RD Congo. À Goma, une vie sur un volcan

Dans la grande ville du Nord-Kivu, les gens ont appris à vivre avec la menace du Nyiragongo, dont l’immense cratère est situé à quelques kilomètres seulement. Vénérée autant que crainte, la montagne de feu ravage régulièrement son environnement. La dernière éruption, en mai 2021, a mis en lumière l’incurie des autorités congolaises et le désintérêt de la communauté internationale pour les sinistrés.

La ville de Goma se trouve au pied du volcan Nyiragongo.
Abel Kavanagh / Monusco

Du haut de ses 3 470 mètres d’altitude, le mont Nyiragongo pourfend l’horizon de la ville de Goma, distante d’une petite vingtaine de kilomètres seulement. Le volcan au cratère d’environ 1 200 mètres de diamètre abrite le plus grand lac de lave en fusion de la planète. La roche volcanique qui caractérise Goma et les villages alentour rappelle combien, par ses éruptions successives, le Nyiragongo s’est imbriqué dans le quotidien d’habitants qui se considèrent comme ses « sujets ». Les non-initiés aux coutumes du Nord-Kivu seraient effectivement bien surpris d’y entendre parler de « Sa Majesté » pour évoquer le volcan. On oscille entre crainte et déférence, terreur et affection envers cette montagne de feu omniprésente dans les récits et croyances ancestrales, mais dont l’activité bien réelle est un danger permanent pour les près de deux millions d’habitants qui vivent à ses pieds.

Situé à l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le Nyiragongo est l’un des volcans de la vallée du Grand Rift, sur la chaîne de montagnes des Virunga, qui comprend également les volcans Nyamulagira (3 063 m), Karisimbi (4 507 m), Mikeno (4 437 m), Sabyinyo (3 669 m) et Visoke (3 696 m), tous adossés à la frontière avec le Rwanda. Sa proximité avec le lac Kivu, dont les eaux sont chargées en dioxyde de carbone et en gaz méthane, fait craindre une éruption limnique. Ce phénomène, déclenché par un séisme ou une éruption volcanique, survient lorsque les eaux profondes du lac remontent à la surface en libérant des quantités gigantesques de gaz carbonique dans l’air. Un tel scénario provoquerait une asphyxie des populations.

Si les Occidentaux ont commencé leur surveillance en relevant l’activité du Nyiragongo en 18841, les riverains ont toujours eu écho de récits ancestraux évoquant la colère des montagnes déversant leurs flots de flammes. Ça n’est pourtant qu’en 1948 que les Congolais assistèrent pour la première fois « de mémoire d’homme » à l’éruption du volcan – cette même année, le volcanologue Haroun Tazieff fut le premier à braver ce cratère réputé inaccessible. Depuis, le Nyiragongo a connu trois éruptions majeures, en 1977, en 2002 et en 2021, qui ont chacune fait de nombreuses victimes2.

Un observatoire sous le feu des critiques

Pourtant, la ville de Goma dispose d’un Observatoire volcanologique (OVG) qui, depuis sa création en 1986, scrute les moindres frémissements du Nyiragongo et du Nyamulagira. À chaque éruption, l’Observatoire est pointé du doigt pour son incapacité à alerter en amont. En 2002, les volcanologues congolais avaient pourtant annoncé l’imminence d’une éruption sans être pris au sérieux par leurs partenaires scientifiques européens3. Il est vrai que la structure manque d’équipements adaptés à la surveillance des volcans et pâtit d’une mauvaise gestion. Mais les scientifiques locaux dénoncent également une « ombre néocoloniale » de la part de leurs partenaires belges du Musée de Tervuren. Ces accusations ont été émises dans un mémorandum daté du 2 juin 2021 et adressé au président de la République, Félix Tshisekedi.

