Au soir de sa vie, Mamadou Bowoï Barry, dit « Petit Barry », a décidé d’écrire ses mémoires. Sept ans sous le mont Gangan, paru en mai, est le premier des sept tomes d’une série intitulée « Camp Boiro »1. Un recueil de récits, de poèmes, d’hommages, qui racontent avec force détails les pratiques carcérales et meurtrières durant les heures sombres de la première République de Guinée (1958-1984). On s’évade avec « Petit Barry » vers son village natal, on y découvre la trajectoire d’un geôlier, le parcours politique de codétenus qui ont parachevé leur rêve d’indépendance, et l’absurdité d’un système qui les a condamnés.
Afrique XXI a rencontré « Petit Barry » en mai 2023, en région parisienne. C’est un monsieur de 87 ans, affable, enjoué, avec une mémoire stupéfiante. Il était pressé de raconter sa vérité historique, et surtout ses longues années d’enfermement (sept ans et demi, entre 1971 et 1978) à Kindia, à 135 km de Conakry. Il s’est montré intarissable au sujet du leader indépendantiste bissau-guinéen Amílcar Cabral ou encore de Fodéba Keïta, le créateur des Ballets africains, mécène devenu ministre de la Défense de Sékou Touré, et dont le corps gît aujourd’hui dans une fosse commune. Mais il a aussi accepté de brosser plus sommairement ses années estudiantines – la découverte de L’Étudiant d’Afrique noire, à Toulouse, le journal de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France, la Feanf, dont il devient un militant actif – et sa collaboration avec Ahmed Sékou Touré.
Un « élément suspect »
En 1965, Mamadou Barry intègre le gouvernement guinéen - le ministère des Affaires étrangères d’abord, puis le ministère de l’Information. Il est éditorialiste à La Voix de la révolution, la radio d’État, et directeur du bureau de presse de Sékou Touré. « À la présidence, je suis un de ceux qui n’ont pas besoin d’audience, dit-il, je peux entrer quand je veux » dans le bureau de Sékou Touré. Ce dernier le nomme également député. Cette proximité est rompue peu après l’opération portugaise Mar Verde, le 22 novembre 1970, dans le cadre de la guerre de libération de la Guinée-Bissau. « Petit Barry » est pris dans la purge des milieux politiques qui s’ensuit. Il devient un « élément suspect ».
Gracié par Sékou Touré, il est libéré le 22 novembre 1978. S’il témoigne aujourd’hui pour l’Histoire, il dit regretter que celle-ci n’ait pas encore été écrite en Guinée. « Toutes les fosses communes ont été identifiées, mais par des associations. Le gouvernement guinéen n’a fait aucun effort jusqu’à présent pour les recenser à travers le pays, ni pour réhabiliter les personnes qui ont été tuées. »
Dans ce premier épisode, « Petit Barry » se rappelle 1956, lorsqu’il a 20 ans. Il boucle son année de propédeutique à l’Institut des hautes études de Dakar, puis met le cap sur la France, où il s’inscrit en faculté de lettres, à Toulouse. Là, il intègre le comité de rédaction de L’Étudiant d’Afrique noire, le journal de la Feanf. Il devient un militant actif, luttant pour l’indépendance des pays africains francophones et pour l’égalité de traitement entre les étudiants français et ceux issus de la diaspora africaine.
Merci à Dom Peter et Samba Diabaté pour leur contribution musicale. Retrouvez-les sur l’album Sou Kono de Midgnight Ravers.
Réalisation : Agnès Faivre (avec Michael Pauron)
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1Le camp Boiro, un ancien camp de gendarmerie créé par l’administration coloniale française dans le quartier central de Camayenne, à Conakry, est devenu l’un des plus célèbres camps d’enfermement sous la présidence de Sékou Touré (1958-1984). Des milliers de Guinéens y ont été torturés et tués, notamment par diète noire (privation d’eau et de nourriture jusqu’à la mort).