La guerre dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC) a hanté le dernier sommet de la Francophonie qui s’est tenu en France, à Villers-Cotterêt, début octobre 2024, jusqu’à inciter Félix Tshisekedi à précipiter son départ. Le chef de l’État congolais était agacé par le fait que, dans son discours d’ouverture, le président français Emmanuel Macron ait omis de mentionner la situation dans le Nord-Kivu, et qu’il ait accueilli son homologue rwandais, Paul Kagame, avec une chaleur très remarquée alors que celui-ci est soupçonné de soutenir un groupe armé dans la région. Mais derrière ces échauffourées diplomatiques, et alors que la situation sur le terrain est toujours aussi dramatique, un travail de fond se poursuit dans la région. Les voisins de la RDC se montrent de plus en plus préoccupés par cette guerre qui menace l’équilibre de l’Afrique centrale et paralyse des développements économiques potentiels.
C’est pourquoi le président de l’Angola, João Lourenço, médiateur désigné dans ce que l’on appelle le « processus de Luanda », remet inlassablement son ouvrage sur le métier. Alors que, malgré ses déboires sur le terrain, Kinshasa opte pour la voie militaire, son voisin angolais préconise toujours une solution politique. Le 4 août 2024, il a obtenu de Kinshasa et de Kigali que soit conclu un cessez-le-feu, mais, sur le terrain, les affrontements se poursuivent. Le mouvement rebelle M23, soutenu par Kigali, vient de conquérir la localité stratégique de Kalembe face à des adversaires gouvernementaux en manque de munitions.
L’équation demeure inchangée : Kinshasa dénonce le soutien que l’armée rwandaise apporte au M23, groupe composé de Tutsis congolais qui s’estiment discriminés. Les rapports des experts de l’ ONU publiés deux fois l’an confirment régulièrement – et avec force précisions – l’appui du Rwanda. Kigali, tout aussi régulièrement, dément ces informations et répète que l’armée congolaise collabore avec ses adversaires depuis trente ans, les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), composées au départ de militaires et de miliciens ayant participé au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et dont les descendants partageraient toujours la même idéologie. Plus largement, Kinshasa accuse le Rwanda de « siphonner » les gisements miniers de l’est du Congo, dont la mine de Rubaya, dans le Nord-Kivu, l’un des plus importants gisements de coltan au monde.
De la RDC aux États-Unis
L’obstination du président angolais à poursuivre sa médiation n’est pas inspirée uniquement par la solidarité africaine ou par une quelconque politique de bon voisinage : Luanda bénéficie du soutien des États-Unis et de l’Union européenne (UE), qui souhaiteraient développer au plus tôt un grand projet de coopération économique régionale, le « corridor de Lobito ».
Ce corridor relierait, sur une distance de 1300 km, les régions du sud de la RDC et du nord-ouest de la Zambie au port angolais de Lobito, sur l’océan Atlantique. Cette liaison permettrait d’exporter par chemin de fer les gisements miniers du Katanga, souvent qualifiés de « scandale géologique », via la côte ouest de l’Afrique au lieu de se diriger exclusivement vers les ports de l’océan Indien.
Ce projet économique stratégique a été relancé en mai 2023 dans le cadre du partenariat du G7 pour les infrastructures et les investissements mondiaux, puis en octobre de la même année lors du forum « Global Gateway ». L’Union européenne et les États-Unis ont signé, avec l’Angola, la RDC, la Zambie, la Banque africaine de développement (BAD) et l’Africa Finance Corporation, un protocole d’accord pour définir les objectifs de ce corridor destiné moins à désenclaver le cœur minier du continent qu’à orienter ses flux vers l’Atlantique et les ports états-uniens.
Un vieux projet colonial
À Bruxelles, les anciens du Congo colonial soulignent que cette idée n’a rien de neuf : avant l’indépendance de 1960, les Belges vivant au Katanga avaient l’habitude de rejoindre les plages angolaises bordant l’océan Atlantique en empruntant soit la route, soit ce qui s’appelait alors le chemin de fer de Benguela. Une grande partie de la production de cuivre de l’Union minière du Haut-Katanga empruntait la même destination, ainsi que l’uranium, qui rejoignait ainsi les États-Unis.
Les guerres qui marquèrent l’accession de l’Angola à l’indépendance en 1975 et se prolongèrent jusqu’à la fin de la guerre froide paralysèrent le chemin de fer, qui cessa de fonctionner. Du côté congolais, le manque d’entretien de la ligne puis le recours au transport routier achevèrent de rendre obsolète ce mode de transport pourtant moins onéreux et moins polluant.