Dans ce document, le délégué syndical principal de l’OVG, Innocent Zirirane Bijandwa, met l’inefficacité de l’institution sur le compte de « la corruption, [du] détournement des salaires des agents depuis 2013 » ou encore « [du] détournement des fonds d’investissement alloués par le gouvernement national, [du] clientélisme », et enfin de « la prise en charge de l’OVG par un petit groupe de scientifiques néocolonialistes ». Sur ce dernier point, le syndicaliste explique que l’Observatoire n’était pas autorisé à exploiter ses propres données volcaniques avant d’avoir reçu l’aval des scientifiques qui se trouvent en Belgique. L’un des « partenaires » en question, Adrien Oth, de l’European Center for Geodynamics and Seismology (ECGS), s’est dit « très surpris » de ces accusations. Dans le magazine Science4, le scientifique luxembourgeois a réfuté tout monopole de données et a souligné la mauvaise gestion interne à l’OVG ainsi que la corruption, qui auraient selon lui poussé la Banque mondiale à ne pas renouveler son soutien financier à l’institution en 20205.

Du côté de l’OVG, le chercheur Célestin Mahinda assure que c’est la crise liée au Covid-19 qui a causé l’interruption de l’aide financière – une décision qui a eu des conséquences désastreuses pour les scientifiques sur le terrain, puisque le Nyiragongo et le Nyamulagira n’ont tout simplement plus été surveillés durant sept mois. « Avant le Covid-19, il y avait un projet soutenu par la Banque mondiale qui finançait le fonctionnement de l’OVG. Le projet s’est arrêté le 30 juin 2020. D’octobre 2020 à avril 2021, il n’y avait plus d’internet à l’observatoire. Pendant tout ce temps, nous n’avions plus de données en temps réel. Il n’y avait pas de frais de fonctionnement. Nos stations sont éloignées, certaines à 150 kilomètres. Nous avons passé ce temps sans avoir des données », expliquait-il en mai 2021.

Critiqué pour son manque d’anticipation, son absence de budget pour l’OVG ainsi qu’une gestion laborieuse de l’évacuation des populations, le gouvernement s’était engagé à payer les arriérés des primes de risque et des frais de fonctionnement au personnel de l’Observatoire. D’après nos informations, cette question n’avait toujours pas été résolue début septembre 2022. Touchant un salaire moyen de 35 dollars environ, les agents de l’OVG demandent une augmentation de leur rémunération.

Un socle de la mémoire ancestrale

L’évacuation des populations n’est pas une mince affaire. 100 km/h : c’est la vitesse que peuvent atteindre les coulées de lave sur les flancs du Nyiragongo, faisant d’elles les plus rapides au monde. Si Goma n’est qu’à 10 kilomètres du sud du cratère, d’autres populations vivent dans des zones plus proches encore du danger. Or, pour ces habitants, il est hors de question de quitter la terre des ancêtres, quel que soit le risque encouru.

Le mwami Butsitsi Kahembe IV est à la tête du royaume de Bukumu, dans le territoire de Nyiragongo6. La chefferie de Bukumu est située au pied du volcan – on ne saurait en être plus proche, comme en attestent les plaines de roche volcanique qui la traversent en partie. Le mwami aime à rappeler combien son peuple, les Bakumu, sont attachés à leur terre et aux croyances ancestrales autour du volcan. Il est vrai qu’au Nord-Kivu une riche mythologie entoure la chaîne des volcans des Virunga, et en particulier le Nyiragongo, dont l’essence, les caprices et la colère seraient en permanence connectés au bon vouloir des ancêtres. Une part de la résilience des populations voisines du volcan semble en effet renfermer une dimension relevant du spirituel, voire du mystique.

