
Depuis le 28 janvier, trois ans après que le M23 a repris les armes, Goma, la ville principale de l’est de la République démocratique du Congo (RD Congo), est entièrement contrôlée par le groupe rebelle soutenu par les forces spéciales du Rwanda. Trois jours durant, les Forces armées de la RD Congo (FARDC), épaulées par les Wazalendos1, ont tenté de contenir les combattants du M23 et l’armée rwandaise. Au terme d’intenses combats, cette bataille de Goma a causé la mort de plus de 3 000 personnes d’après l’ONU2.
Le 21 février, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté une résolution3 qui « condamne fermement l’offensive menée par le M23 […] avec le soutien de la Force de défense rwandaise ». Le texte exige « la cessation des hostilités, invite toutes les parties à conclure un cessez-le-feu et appelle au retrait immédiat du M23 et de ses alliés rwandais […] sans conditions préalables ».
Sans effet pour l’instant sur le terrain. Un cycle de terreur et de mort s’est installé dans la ville : les intimidations, les menaces, les viols et les exécutions rythment les journées. Des Gomatriciens témoignent auprès d’Afrique XXI. Tous les prénoms ont été changés pour préserver leur anonymat et leur sécurité.
« Nous avons adopté des réflexes de survie »
Les images de la population de la plus grande ville du Nord-Kivu accueillant les soldats du M23 en héros ont interpellé les Congolais. Le 27 janvier, alors que les premières colonnes du M23 entraient dans Goma par le nord, les habitants du quartier Majengo formaient des haies d’honneur en les acclamant et en chantant à leur gloire. Ces manifestations semblaient valider la cause des « libérateurs ». « Ceux qui sont en dehors de Goma n’ont pas compris ces images qui ont circulé sur les réseaux sociaux », admet Yannick, un habitant de Goma.
Ce qu’il faut comprendre c’est que, dès le départ, les gens ont adopté un réflexe de survie. Le quartier Majengo, par lequel le M23 est entré dans la ville, est principalement peuplé de Nandes, un peuple très hostile aux visées identitaires du M23, notamment par rapport aux Tutsis [communauté à laquelle appartiennent en majorité les membres du M23, NDLR]. S’ils les ont accueillis comme ça, c’était pour faire “ami-ami”, pour se les mettre dans la poche et éviter d’apparaître comme une population hostile. D’ailleurs, si j’avais été avec eux à ce moment-là, moi aussi je serais sorti célébrer les envahisseurs, oui je l’aurais fait ! Goma a déjà été occupée par le M23 dans le passé4, nous savons comment ils opèrent, nous connaissons leurs procédés, nous savons la terreur qu’ils imposent.
Les premiers jours du M23, soutenu par des milliers d’éléments des Forces de défense du Rwanda (Rwanda Defence Force, RDF), ont plongé Goma dans l’inconnu le plus total, alors que la ville était privée d’eau, d’électricité, de réseau mobile et d’accès à Internet par le gouvernement. Pris au piège, des dizaines de soldats des FARDC ont été exécutés par le M23 et les RDF alors qu’ils se rendaient, selon des sources militaires et civiles locales concordantes. Sur les réseaux sociaux, les images de leurs corps baignant dans des mares de sang ont choqué les internautes. De nombreux autres témoignages, vidéos à l’appui, ont fait état d’enlèvements et d’enrôlements forcés de jeunes Gomatraciens par le M23, avec exécution systématique des récalcitrants.
Ces récits ont contrasté avec les scènes du 6 février, date du premier grand meeting organisé au stade de l’Unité par le M23 et leurs alliés de l’Alliance Fleuve Congo (AFC, la vitrine politique du groupe armé, dirigée depuis le 15 décembre 2023 par l’ancien président de la Commission électorale nationale indépendante Corneille Nangaa). Face à une foule en liesse réclamant la prise de Kinshasa par les rebelles, les différents leaders politiques du mouvement se sont succédé à la tribune pour solliciter la confiance de la population.
« Des FARDC ont pillé et commis des viols »
« Tout ça était en grande partie artificiel », reconnaît Rashidi, un habitant de la ville. « La réalité, c’est que la veille du meeting, des militants du M23 circulaient dans tous les quartiers de la ville à moto, avec des haut-parleurs, et ils nous disaient d’envoyer au moins une personne par famille pour assister au meeting, sous peine d’être fouettés, battus ou torturés. Les gens ont eu peur, donc ils se sont pointés au stade. » Rashidi poursuit :
Je pense qu’une infime minorité de la population adhère réellement au discours du M23, parfois par proximité ethnique avec eux, car nous avons des Tutsis à Goma et certains sont sensibles à la cause du M23 et du Rwanda5. Mais il y en a d’autres qui vont adhérer au M23 par dépit, parce qu’ils ne veulent plus avoir affaire à Kinshasa : en fuyant la ville, dans les dernières heures des combats, des éléments des FARDC ont pillé nos magasins, certains ont commis des viols. J’ai un voisin dont l’épouse a été violée par eux, puis ils l’ont violé, lui, sous les yeux de sa famille. Dans le même temps, depuis des années, Goma fournit énormément de garçons à l’armée congolaise. Voir comment nos soldats ont été abandonnés par leur hiérarchie6 dans la ville, comment ils ont été massacrés, ou comment certains ont été recrutés par l’ennemi, ça fait mal au cœur et nous tenons Kinshasa pour responsable de cela. Des gens ont donc choisi de soutenir le M23 parce qu’ils étaient déçus de l’indiscipline et des crimes des FARDC, mais aussi parce qu’ils se sont sentis humiliés de voir les soldats les plus braves livrés à eux-mêmes.
