La lettre hebdomadaire #184

Rwanda-RD Congo. Le deal à la Trump

L'image présente une surface en métal, probablement rouillée, avec des marques et des textures variées. On y voit une tache de couleur turquoise qui semble avoir été projetée. Cette tache a une forme fluide et irrégulière, évoquant une sorte de mouvement ou de dynamisme. À proximité, on peut distinguer des traces brunes, résultant de la rouille, qui ajoutent un contraste marqué à la couleur vive. Le fond est texturé, avec des stries et des imperfections, suggérant l'âge et l'usure du matériau. L'ensemble crée une atmosphère à la fois urbaine et artistique.
© Erwin Brouwer / WordPress

ÉDITO

LE « DEAL » DE TRUMP CONFRONTÉ AUXALITÉS DE LA RD CONGO

Par Colette Braeckman

Enfin un succès. Tous satisfaits, fiers d’eux-mêmes et confiants dans l’avenir… Depuis la signature de l’accord de paix entre la République démocratique du Congo (RD Congo) et le Rwanda, avec la bénédiction de Donald Trump, qui a salué la performance de Massad Boulos, le beau-père de sa fille Tiffany, le bombardement de l’Iran a été éclipsé, tout comme l’abandon de l’allié ukrainien et le soutien à Israël dans sa guerre génocidaire contre Gaza.

Le président des États-Unis, qui convoite toujours le prix Nobel de la paix, a parrainé cet accord longtemps jugé impossible. Il devrait déboucher sur l’arrêt des hostilités et la prise en compte des revendications de chacun, à savoir le respect de l’intégrité territoriale de la RD Congo et la neutralisation des groupes hostiles au régime de Kigali, ces Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) composées de descendants des génocidaires hutus de 1994 et toujours présentés comme une menace par Kigali.

Les États-Unis devraient trouver leur compte dans ce « deal à la Trump » : Kinshasa a fait miroiter l’accès à des ressources minières encore non exploitées, dont le lithium de Manono et le cobalt du Nord-Kivu. Il a été rappelé que le corridor de Lobito, un chemin de fer en construction doublé d’une route, devrait permettre d’exporter vers l’Atlantique la production minière du Katanga et de l’est de la RD Congo. S’ajoutant à l’arrivée d’entreprises étatsuniennes dans les provinces minières, ce nouvel axe commercial aurait pour objectif de briser le monopole chinois sur les matières stratégiques actuellement exportées via l’océan Indien.

Homme d’affaires avisé et controversé, Donald Trump semble avoir préféré le « grossiste » congolais qui lui faisait des « prix d’ami » au « détaillant » rwandais qui, depuis des années, conditionne et revend des matières premières notoirement extraites chez son voisin puis conditionnées dans les fonderies de Kigali. Le deal a brutalement rappelé une réalité que vient encore de souligner le dernier rapport des experts de l’ONU : le président Paul Kagame considère l’est de la RD Congo comme une zone conquise. Au vu de cette évidence, qui n’avait pas empêché l’Union européenne de conclure avec Kigali un partenariat stratégique sur les matières premières, le Rwanda s’est vu prier de retirer des troupes dont le président Paul Kagame avait juré ses grands dieux… qu’elles ne s’y trouvaient pas.

Une compensation de taille a cependant été accordée à Kigali : outre la gestion conjointe des parcs nationaux, c’est au départ du Rwanda que les minerais de la RD Congo continueraient à être traités et exportés. Autrement dit, c’est à l’étranger que serait engrangée la plus value des ressources minières congolaises (à laquelle s’ajouterait la manne touristique).

L’exportation de minerais à l’état brut rappelle le pacte colonial d’autrefois, lorsque le cuivre et l’uranium étaient extraits du Katanga pour être traités en Belgique. En outre, aujourd’hui comme au siècle dernier, aucune compensation n’a été envisagée pour les victimes civiles congolaises, les quelque 7 000 civils tués depuis la conquête de Goma en janvier et les sept millions de déplacés depuis le retour du M23 qui ne peuvent même plus compter sur le soutien de l’USAID.

Si les Étatsuniens ont forcé tout le monde à jouer cartes sur table en gardant pour eux les meilleurs atouts, les deux protagonistes poursuivront-ils dans cette voie ? Le président congolais Félix Tshisekedi se félicite du succès diplomatique engrangé par sa ministre des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, dont le talent a fait bouger les lignes.

Mais la réalité a d’autres facettes. Les Hutus rwandais (au sein des FDLR) et leurs voisins burundais font plus que collaborer avec l’armée congolaise, souvent défaillante : ils se portent en première ligne contre leurs éternels adversaires, les combattants tutsis soutenus par Kigali. En outre, le président congolais, qui souhaiterait prolonger son mandat au-delà de 2028, a besoin d’un succès diplomatique à son actif, et les apparences d’un accord pourraient lui suffire.

