
Blessé à la tête, les mains et les genoux bandés, le journaliste congolais Claude Pero Luwara n’a toujours pas récupéré après avoir été victime d’une agression dans la paisible ville flamande de Tirlemont, en Belgique. Au-delà du choc physique, il se demande comment, au cœur de l’ancienne métropole, un commando de six à sept personnes a pu le guetter alors qu’il regagnait son domicile. La plainte aurait été classée sans suite si le bourgmestre (maire) de la ville n’avait pas été présent sur les lieux. Témoin du passage à tabac de ce journaliste qui croyait avoir trouvé la sécurité en Belgique, l’élu local a mobilisé la police et les services de renseignements afin que cette agression soit prise au sérieux.
Pero Luwara, qui avait obtenu l’asile en Belgique, est sonné mais pas surpris : « À Kinshasa, l’atmosphère se tend : ceux qui critiquent le régime de Félix Tshisekedi sont accusés de faire le jeu des rebelles, voire soupçonnés d’être complices du mouvement M23, soutenu par le Rwanda. Ils craignent que leur tête soit mise à prix. » Un autre cas défraie à nouveau la chronique : celui de l’expert belgo-congolais Jean-Jacques Wondo, qui, arrêté à Kinshasa, a fini par être renvoyé dans sa patrie d’adoption, où il vient de recevoir des menaces de mort qui ont amené Bruxelles à protester auprès de Kinshasa.
Il est évident que le climat se durcit dangereusement. Plusieurs fidèles de l’ex-président Joseph Kabila, qui avait quitté le pouvoir en 2018 en donnant les rênes à un Félix Tshisekedi n’ayant pourtant pas gagné les élections, ont été expropriés, poussés à quitter le pays. Kabila lui-même, actuellement réfugié dans un pays d’Afrique australe, sans doute le Zimbabwe, a été accusé de haute trahison et condamné à mort par contumace tandis que ses biens étaient confisqués. La nationalité congolaise de cet homme qui a dirigé le pays pendant dix-huit ans a été remise en question, et des témoins à charge ont même assuré qu’il n’était pas le fils de Laurent-Désiré Kabila…
La démission de Vital Kamerhe, le président du Parlement, originaire de Bukavu, et le bannissement de Joseph Kabila, lui aussi enraciné dans l’est du pays, risquent d’aliéner les provinces orientales alors que, dans les régions occupées, les rebelles du M23 consolident leur emprise, mettent en place des administrations parallèles et forment de nouvelles recrues.
Constant Mutamba condamné
Il y a aussi le cas de Constant Mutamba : le jeune ministre de la Justice a été accusé d’avoir détourné 19 des 325 millions de dollars que l’Ouganda avait été contraint de verser à la RD Congo à la suite d’un jugement de la Cour pénale internationale. Il s’agissait d’un dédommagement pour la « guerre des six jours ». Mené en 2000, ce conflit avait mis aux prises les armées du Rwanda et de l’Ouganda et dévasté Kisangani, la capitale de la Province-Orientale. Ne reconnaissant pas la CPI, le Rwanda n’a rien déboursé.
Constant Mutamba avait affirmé que cet argent devait servir à construire une prison à Kisangani. Les victimes congolaises n’ont jamais été dédommagées et, soupçonnant des irrégularités, elles se demandent toujours pourquoi l’ancien ministre de la Justice avait, en son temps, donné priorité à la construction d’un établissement pénitentiaire.
Tribun populaire au sein de la jeunesse de Kinshasa, Constant Mutamba a cependant été traité avec ménagements : condamné à trois ans de travaux forcés, il a été conduit dans une résidence de luxe. Plus que son usage controversé des fonds publics, la fougue et les qualités d’orateur de ce leader qui se réclame de Patrice Lumumba avaient été ressenties comme une menace pour Félix Tshisekedi. La condamnation du jeune ministre devrait l’empêcher de se représenter au prochain scrutin présidentiel, prévu pour 2028.
Durcissement à Kinshasa, où le régime rêve d’un troisième mandat non prévu par la Constitution, emprise croissante des rebelles du M23 sur les populations des zones occupées au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, et surtout renforcement des effectifs militaires sur la ligne de front du Sud-Kivu : les espoirs suscités par la diplomatie états-unienne ont fait long feu.