Dans le discours des leaders du M23, comme le porte-parole et major Willy Ngoma, le mouvement « ne commet pas de pillages, ni de tracasseries », contrairement aux FARDC et aux FDLR7, qui « mangent la chair humaine à Goma8 » [sic]. Mais cette volonté de s’ériger en libérateurs du peuple congolais, disciplinés et respectueux du droit international, s’est vite heurtée à la brutalité du groupe armé.
« Le M23 s’en prend à ceux qui résistent »
Le 11 février, le chef coutumier Prosper Kimanuka Musekura, chef du village Kiziba 2, dans le Nyiragongo, a été tué à son domicile avec toute sa famille par des hommes armés. La circulation des armes dans Goma et la présence d’anciens détenus évadés de la prison de Munzenze lors de la chute de la ville ont rendu la région plus dangereuse. Mais, si les auteurs de l’assassinat du chef coutumier n’ont pas été clairement identifiés, l’homme était connu pour avoir refusé de collaborer avec le M23 et de reconnaître son autorité.
Autre voix discordante éliminée, le chanteur engagé Idengo Delcat, qui a été tué le 13 février au nord de la ville. Emprisonné pour ses chansons hostiles au président Tshisekedi, l’artiste faisait partie des évadés de la prison de Munzenze. Il a été abattu par balles quelques heures seulement après la mise en ligne d’une nouvelle chanson ciblant explicitement le M23. « C’est un assassinat pour l’exemple, c’est le propre de la terreur », estime Yannick :
Ce qu’ils sont en train d’installer fonctionne, car personne aujourd’hui ne peut se permettre de critiquer le M23 ouvertement dans la ville. Voir l’un de nos artistes phares se faire tuer comme ça, mais aussi un chef coutumier, ça glace le sang. Pour le chef Kimanuka, certains disent que ce sont des bandits armés qui l’ont tué. Mais qu’importe les auteurs de ce crime, ça participe au climat de terreur. En fait, le M23 s’en prend à nous, à ceux qui résistent, à ceux qui refusent de s’enrôler, à ceux qui n’adhèrent pas à leur combat. Mais la ville de Goma est aussi devenue le “far west” avec toutes les armes abandonnées par l’armée et les Wazalendos, et les anciens détenus qui se sont évadés de Munzenze. Le M23 a exécuté beaucoup de jeunes hommes en prétendant ensuite qu’il s’agissait d’évadés et de bandits et que c’était pour nous protéger. Tout ça participe au climat de terreur qui règne depuis un mois.
Le samedi 22 février, dans le quartier Katoyi, douze jeunes hommes ont été tués par balles9. Ce massacre a fait basculer toute une population dans l’incompréhension et la colère, plongeant des dizaines de familles dans le deuil. Personne n’a la moindre certitude sur l’identité des auteurs de cette tuerie, mais beaucoup accusent le M23 au motif que ces jeunes, non armés et n’appartenant à aucune milice, auraient refusé de rejoindre leurs rangs. « C’était des civils, ils n’avaient fait de mal à personne, il n’y avait aucune raison de les tuer », déplore un habitant ayant requis l’anonymat : « Le M23 et les Rwandais sont en train d’installer quelque chose de très mauvais à Goma. Si ça continue comme ça, la population va finir par se soulever, ce qui risque de provoquer beaucoup de morts. »
« La situation des déplacés reste dramatique »
Aux côtés du M23, les soldats des Forces rwandaises sont bien visibles. Reconnaissables à leur français approximatif [les Rwandais sont anglophones, NDLR] ou à leur maîtrise limitée du swahili pour certains, ils ont popularisé le kinyarwanda (la langue nationale rwandaise) à Goma, une langue bien connue dans la région et dont une variante, le kinyabwisha, est parlée dans plusieurs endroits du Nord-Kivu, notamment dans le territoire de Rutshuru ou dans celui du Masisi. Si leurs équipements sophistiqués et leur discipline ont permis la prise de Goma en moins d’une semaine, les Rwandais constituent également une force dissuasive dans la ville et sa périphérie, notamment par leur rôle joué dans les déplacements forcés de population.
