Neuf ans après sa défaite militaire face à l’armée congolaise et aux forces de la Monusco, la mission des Nations unies au Congo mise sur pied en 2009, le M23 fait de nouveau parler de lui dans l’est du pays. En attaquant les positions des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) à Chanzu et à Runyonyi dans la nuit du 27 au 28 mars 2022 (bilan officiel : 3 soldats congolais tués et 17 blessés), le mouvement rebelle a démontré l’étendue de sa capacité de nuisance. Bien que vaincu en novembre 2013 après dix-huit mois de conflit dans le Nord-Kivu, le M23 est toujours considéré comme l’une des rébellions les plus structurées ayant sévi dans l’est du pays depuis la fin de la deuxième guerre du Congo1.
En désertant les rangs de l’armée régulière pour former en 2004 la rébellion du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP)2, des soldats congolais tutsi avaient porté au grand jour des frustrations identitaires nourries de longue date. Au nom de la défense de l’intégrité de leur peuple, qu’ils jugeaient marginalisé par l’État central mais aussi menacé par les génocidaires rwandais hutu venus se réfugier dans l’est du Congo en 1994, les mutins ont mené pendant cinq ans une guerre contre Kinshasa en occupant de vastes territoires du Nord-Kivu.
Dirigé par des commandants tels que Bosco Ntaganda, dit « Terminator »3, et Laurent Nkunda, le CNDP a été accusé de nombreux massacres contre les populations civiles.
Le 23 mars 2009, à la suite des accords de paix signés avec le gouvernement congolais, les quelque 6 200 combattants du CNDP ont été réintégrés dans l’armée régulière tout en espérant une reconnaissance officielle de leur mouvement sur l’échiquier politique national. Mais les revendications de l’ex-CNDP n’ont jamais été honorées par l’État, ce qui a poussé les commandants tutsi à se mutiner de nouveau au printemps 2012 et à former le Mouvement du 23-Mars (ou M23), en référence aux accords de paix de 2009.
« Marginalisés depuis des décennies »
Laurent Nkunda a été arrêté le 22 janvier 2009, « alors qu’il fuyait en territoire rwandais », avaient alors précisé les forces congolaises et rwandaises dans un communiqué conjoint. Cette arrestation était intervenue deux jours après le lancement de l’opération militaire conjointe FARDC-FAR (Forces armées rwandaises) baptisée « Umoja Wetu », conçue dans le but de traquer les rebelles des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) dans le Kivu. Présente en RDC depuis 1994 et son exil du Rwanda, cette rébellion hutu, qui comptait en son sein des génocidaires, a toujours constitué une menace pour Kigali.
Après l’arrestation de Laurent Nkunda, un de ses proches, le général Sultani Makenga, jusque-là chargé des opérations militaires du mouvement, prend les rênes du M23. Quant à la branche politique du mouvement, elle est dirigée par Bertrand Bisimwa depuis mars 2013 et la destitution de son prédécesseur, Jean-Marie Runiga. Ce dernier était jugé trop proche de Bosco Ntaganda, considéré désormais comme un traître par une partie de la rébellion restée fidèle à Laurent Nkunda. En effet, c’est à l’initiative de Ntaganda que les accords de 2009 furent signés en dépit de l’hostilité de Nkunda et de ses partisans. Malgré ces clivages internes, le mouvement continue de se présenter comme le défenseur de la minorité tutsi de l’est du Congo.