Quant au sort du M23, ce mouvement armé composé de Tutsis congolais formés à l’école rwandaise, l’accord se contente de renvoyer les protagonistes vers les négociateurs habituels, à Doha, au Qatar, voire à Luanda, en Angola, à condition que le président angolais João Lourenço ne soit pas échaudé d’avoir été tenu à l’écart. Malgré quelques remarques désobligeantes de Donald Trump, aucune mesure contraignante ne semble avoir été prise à l’encontre du mouvement rebelle M23, qui gère les territoires conquis avec la brutalité d’une force d’occupation.

Depuis Bukavu, Goma, Masisi, Kalehe, loin des joutes diplomatiques, un seul cri nous parvient : « Et nous, maintenant ? Qu’allons-nous devenir ? Nous sommes privés de tout… » Nos interlocuteurs précisent : « Dans les quartiers de Goma et de Bukavu, ils [les membres du M23, NDLR] multiplient les rafles, abattent des suspects en pleine rue. Les hommes du M23 procèdent à des “échanges” [sic] de population, ramenant au Rwanda des groupes de Hutus présents depuis 1994, installant des Tutsis venus du Rwanda et présentés comme d’anciens réfugiés jadis chassés de leurs terres. » Ils ajoutent :

L’économie n’a pas redémarré car les banques sont toujours bloquées par Kinshasa, tandis que les nouveaux venus se sont emparés d’outils économiques : l’usine de thé de Kalehe, dans le Sud-Kivu, a été démantelée et relocalisée à Goma, l’école dite du Cinquantenaire, censée former de futurs pilotes ou contrôleurs aériens, a été pillée avec méthode, et son matériel a traversé la frontière. Les stocks de cobalt de Rubaya (l’une des plus grandes mines du pays) ont été siphonnés, à Walikale, le pillage a pu être stoppé car les propriétaires de la mine étaient étatsuniens…

Autrement dit, même si certains éléments du M23 peuvent faire valoir leur légitimité d’anciens réfugiés désireux de regagner des terres congolaises dont ils avaient été chassés du temps de Mobutu Sese Seko ou lors de l’arrivée des réfugiés hutus après le génocide des Tutsis, leur comportement suscite un ressentiment inspiré par la réalité quotidienne. Alors qu’il rêvait de regagner Kinshasa un jour, Corneille Nangaa, à la tête de l’Alliance Fleuve Congo, et même Joseph Kabila, qui a multiplié les consultations en zone occupée, risquent d’être considérés comme des collaborateurs des forces d’occupation.

Face à la brutalité des faits, seuls les représentants des Églises (catholique, protestantes, de réveil) croient encore qu’une autre réalité demeure possible : s’entretenant avec tous les acteurs, ils maintiennent la pression. Près de soixante-cinq ans ans après l’assassinat de Patrice Lumumba, en janvier 1961, ils préconisent une « solution congolaise », c’est-à-dire un pacte social issu des dialogues qui se noueront au niveau des paroisses, des églises et des temples afin de définir, à la base, les conditions du « vivre-ensemble ». Jusqu’à présent, le principal atout des « hommes de Dieu » c’est que leur autorité morale demeure incontestée à travers le pays et qu’ils sont portés par la foi plus que par l’opportunisme et les appétits d’ordre économique.
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À LIRE

MALI : LESMOIRESSILIENTES DU DIPLOMATE CHEICK SIDI DIARRA

« Le destin choisit souvent les sujets sur lesquels il s’acharne. Des personnes ordinaires peuvent se trouver prises dans les tribulations d’une vie qu’elles n’ont pas choisie. » Ces deux phrases, sur lesquelles s’ouvrent les mémoires de Cheick Sidi Diarra, intitulées Résilience, sont éloquentes sur sa trajectoire en tant que diplomate, secrétaire général adjoint des Nations unies (2007-2012) puis soutien du régime d’Ibrahim Boubacar Keïta, avant d’en devenir l’adversaire. Le livre raconte le destin d’un homme impuissant à peser sur les événements, qui se résigne finalement à subir l’Histoire.