Ainsi, le 11 février expirait un ultimatum de 72 heures, lancé par le M23 aux populations déplacées et installées autour de Goma, pour qu’elles rentrent chez elles. Depuis trois ans, le chef-lieu du Nord-Kivu était perçu par les habitants des zones occupées par le M23 comme l’endroit le plus sûr dans la province. Toute la périphérie de Goma était jalonnée de tentes et d’abris de fortune où vivaient des milliers de déplacés. D’après l’ONU, pas moins de 110 000 d’entre eux ont repris la route pour chercher refuge ailleurs dans la province. « Certains vont rentrer chez eux, mais dans quel état vont-ils trouver leurs villages, alors que des maisons ont été bombardées par le M23 depuis le début de la guerre ? », s’interroge un acteur associatif local.
Les rebelles ont rétabli l’électricité, qui avait été coupée par le gouvernement, ils disent s’occuper de la question des déplacés... Ils veulent montrer qu’ils règlent les problèmes mais cela se fait sous la pression et sans rien arranger. Beaucoup de gens qui ont quitté les sites de déplacés sont toujours des sinistrés, des sans-domicile, ou bien ils sont hébergés par des amis, des voisins... Leur situation reste dramatique.
En prenant le contrôle de Goma, les combattants du M23 et les soldats rwandais ont pris leurs quartiers au camp militaire de Katindo, du nom d’un quartier de la ville et où sont logées les familles des FARDC. Sans nouvelles de leurs maris, dont beaucoup ont été tués au front ou enrôlés par le M23, des femmes et leurs enfants errent dans Goma, investissent des écoles inoccupées avant d’en être chassés par les nouveaux maîtres de la ville.
« Chacun de nous connaît une famille en deuil »
« Le M23 veut à tout prix imposer l’ordre dans la ville, tous les discours que leurs leaders tiennent tournent autour de ce point-là », décrypte Isaac, un proche de la Lucha, un mouvement citoyen congolais qui lutte pour la justice sociale. L’organisation est particulièrement visée : elle a annoncé l’assassinat par le M23 le 12 février d’un de ses membres, Pierre Byamungu Katema10.
Le problème, c’est que ce ne sont pas des gens habitués à administrer des espaces de manière pacifique, et encore moins des villes comme Goma, Minova ou Bukavu [la principale ville du Sud-Kivu tombée aux mains du M23 le 16 février, NDLR]. On voit qu’il y a tous les jours des cas de justice populaire, des lynchages, il n’y a plus de police digne de ce nom et le maintien de l’ordre n’existe plus. Le M23 a nommé son gouverneur du Nord-Kivu et un maire de Goma pour essayer de se légitimer auprès de nous, mais nous manquons de tout. Les banques sont fermées depuis un mois par Kinshasa, certains quartiers manquent encore d’électricité et on enterre des morts tous les jours. Chacun de nous connaît une famille qui a perdu une ou plusieurs personnes depuis ces dernières semaines. Le M23 a proclamé qu’ils étaient venus nous libérer, soi-disant, du régime de Félix Tshisekedi, mais en réalité, Goma est devenue une prison à ciel ouvert et c’est en train de devenir notre cimetière. Mais nous avons choisi de résister.
En déroute face au M23 et aux troupes rwandaises, les FARDC ont perdu, depuis 2022, des portions considérables des provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Alors que la RD Congo a obtenu l’adoption à l’unanimité de la résolution du Conseil de sécurité, le président Tshisekedi a assuré que ces territoires seraient récupérés par la voie diplomatique, ou par la voie militaire.
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1Le terme « Wazalendo » signifie « les patriotes » ou « les défenseurs de la patrie » en swahili. Il s’agit de milices de volontaires combattant aux côtés de l’armée congolaise. La plupart des Wazalendos formaient jusque-là des groupes armés locaux et étaient considérés comme hors-la-loi par l’armée congolaise.
4Du 20 au 29 novembre 2012, lors de la première rébellion du M23, le groupe armé avait occupé la ville de Goma.
5Prétendant lutter pour la défense de la minorité tutsie du Congo, le M23 est perçu par Kinshasa comme le bras armé des velléités d’expansion territoriale du Rwanda, dont le gouvernement est considéré comme « tutsi », bien que Kigali ait supprimé ces qualificatifs ethnicistes depuis la fin du génocide des Tutsis du Rwanda, en 1994.
6Lors de l’arrivée du M23 et des Forces rwandaises à Goma, de nombreux officiers ont poussé leurs troupes à se rendre auprès des Casques bleus présents dans la ville. Plusieurs soldats des FARDC ont expliqué que leurs officiers avaient été les premiers à se rendre et à quitter la ville. Ainsi, les militaires congolais qui ont défendu Goma l’ont, en grande partie, fait sans commandement.
7Les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda est un groupe armé composé de Hutus rwandais, présents dans l’est du Congo depuis la fin du génocide des Tutsis du Rwanda. Le Rwanda accuse Kinshasa de collaborer avec ceux qui sont présentés comme d’anciens génocidaires – et leurs descendants – qui mèneraient un nettoyage ethnique contre les Tutsis du Congo.
8Ces propos ont été tenus par deux porte-paroles du M23, Willy Ngoma à des mercenaires roumains dans cette vidéo, et Lawrence Kanyuka, dans cette autre vidéo.