« Nos commandants sont Tutsi et ils en sont fiers, mais ce sont avant tout des Congolais, explique aujourd’hui un cadre du cabinet politique du M23 qui a requis l’anonymat. Ils ont tous une histoire personnelle qui les a poussés à porter ces revendications liées à leur peuple, parce qu’ils sont marginalisés depuis des décennies et que leurs parents, rejetés de partout, ont vécu dans des camps de déplacés. Certains sont nés dans des camps de réfugiés au Congo après que leurs parents ont fui le génocide au Rwanda, mais en réalité notre mouvement englobe et accepte quiconque se reconnaît dans notre lutte. Il n’y a pas que des Tutsi au sein du M23. Quant au Rwanda, il ne nous soutient pas. Ce qui est vrai c’est que ce sont nos frères et qu’ils sont naturellement sensibles à notre cause. »
Le rôle trouble de Kigali
Un certain nombre de combattants du M23 ont grandi au Rwanda, une partie d’entre eux ayant même évolué dans les rangs du Front patriotique rwandais (FPR), le mouvement de Paul Kagame dont la branche militaire a fait chuter le régime génocidaire en 1994 - c’est notamment le cas de Bosco Ntaganda. Depuis la naissance du CNDP, Kigali a toujours été accusé de soutenir les mouvements rebelles d’influence tutsi dans le Nord-Kivu. En 2013, le gouvernement américain avait exigé du Rwanda qu’il mette fin à son soutien aux mutins du M23. Réfuté aussi bien par le gouvernement rwandais que par les membres de la rébellion, cet appui n’a jamais fait de doute pour les militaires congolais.
« Kigali niait, mais nous, au front, il nous arrivait de capturer des combattants rwandais ou des soldats du M23 qui étaient passés par le Rwanda, explique, sous le couvert de l’anonymat, un gradé congolais ayant pris part au conflit en 2013. Le message, c’était d’anéantir le M23, point ! Il ne s’agissait absolument pas de mener la guerre jusqu’au Rwanda, même si, avec les informations qu’on avait, on savait parfaitement d’où et de qui venait cette guerre. Le Rwanda est dirigé par des Tutsi, le M23 est une mutinerie de soldats congolais tutsi, ils sont frères et parlent la même langue4, ils avaient même souvent des liens familiaux au Rwanda. »
Lors de la reprise des combats, fin mars 2022, le gouvernorat militaire du Nord-Kivu5 a annoncé la capture de deux éléments présentés comme des soldats rwandais issus des rangs du M23. Si Kigali a dénoncé une mise en scène tout en niant leur appartenance à l’armée rwandaise (les deux éléments avaient en réalité été arrêtés un mois plus tôt), le doute persiste à Kinshasa.
Le gouvernement du Rwanda dénonce les allégations du porte-parole du gouverneur du Nord-Kivu selon lesquelles la RDF aurait soutenu les groupes armés qui auraient lancé des attaques à Tshanzu et Runyoni en République démocratique du Congo.
Le communiqué complet 👇🏾 pic.twitter.com/NuulJE48zr
— Government of Rwanda (@RwandaGov) March 29, 2022
Pour le Groupe d’études sur le Congo (GEC), si l’implication du Rwanda n’a pas été prouvée, elle pourrait trouver une justification dans la lutte d’influence à laquelle le pays se livre avec l’Ouganda depuis vingt-cinq ans dans l’est du Congo.
Une autre possibilité, et le plus grand risque, est que les combats soient la manifestation de tensions régionales. Après tout, nous savons que le lancement d’opérations conjointes entre les armées ougandaise et congolaise contre les ADF [Allied Democratic Forces] en novembre 2021 a provoqué la colère des responsables à Kigali. La dispute la plus récente entre les deux pays remonte à 2019, lorsque le Rwanda a accusé l’Ouganda d’abriter des dissidents ; Kampala a allégué que le Rwanda espionnait et enlevait des personnes dans son pays. Il y avait d’autres contentieux, notamment la construction d’un chemin de fer et la concurrence sur les exportations d’or de l’est du Congo. À la suite de ces disputes, le Rwanda a fermé son passage frontalier critique avec son voisin à Gatuna.