La montée de la haine
Sur le terrain, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), arrivées en RD Congo au lendemain du génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda, en 1994, et aujourd’hui trop âgées pour combattre, ont été rejointes par de jeunes recrues, parmi lesquelles des Hutus de nationalité congolaise. Quant aux troupes rwandaises présentes dans l’est du Congo, l’estimation de leur nombre a varié au fil des semaines : le dernier rapport des experts de l’ONU1, daté du 3 juillet, affirmait que « leur nombre, en janvier et février, pouvait être estimé à 6 000 soldats y compris des forces spéciales. S’y seraient ajoutés des combattants des FDLR récemment démobilisés, engagés dans des opérations de reconnaissance, de renseignement et de combat. »
Les experts précisent cependant qu’« après la prise de Goma, l’empreinte de la RDF [Rwanda Defence Force, NDLR] a été réduite au minimum nécessaire afin de maintenir la discrétion sur l’implication du Rwanda ». Au moment de la publication du rapport, on estimait que 1 000 à 1 500 éléments de la RDF étaient encore actifs dans les territoires contrôlés par l’AFC/M23, y compris dans les centres urbains.
Les experts ajoutent que « les engagements successifs de la RDF n’avaient pas pour objectif premier de neutraliser les FDLR ou de mettre fin à une prétendue menace pour l’existence du Rwanda, mais de conquérir de nouveaux territoires ». Selon eux, « le contrôle de l’est de la République démocratique du Congo par l’AFC/M23 a permis au Rwanda d’accéder à des territoires riches en minéraux et à des terres fertiles, de décimer les rangs des FDLR et de s’assurer une influence politique en République démocratique du Congo ».
L’hostilité des wazalendo envers les Tutsis
L’engagement militaire du Rwanda a cependant eu un coût : Human Rights Watch, sur la base de photos aériennes du cimetière militaire de Kanombe, a révélé2 l’existence de plusieurs centaines de tombes fraîchement creusées. Autrement dit, des soldats rwandais trouvent la mort dans un conflit auquel, officiellement, ils ne participent pas.
Alors que le traumatisme de la débâcle essuyée à Goma en février n’est pas dissipé, les Forces armées de la RD Congo (FARDC), dotées de nouveaux équipements, se battent désormais sur le front sud : elles tentent d’enrayer la progression des rebelles du M23 dans les hautes montagnes qui surplombent le lac Tanganyika. Seul le soutien de l’armée burundaise, qui a dépêché 10 000 hommes sur le terrain, empêche encore la chute de la ville frontalière d’Uvira, qui ouvrirait la voie du Maniéma et du riche Katanga.
Davantage encore que les armées régulières, ce sont les combattants « wazalendo » (« enfants du pays ») qui incarnent la résistance : parmi eux se trouvent des jeunes gens désireux de défendre leur territoire mais aussi des groupes irréguliers qui rançonnent les populations civiles ou ont fait alliance avec des combattants hutus rwandais issus des anciens camps de réfugiés après le génocide de 1994. Les wazalendo et leurs alliés développent une hostilité virulente à l’encontre des Tutsis congolais, qu’il s’agisse d’éleveurs chassés de leurs territoires ou d’officiers de l’armée congolaise dont l’appartenance3 est violemment contestée. Cette montée de la haine réveille de terribles souvenirs, et les militaires burundais, parmi lesquels de nombreux officiers tutsis, craignent de se voir entraîner dans un engrenage fatal.
Une gestion du Virunga au bénéfice du Rwanda
Il y a trois mois, à l’initiative d’un Donald Trump qui rêvait de décrocher un prix Nobel de la paix, deux accords avaient été conclus simultanément. Le premier avait été signé à Washington entre la RD Congo et le Rwanda avec la bénédiction du secrétaire d’État Marco Rubio. Menacé de sanctions internationales en raison de son soutien aux rebelles tutsis du M23 et de l’exploitation des ressources congolaises, Kigali avait accepté l’accord tout en rappelant ses préoccupations sécuritaires et en répétant, comme préalable, l’impératif du désarmement des FDLR.
En plus de la neutralisation des groupes armés, l’accord envisageait aussi l’« exploitation commune des ressources naturelles », dont les parcs nationaux congolais voisins de la frontière rwandaise. Alors que Kigali mise sur le tourisme de luxe et fait visiter les gorilles des montagnes pour une somme astronomique (1 300 euros), le parc congolais des Virunga, berceau des grands singes, demeure interdit aux visiteurs pour des raisons de sécurité. D’où l’idée d’organiser, au départ et au bénéfice du Rwanda, des incursions dans une zone congolaise contrôlée par les alliés du M23.
Quant aux minerais (colombo-tantalite, cobalt, lithium) indispensables à l’industrie numérique, le « deal de Trump » prévoyait de les extraire en RD Congo, où se trouvent les principaux gisements. Mais, par la suite, c’est dans les fonderies installées au Rwanda que ces matières premières devraient être transformées avant d’être réexportées. En échange de la paix, la RD Congo, comme à l’époque coloniale, demeurerait ainsi exportatrice de matières premières à l’état brut, cédant à d’autres les bénéfices de la plus-value.