Les croyances autour du volcan Nyiragongo datent de temps immémoriaux, explique le mwami. Il est difficile de les situer avec exactitude dans le temps, certains les datent aux alentours du XIVe ou du XVe siècle avec l’arrivée de nos peuples dans cet espace. Initialement, avant qu’il ne soit transformé par l’influence des dialectes locaux et rwandophones, le volcan s’appelait Nina Ongo, qui veut dire « la mer de feu », ou « celle qui crache du feu », ou encore « la montagne de feu ». Nos populations considéraient que le Nyiragongo était l’incarnation parfaite de la croyance divine. Pour maîtriser les différentes éruptions qui étaient perçues comme un signe de la colère de Dieu, le mwami, accompagné de ses notables et des gardiens de coutumes, faisaient des rituels chaque année, durant lesquels ils sacrifiaient soit une fille vierge, soit une vache, afin d’atténuer la colère des ancêtres. Il y avait aussi le rituel du muganuro, lors duquel le roi bénissait les semences. Et comme la terre qui nous entoure est celle du volcan, nous bénissions cette terre pour que le volcan continue à nous donner cette terre fertile qui nous permet de vivre.

Le mwami Butsitsi Kahembe IV assure que les rituels ne sont plus d’actualité de nos jours . Les croyances autour du volcan sont quant à elles bien vivaces et ont même été embrassées par les populations de Goma originaires d’autres territoires du Kivu, comme les Nande ou les Shi. A contrario, le volcan revêt une signification négative pour les populations de la chefferie de Bwisha, dans le Rutshuru, mais également pour celles vivant de l’autre côté de la frontière, au Rwanda, où le cratère du Nyiragongo est perçu comme le lieu de résidence des mauvais esprits. Certaines croyances locales voudraient également qu’il revienne au volcan Nyamulagira (« celui qui ordonne ») d’intimer l’ordre au Nyiragongo d’entrer en éruption pour manifester sa colère.

Deux gardes du Parc national des Virunga contemplent la lave du cratère Nyiragongo en 2016.
© Abel Kavanagh / Monusco

« Les personnes qui émettent des réserves sur ces traditions savent qu’il y a quelque chose qui ne relève pas uniquement de la science, estime le mwami. Les gens ont toujours la croyance qu’une éruption est le signe d’un malaise dans la société ». Ainsi pour lui, l’éruption de 2021 est liée au conflit qui l’oppose depuis plusieurs années à un de ses oncles et un de ses cousins, Jean-Bosco Butsitsi et Bazima Bakungu, qui se disputent le titre de mwami.

Des sinistrés abandonnés

Quel que soit le sens ou l’interprétation qu’ils donnent aux éruptions du volcan, ceux qui vivent à ses pieds sont exposés à une réalité implacable, celle de la destruction des biens et du déplacement des personnes, dans le meilleur des scénarios. Lors de l’éruption de la nuit du 21 au 22 mai 2021, les autorités congolaises ont communiqué au Haut-Commissariat aux réfugiés un bilan de « 32 morts dans des incidents liés à l’éruption, dont sept personnes tuées par la lave et cinq asphyxiées par les gaz ». Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) a pour sa part comptabilisé 364 000 déplacés le 22 mai, dont « la majorité sont rentrés chez eux depuis ».

Pour les sinistrés ayant tout perdu, des camps ont été mis en place, notamment à Kahembe, Kanyaruchinya, Mujoga ou encore Kibati, en territoire de Nyiragongo. Plus d’un an après l’éruption, aucune solution alternative n’a été trouvée pour ces victimes dont on ignore le nombre exact. De nombreux témoignages de sinistrés et de membres de la société civile ont fait état, dès juin 2021, de la présence de « faux déplacés » venus s’inscrire sur les listes afin de bénéficier d’une aide alimentaire et médicale. Dans le même temps, des sinistrés bien réels ont été laissés de côté par les mécanismes d’aide, notamment sur le plus grand site de déplacés situé à Kahembe, où l’on rapporte qu’une femme est morte de faim le 31 août 2022 - il s’agit de la cinquième victime en moins d’un mois.