Le député du territoire de Walikale (Nord-Kivu), Juvénal Munubo, a déposé une « question orale avec débat » au bureau de l’Assemblée nationale à l’intention du ministre congolais de la Défense pour comprendre les causes de la résurgence du M23. « Toute la délicatesse de la démarche est de savoir si le Rwanda est derrière le M23, explique-t-il. Si le Rwanda est derrière ce mouvement, c’est que la diplomatie entre le Congo et le Rwanda n’est pas du tout marquée par la sincérité. Pourtant, nous sommes tous membres de l’East African Community6. Donc il nous faut faire des vérifications avant d’affirmer que le M23 a encore bénéficié d’un appui du Rwanda, en dépit du fait que Kinshasa l’a déjà affirmé. Par contre, si le Rwanda soutient bel et bien le M23, alors la question doit être prise au sérieux. J’attends des réponses à ces questions, encore faut-il que le ministre de la Défense vienne y répondre à l’Assemblée nationale. »
« Quiconque nous souhaite la guerre, nous la lui donnons »
Dès son accession à la tête de la RDC, en janvier 2019, le président Félix Tshisekedi avait manifesté sa volonté de rapprochement avec le Rwanda, à contre-courant d’une large partie de l’opinion nationale qui considère l’État voisin comme belliqueux. N’hésitant pas à plusieurs reprises à désigner Paul Kagame comme son « frère », Tshisekedi avait notamment déclenché une vive polémique au Congo en s’affichant main dans la main avec le président rwandais lors d’une rencontre à Kigali en 2019.
Matérialisé par la signature d’accords économiques en juin 2021, cet effort de coopération entre les deux pays est dépendant de la situation sécuritaire dans le Nord-Kivu. En février 2022, Paul Kagame avait brandi la menace d’une intervention militaire rwandaise sur le territoire congolais, sans l’autorisation de Kinshasa, pour combattre les forces hostiles telles que les FDLR. « Le problème que nous avons avec la RDC, et nous insistons, ce sont les FDLR et ceux qui cherchent à coaliser avec les ADF contre le Rwanda. Nous avons un temps pour observer, négocier, mais pour notre sécurité, on n’a pas besoin d’une autorisation pour intervenir », avait-il déclaré, avant de conclure : « Nous souhaitons la paix à tout le monde dans la région, mais quiconque nous souhaite la guerre, nous la lui donnons. Nous avons des professionnels formés pour cela. Le Rwanda est de petite taille, notre doctrine est de faire la guerre en territoire ennemi quand cela l’exige. »
Lors de l’ouverture de la 12e conférence diplomatique à Kinshasa, quelques jours après ces déclarations particulièrement mal perçues en RDC, Félix Tshisekedi avait rétorqué : « Il est irréaliste et improductif, voire suicidaire, pour un pays de notre sous-région de penser qu’il tirerait toujours des dividendes en entretenant des conflits ou des tensions avec ses voisins. »
Un groupe jamais démantelé
Le M23 n’a jamais été dissous après sa défaite militaire de 2013. Bertrand Bisimwa, le président du mouvement, explique la reprise récente des combats par les refus systématiques du gouvernement d’appliquer les engagements pris par l’État congolais lors de la signature des accords de Nairobi à l’issue du conflit le 12 décembre 2013.
Le M23 souhaite que le Chef de l’Etat accélère le processus du rapatriement de nos ex combattants et la mise en œuvre des déclarations de Nairobi en vue de libérer le processus de pacification de l’Est du pays, pris en otage par certains officiers de renseignement congolais. pic.twitter.com/6yU0rZtyPF
— Bertrand Bisimwa (@bbisimwa) July 17, 2020
Nous avons tout fait pour éviter une nouvelle guerre dans ce pays. Cependant le gouvernement congolais a fait ses choix. pic.twitter.com/LoKwZYSaPM
— Bertrand Bisimwa (@bbisimwa) March 25, 2022
L’un des points de crispation concerne la démobilisation des miliciens et le retour en RDC des combattants congolais réfugiés dans les pays frontaliers. Ce point figure en tête des revendications du M23. Mais, pour l’heure, seule une centaine de ses combattants ont officiellement été rapatriés, dont soixante en provenance d’Ouganda en février 2019. Face aux difficultés de démantèlement de la rébellion, celle-ci a toujours constitué une menace pour la sécurité dans le Nord-Kivu, comme lorsque des combats avaient éclaté de manière sporadique en février 2017.
