobre 2024, à lire ici.