Le M23 cherche une légitimité
Le rapport des experts de l’ONU explique comment, à leur manière, les rebelles ont anticipé ce partage des tâches : il apparaît que depuis janvier la coalition AFC/M23, ciblant systématiquement des entrepôts appartenant à des exportateurs de minerais, « a ainsi pillé plus de 500 tonnes de minerais 3T étiquetés et non étiquetés. […] » Le rapport précise que l’AFC/M23 a également pillé « 186 tonnes de minéraux 3T non étiquetés à Nyabibwe, dans le Sud-Kivu, avant de les acheminer en contrebande vers le Rwanda via le port de Mukwija, dans le territoire de Kalehe. Une fois au Rwanda, les minerais ont été mélangés à la production locale, ce qui a permis de les blanchir dans la chaîne d’approvisionnement en aval en les faisant passer pour des minerais d’origine rwandaise. » Et les experts de conclure :« Cette manœuvre a perturbé le commerce légitime. »
De son côté, l’accord dit de Doha, discuté entre Kinshasa et les rebelles du M23 sous la médiation du Qatar – qui a des intérêts importants dans la région, parmi lesquels la construction et la future gestion du nouvel aéroport international au Rwanda – marque toujours le pas : la discussion se limite à définir les mécanismes de supervision. Cette paralysie représente un revers pour l’homme d’affaires libanais Massad Boulos, beau-père de Tiffany, la fille de Donald Trump, qui avait parrainé la signature du document le 19 juillet.
Sur le terrain, l’accord est demeuré sans suite : le mouvement rebelle M23 et son relais politique l’Alliance Fleuve Congo (AFC) ont renforcé leur emprise administrative et militaire sur l’est du pays, dans une zone qui s’étend depuis la frontière ougandaise jusqu’au lac Tanganyika.
6 millions de réfugiés et de déplacés
Même si les banques sont toujours fermées sur ordre de Kinshasa, ce qui ralentit l’économie, le M23 et l’AFC s’efforcent de rétablir un semblant de normalité. Mais la peur l’emporte toujours. Au vu de la nécessité de renforcer les troupes, des jeunes gens sont recrutés, souvent de force, et envoyés en formation dans des camps militaires, des suspects sont abattus sans sommation, des chefs coutumiers, descendants de longues lignées et gardiens de la mémoire des terres et des collines, sont destitués et remplacés par des auxiliaires du nouveau pouvoir. De nouvelles taxes ont été instaurées, les frais scolaires ont été réclamés alors que la gratuité de l’enseignement avait été décrétée dans tout le pays.
Des opérations d’assainissement des villes ont été menées, à l’instar des travaux collectifs imposés une matinée par semaine au Rwanda : le mouvement rebelle fait tout pour se donner la respectabilité d’un pouvoir de fait. Sur le plan des droits humains, le bilan demeure sombre : les immenses camps de réfugiés qui entouraient Goma ont été démantelés sous la menace des armes. Les populations ont été déplacées de force, des Hutus étant ramenés au Rwanda tandis que des Tutsis étaient rapatriés dans les collines du Kivu, d’où ils avaient été chassés naguère.
Déjà éclipsée par d’autres urgences, la détresse de plus de 6 millions de réfugiées et de déplacées est d’autant plus grande que les organisations humanitaires sont désormais privées des financements états-uniens. C’est ainsi, par exemple, que la contraception et les « traitements du lendemain », qui aidaient les femmes à prévenir les grossesses indésirables à la suite de viols, ont été supprimés d’un trait de plume.
L’ouverture d’un consulat du Kenya à Goma a été interprétée comme une reconnaissance diplomatique du pouvoir rebelle, qui se présente de plus en plus comme une autorité étatique. Le M23-AFC calque sa gouvernance sur le modèle autoritaire du Rwanda. Sans observer la même discipline : en plus des exécutions sommaires et des recrutements forcés, les rebelles pratiquent les prises d’otages contre rançon. Plusieurs enlèvements ont été signalés, mais le M23 assure qu’il s’agit de cas isolés et promet de sanctionner les coupables.