« Tout ce qui est en train de se passer aujourd’hui était à prévoir, regrette, sous le couvert de l’anonymat, un gradé du 42e bataillon commando des unités de réaction rapide ayant pris part au premier conflit contre le M23 en 2012-2013. Vers la fin de la guerre, en 2013, quand on prenait le dessus sur eux et qu’on les sentait à bout de forces, nos ordres étaient de neutraliser leurs commandants avant qu’ils ne traversent la frontière avec l’Ouganda. Le but était de décapiter cette rébellion le plus tôt possible, parce qu’on savait qu’elle risquerait de se reconstituer dans le futur et de menacer à nouveau la population congolaise. Si on avait réussi à les stopper à cette époque-là, tout ça serait de l’histoire ancienne. »
« Lorsqu’on a vaincu le M23, en 2013, il y a eu un accord signé à Nairobi, explique le député Juvénal Munubo. Dans cette déclaration, il y avait un certain nombre d’engagements que Kinshasa devait respecter, notamment le rapatriement [des anciens combattants] et un mécanisme de réconciliation. Le problème, c’est qu’avec la fin du mandat de Kabila et l’arrivée de Tshisekedi, en 2019, le dossier M23 n’a été suivi ni par le gouvernement sortant ni par le gouvernement entrant. Il faut donc comprendre que le M23 essaie à présent de se faire entendre en faisant pression sur Kinshasa. »
« Nous sommes à l’heure du choix »
Le 23 avril 2022, le gouvernement congolais a opté pour une solution négociée en entamant des pourparlers avec les représentants d’une dizaine de groupes armés7 actifs dans l’est du Congo. Cette décision faisait notamment suite au cessez-le-feu unilatéral décidé par le M23 le 1er avril. Tenues sous l’égide du Kenya à Nairobi et en présence d’observateurs venus de l’Ouganda, du Rwanda et des Nations unies, ces discussions ne plaçaient donc pas le M23 au centre du débat. Le groupe armé s’est même fait exclure de la table des négociations dès le deuxième jour, à la demande de la RDC, en raison de sa rupture du cessez-le-feu dans le Rutshuru : les FARDC ont en effet accusé le M23 d’avoir « violé » la trêve après des combats à Bugusa le 24 avril 2022. Depuis cette initiative infructueuse, le flou règne autour de la gestion de la menace du M23 par Kinshasa. Pour le député Juvénal Munubo, il est temps pour le gouvernement d’opter pour une solution ferme et résolue, qu’elle soit négociée ou militaire.
« Tout dépend, estime-t-il, de la manière dont les FARDC évaluent leurs propres capacités d’action face à ce groupe. Est-ce qu’en lançant l’offensive il y a vraiment moyen de mettre fin à cette menace-là ? Nous sommes à l’heure du choix. Soit on opte pour la solution militaire et on y va jusqu’au bout sans aucune possibilité de retour à la table des négociations. Soit on se rend compte qu’on n’a pas assez de moyens pour mener le combat jusqu’au bout, et là il faudra se résoudre à appliquer les accords de Nairobi 8 et revenir sur des points sur lesquels le gouvernement s’était engagé à travailler. »
Invité par Afrique XXI à commenter la situation, le porte-parole du gouvernement de la République démocratique du Congo n’a pas donné suite.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1Conflit ayant opposé le Congo à l’Ouganda et au Rwanda avant de s’étendre à d’autres pays limitrophes, entre 1998 et 2003.
2Le mouvement armé se dotera d’une branche politique dirigée par Désiré Kamanzi à partir de février 2009.
3Bosco Ntaganda a été transféré à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye après sa reddition, en 2013. Reconnu coupable de 18 chefs d’accusation pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, il a été condamné à 30 ans de prison par la CPI en novembre 2019.
4À noter que le kinyarwanda, bien que parlé par les Hutu comme par les Tutsi, est parfois perçu de manière erronée comme exclusivement tutsi par certains Congolais.
5Depuis le 6 mai 2021, des gouverneurs militaires gèrent les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri en lieu et place des civils dans le cadre de l’état de siège instauré par le président Félix Tshisekedi pour lutter contre les groupes armés actifs dans les deux provinces.
6La RDC est devenue le 7e membre de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) le 29 mars 2022.
7Il s’agit pour la plupart de groupes d’autodéfense dits « Maï-Maï » opérant dans le Sud-Kivu.
8Il est question ici des accords de Nairobi ayant mis fin à la guerre contre le M23 en 2013.