Depuis plusieurs années, des accords bilatéraux conclus entre Kinshasa et Luanda ont eu pour objectif de réhabiliter la ligne. Du côté angolais, le travail a été réalisé, de la côte Atlantique jusqu’à la frontière : trente gares ont été construites sur le trajet, il est question de créer des doubles voies afin que les trains puissent circuler dans les deux sens, un aéroport international a été construit à Lobito, un terminal minéralier et pétrolier ainsi qu’un port sec attendent les marchandises. La Chine n’est pas absente du développement angolais et elle envisage de construire à Lobito une raffinerie. Du côté congolais, par contre, les 427 kilomètres restants représentent un véritable goulet d’étranglement, et le chemin de fer qui fut construit entre 1902 et 1929 attend toujours d’être remis en état...
Le monopole de la Chine
Au pouvoir durant dix-huit ans et déçu par le manque d’empressement des Européens au début des années 2000, Joseph Kabila, dès 2006, avait misé sur des accords de partenariat avec la Chine. À l’époque, ils les avaient qualifiés de « win-win » (gagnant-gagnant), l’accès aux minerais étant échangé contre la réalisation de grands travaux d’infrastructure - une politique appelée des « cinq chantiers ».
Aujourd’hui encore, les entreprises chinoises dominent la ville minière de Kolwezi. D’immenses terrils jouxtent le cœur de cette vieille ville coloniale où des creuseurs se faufilent dans des tranchées jusque dans les fondations des maisons et des commerces. Des norias de camions-remorques acheminent les minerais – souvent non traités et à peine triés – vers Durban (Afrique du Sud) et les autres ports de l’océan Indien. La pollution qu’ils dégagent empoisonne les villages situés sur le parcours.
Cuivre, uranium, cobalt et autres minerais stratégiques : les ressources de la « Copper Belt » congolaise et zambienne sont désormais au cœur du quasi-monopole de la Chine dans les technologies numériques. Il ne s’agit pas ici d’une prospère « route de la soie » mais de pistes poussiéreuses qui traversent les savanes africaines et alimentent les usines chinoises produisant du matériel informatique. Dès son premier mandat (2018-2023), Félix Tshisekedi a été très courtisé par les Occidentaux, qui espéraient un basculement politique en leur faveur.
Le rendez-vous manqué de Joe Biden en Angola
Soucieux de contrer la concurrence commerciale et technologique de Pékin, les États-Unis et l’Union européenne ont alors misé sur le corridor de Lobito. D’après ses promoteurs, cette route ferroviaire et routière raccourcirait fortement les délais de transport (huit jours pourraient suffire pour rejoindre l’Atlantique, au lieu d’un mois pour gagner les rives de l’océan Indien). Cette « voie rapide » devrait libérer l’énorme potentiel économique de la région et améliorer les exportations de l’Angola, de la RDC et de la Zambie.
Les matières premières embarquées à Lobito se dirigeraient alors vers l’autre rive de l’Atlantique, où les entreprises états-uniennes entendent bien défier la concurrence chinoise. C’est pour soutenir cet ambitieux projet que le président Joe Biden, jusqu’à ce qu’il renonce à se porter candidat pour un second mandat, avait envisagé un voyage en Angola, qui aurait été son seul déplacement sur le continent africain. C’est pour cette raison aussi que Washington et Bruxelles soutiennent les efforts de médiation de João Lourenço dans la région.
Reste à savoir quelle sera la réponse chinoise à cette concurrence occidentale. Participant au Forum sur la coopération Chine-Afrique, du 4 au 6 septembre 2024, Félix Tshisekedi a été accueilli avec tous les honneurs (bien mieux qu’à Paris quelques jours plus tard…) et ses hôtes ont réaffirmé leur attachement à l’intégrité territoriale de la RD Congo. Le président congolais, qui avait mené fin 2023 une campagne électorale imprégnée de nationalisme et axée sur la promesse d’une victoire militaire dans l’est du pays, se trouve désormais tenu par ses engagements et surveillé de près par son opinion publique. En conséquence, il se montre peu réceptif à une éventuelle négociation avec des rebelles soutenus par son voisin rwandais.
En outre, la RDC voudrait – sans trop de succès jusqu’à présent – se doter d’un port en eau profonde à Banana, dans le Bas-Congo, afin de ne pas dépendre, pour ses exportations, de ports situés dans des pays voisins, fussent-ils amis. C’est dans le même esprit qu’un aéroport international vient d’être inauguré en grande pompe à Mbuji Mayi, la capitale du Kasaï, qu’il s’agit de désenclaver avec d’autant plus d’urgence que de récentes prospections menées à la demande de la Miba (Minière de Bakwanga, une société d’État) ont révélé l’existence d’un important gisement de nickel-chrome, qui pourrait relancer l’économie de l’ancienne province du diamant. Après Bruxelles et Londres, le PDG de la Miba, Jean-Charles Okoto, compte se rendre en Chine. Dans ce contexte de concurrence internationale, le « processus de Luanda » censé ramener la paix dans l’Est du pays n’avance guère, et le corridor de Lobito n’est pas près d’ouvrir.
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