Eric Prince et ses mercenaires
Alors que des sociétés états-uniennes importantes s’étaient montrées impatientes d’investir dans une région qui produit 70 % du cobalt mondial, le volet économique du « deal de Trump » semble en sommeil. Des géants s’étaient mis sur les rangs : KoBold Metals, qui avait déjà annoncé l’acquisition de droits sur le lithium de Manono, en concurrence avec Rio Tinto ; la société Invanhoé Mines, déjà présente au Katanga ; le géant anglo-suisse Glencore, la plus grande société minière occidentale opérant en RD Congo, et plus précisément au Katanga ; la canadienne Alphamines, qui exploite l’étain du Nord-Kivu... Quant à l’États-unien Eric Prince, fondateur de la tristement célèbre société militaire privée Blackwater, il a proposé les services de ses mercenaires.
Lors de sa conclusion, cet accord économico-politique conclu avec les États-Unis avait été vivement critiqué par la société civile congolaise. Cette dernière imputait au président Félix Tshisekedi un autre mobile inavouable : obtenir les faveurs de Washington à l’heure où il songerait à préparer un troisième mandat, au-delà des limites constitutionnelles.
Alors que, il y a trois mois, on pouvait espérer une pax americana mue par les « intérêts bien compris » des hommes d’affaires proches de Donald Trump, une reprise des hostilités se profile. Lorsqu’il s’adresse aux membres de son parti, le président Tshisekedi tient un discours ferme, martelant qu’aucun dialogue, en Afrique du Sud, à Doha ou ailleurs, ne se tiendrait en dehors de son initiative, précisant que cette réunion « ne devrait rassembler que des Congolais non inféodés aux pays voisins ».
L’arrivée de la fondation Thabo Mbeki
La perspective d’un « pacte pour le vivre-ensemble » défendu par les religieux (les catholiques et les protestants) ne cesse de reculer : elle est accueillie avec méfiance par un pouvoir congolais qui exige que les « Églises de réveil », proches du chef de l’État, soient associées à un éventuel dialogue... Des opposants de poids comme Moïse Katumbi, toujours populaire au Katanga, se méfient chaque jour davantage de Kinshasa, tandis que la disgrâce de Vital Kamerhe, originaire de Bukavu et qui occupait la présidence de l’Assemblée nationale jusqu’à sa démission, le 22 septembre, creuse le fossé entre la capitale et les provinces de l’est du pays.
Face au durcissement et à l’intransigeance du pouvoir congolais, aux déploiements militaires de part et d’autre de la frontière entre le Rwanda, le Burundi et la RD Congo, les médiateurs africains ne cachent pas leur découragement, sans pour autant renoncer à leurs efforts de médiation. C’est ainsi que la fondation sud-africaine Thabo Mbeki a convoqué une rencontre des différents protagonistes en Afrique du Sud. Mais Kinshasa a affiché sa méfiance.
Il n’a pas fallu longtemps pour que l’administration Trump découvre qu’en Afrique pas plus qu’ailleurs, les promesses économiques ne règlent pas tout. Au vu du durcissement de Kinshasa, on se demande si, longtemps présenté comme un bon vivant, Félix Tshisekedi n’a pas hérité de l’obstination qui caractérisait son père, irréductible opposant à Mobutu après avoir été le premier, après l’indépendance, à occuper le poste de ministre de la Justice. À cette différence près qu’Étienne Tshisekedi n’était guère intéressé par l’enrichissement personnel et n’était pas obnubilé par l’exercice du pouvoir.
Peu de temps avant de succomber à la maladie, le journaliste Déo Namujimbo, exilé en France, écrivait en guise de testament : « Le pays est dirigé comme une boutique de contrebande. Les ressources sont bradées, les revenus détournés et les dividendes partagés entre le clan présidentiel et la clientèle de la mangeoire. » Originaire de Bukavu, où son frère avait été assassiné du temps de Kabila, le journaliste concluait amèrement : « Pendant ce temps, les populations de l’Est continuent à vivre l’enfer : massacres quotidiens, viols systématiques, déplacements massifs, famine, villages rayés de la carte. Des millions de Congolais sont sacrifiés sur l’autel des ambitions d’un régime qui préfère soigner son image internationale plutôt que de sauver son peuple. »
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1Conseil de sécurité des Nations unis, « Lettre datée du 3 juillet 2025, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo », 3 juillet 2025, le PDF est disponible ici.
3Lire à ce propos Maria Malagardis, « Sud-Kivu RDC : “A Uvira, les miliciens font la loi” », Libération, 16 septembre 2025.
4Conseil de sécurité des Nations unis, « Lettre datée du 3 juillet 2025, adressée au Président du Conseil de sécurité par le Groupe d’experts sur la République démocratique du Congo », 3 juillet 2025, le PDF est disponible ici.
6Lire à ce propos Maria Malagardis, « Sud-Kivu RDC : “A Uvira, les miliciens font la loi” », Libération, 16 septembre 2025.