Afin d’éviter de tels drames humains, les autorités et l’Observatoire volcanologique de Goma tentent de sensibiliser en amont et de prévenir les populations riveraines du volcan sur les risques d’une éruption et sur les réflexes à adopter en cas de séisme, ainsi que l’a démontré le chercheur Vincent Mukwege Buhendwa dans une étude consacrée à la gestion de l’information dans la surveillance des volcans Nyiragongo et Nyamulagira. « Dans ses initiatives de gestion des risques volcaniques avec l’aide des communautés, l’OVG collabore étroitement avec les communautés, en nouant des contacts avec les chefs de quartier qui sont des cadres de base en charge de l’administration et de la gestion de la population, peut-on y lire. Une fois ce pont jeté entre l’OVG et ses partenaires communautaires, ceux-ci sont formés et outillés dans la gestion des risques volcaniques et peuvent, à leur tour, restituer l’information à leurs administrés et maintenir cette chaîne de communication interpersonnelle7 ». Mais cela ne suffit pas.

Des besoins humanitaires croissants

Alors que l’est du Congo est miné par les conflits armés, le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés (UNHCR) a admis en août 2022 son impuissance financière face aux « besoins humanitaires croissants des réfugiés et des personnes déplacées internes en République démocratique du Congo (RDC) ». Les sinistrés de l’éruption de mai 2021 sont en effet venus s’ajouter aux milliers de Congolais ayant fui les conflits armés dans cette même province du Nord-Kivu. « En raison d’un manque de financement, le HCR n’est pas en mesure de répondre à l’ensemble des besoins humanitaires croissants des réfugiés et des personnes déplacées internes en République démocratique du Congo (RDC) », a déploré l’agence dans un communiqué.

L’est de la RDC est l’une des opérations du HCR les plus sous-financées au monde. Le 30 juin 2022, seulement 19 % du montant de 225 millions de dollars prévus au budget en début d’année avaient été obtenus. « Cette pénurie de fonds affecte de façon significative la vie des personnes contraintes de fuir, indique l’agence. Les besoins en RDC sont massifs. Au début de l’année, le pays accueillait plus d’un demi-million de réfugiés et de demandeurs d’asile, et plus de 5,6 millions de personnes déplacées internes ».

Sollicité sur sa gestion des réfugiés, le gouvernement militaire du Nord-Kivu, mis en place au mois de mai 2021 dans le cadre de l’état de siège8, ne s’est pas montré disponible pour répondre à nos questions.

1Michel Detay, « Le Nyiragongo : volcan de tous les dangers et maîtrise des risques », LAVE, revue de l’association de volcanologie européenne n° 153, 2011.

2Pour la première éruption, le bilan varie entre 600 et 2 000 morts, le gouvernement zaïrois n’ayant pas fourni de chiffre officiel. Le 17 janvier 2002, l’éruption du volcan a fait entre 147 et 250 morts, et 120 000 sans-abris. Le 21 mai 2021, la dernière éruption en date a provoqué la mort de 32 personnes et le déplacement de plusieurs milliers d’autres.

3Voir le témoignage du volcanologue Célestin Mahinda diffusé par France 24.

4Roland Pease, « European data monopoly hurt forecasts of deadly eruption, Congolese researchers charge », Science, 15 juin 2021.

5La Banque mondiale soutenait financièrement l’Observatoire volcanologique de Goma depuis 2015.

6« Mwami » est le titre royal des leaders politique, administratif et culturel des chefferies dans l’est de la RDC.

7Vincent Mukwege Buhendwa, « Gestion de l’information dans la surveillance des volcans Nyamulagira et Nyiragongo à l’Est de la République Démocratique du Congo », 2018.

8L’état de siège a été décrété le 6 mai 2021 par le président de la République Félix Tshisekedi, pour lutter contre l’activisme des groupes armés dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Le gouvernement provincial civil y est remplacé par un gouvernement militaire pendant la durée de l’état de siège.