Dès les premières pages de la première partie (« Le fil de ma vie »), Diarra livre un témoignage sur une enfance marquée par la violence politique à l’orée de l’indépendance du Mali (ex-Soudan français)« mise en œuvre pour faire place nette autour de l’US-RDA [Union soudanaise-Rassemblement démocratique africain, NDLR] et lui assurer une place de parti unique de fait », pour reprendre les mots de l’anthropologue Alexis Roy. Les événements appelés, dans les rares travaux académiques, le « drame de Sakoïba » (en mai 1960, le hameau de Sakoi͏̈-Fulala et une partie du village de Sakoi͏̈ba ont été détruits et de nombreux habitants qui avaient osé s’opposer au parti unique ont été arrêté), survenus dans la région à dominante bamanan de Ségou, illustrent la récurrence des révoltes contre le pouvoir central malien, qui ne se limitent pas au nord du pays.

Diarra sera ballotté à Kidal dans l’aventure de l’emprisonnement de son père accusé de régionalisme : « un contestataire et un rebelle contre l’unanimisme qui caractérisait la politique de l’ère des indépendances sous la transition de la Communauté française vers l’US-RDA ». Les Diarra sont connus comme descendants de la dynastie qui a régné sur l’État guerrier de Ségou, fondé par Biton Coulibaly au XVIIIe siècle et défait par le djihad d’Elhadj Oumar Tall. La fratrie compte également Cheick Modibo Diarra (ancien Premier ministre du Mali), Sidi Sosso Diarra (ancien Vérificateur général) et Cheickna Hamallah Diarra (urbaniste à la mairie de New York).

Les souvenirs qui inondent les pages de ce récit autobiographique emmènent le lecteur de Ségou à Kidal, de Bamako à Dakar, New York, Tunis et Alger. Dans la Grosse Pomme, l’auteur dirige la Mission permanente du Mali auprès des Nations unies avant de devenir l’adjoint de Ban Ki-moon.

Par ses fonctions, Diarra sera le témoin de la décennie noire en Algérie, de la première guerre du Golfe, de la crise des Balkans, de la deuxième guerre du Golfe (intervention en Irak). Lors de ce dernier événement, à cause de son alignement sur la position française, Kofi Annan subira « une rupture avec certains membres influents du Conseil de sécurité […] qui voulaient abréger son second mandat », sauvé par une déclaration de soutien des ambassadeurs africains et d’autres groupes régionaux, écrit Diarra. Les défaillances dans le fonctionnement des représentations maliennes et les querelles de personnes impliquant souvent le ministre de tutelle sont aussi passées à la moulinette par le diplomate, retraité depuis le 22 décembre 2022.

Formé à Dakar en droit public et en relations internationales, Diarra commence sa carrière en 1981 sous le règne du parti unique « né des entrailles du régime militaire ». Il entre dans la fonction publique au ministère des Affaires étrangères, du temps de maître Alioune Blondin Bèye, le principal artisan, en tant que représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, de l’accord en 1994 entre Luanda et l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola.

Les mémoires de diplomate sont rares. L’exercice auquel se livre Diarra contribue à l’effort d’entretenir la mémoire collective sur les coulisses de la politique étrangère du Mali. Mais il s’agit aussi d’un témoignage sur un parcours marqué par un engagement militant, à travers son mouvement politique Anw Bè Faso Do (Notre patrie commune, NPC), qui le rapprochera du Front pour la sauvegarde de la démocratie (FSD) dirigé par Soumaila Cissé, l’un des mouvements membres du M5-RFP qui contestera jusqu’à sa chute le régime d’IBK. Proche du régime, Diarra a finalement rompu avec le président à cause de la conduite du Dialogue national inclusif (DNI), dont il avait la responsabilité, et de la « gestion familiale » du pays. L’ouvrage est donc aussi un diagnostic sur l’état actuel du Mali, que son auteur n’a eu de cesse de dénoncer à coup de tribunes dans les médias, également rassemblées dans la deuxième partie du livre, intitulée « Le fil de mes réflexions ».

À lire : Cheikh Sidi Diarra, Résilience, Baudelaire, 384 pages, 2024.

Bokar Sangaré
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Entretien « Afropessimisme », « ontologie noire », « philosophie africana », Hountondji, Fanon, Césaire... Le philosophe franco-étatsunien raconte ses proximités avec les différents courants intellectuels noirs et leurs penseurs. Pour lui, la philosophie africaine est profondément politique.
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IN ENGLISH

Étienne Davignon, last witness to Lumumba’s murder and King Baudouin’s gatekeeper
Portrait This Belgian aristocrat, a young diplomat in Kinshasa and then Brazzaville at the time of the pursuit and execution of the Congolese Prime Minister in 1961, will have to answer judges’ questions in January, the Brussels public prosecutor’s office has decided. This comes as a bombshell in Belgium, where this close associate of the Palace subsequently prospered within the establishment and seemed untouchable.
By Colette Braeckman

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