Dossier

RD Congo-Rwanda. Une guerre aux racines multiples

Parti pris · Minerais de sang, mercenariat, revendications territoriales, intérêts économiques, guerres oubliées... Depuis trente ans, l’est de la République démocratique du Congo est un feu incandescent qui jette des millions de personnes sur les routes. Le retour du M23 en 2021 et son entrée dans Goma le 26 janvier, avec l’aide de Kigali sans grande action internationale pour y mettre fin, semble ouvrir un nouveau chapitre.

L'image montre un soldat en uniforme, debout à côté d'un véhicule équipé de plusieurs tubes visibles en rangée, qui semblent être des lance-roquettes. Le soldat tient une arme à feu, se tenant avec sérieux. En arrière-plan, on aperçoit d'autres soldats, ainsi qu'un environnement chaotique où des objets sont éparpillés, ce qui donne l'impression d'une zone de conflit ou de préparation militaire. Le tout se déroule dans un paysage verdoyant, avec des collines au loin.
Membres du M23 en 2012, près de Bunagana (RD Congo).
© Al Jazeera/Flickr

En 2024, lors d’un meeting de campagne, Donald Trump a déclaré qu’il pourrait « tirer sur quelqu’un en plein milieu de la 5e Avenue sans perdre une seule voix ». Un phénomène similaire semble se produire avec le Rwanda : il va de plus en plus loin et agit de manière de plus en plus explicite dans ses actions militaires à l’est de la République démocratique du Congo (RD Congo), mais il ne se passe presque rien en réaction. Pourquoi ?

Encerclée par le mouvement rebelle M23 depuis le 24 janvier, Goma, la ville la plus importante de la région, est en partie tombée dimanche soir. Il est impossible de comprendre le M23 sans prendre en compte le rôle du Rwanda : ce groupe rebelle a repris ses opérations en novembre 2021 après que le Rwanda a estimé que ses intérêts étaient menacés dans l’est de la RD Congo. Depuis, Kigali soutient les rebelles : le dernier rapport de l’ONU révèle qu’au moins 3 000 à 4 000 soldats rwandais opèrent sur le territoire congolais aux côtés du groupe armé – un nombre qui n’a fait qu’augmenter depuis l’offensive sur Goma. Un matériel militaire sophistiqué, fourni ou utilisé par le Rwanda, confère aux rebelles une supériorité de facto sur les Forces armées de la RD Congo (FARDC) et la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RD Congo (Monusco). Depuis le début du conflit, plus de 2 millions de personnes ont été déplacées en raison des violences du M23.

Le Rwanda considère l’est de la RD Congo à la fois comme une menace existentielle et une manne financière. D’une part, Kigali considère les nombreux groupes armés à sa frontière comme une source d’insécurité et juge Kinshasa incapable de gouverner la région. Les élites rwandaises évoquent ouvertement l’idée d’en faire une « zone tampon », un « Kurdistan », où un groupe rebelle assurerait l’administration locale. C’est exactement ce que fait le M23 : il s’étend progressivement comme une tache d’huile et met en place une administration parallèle en formant diverses coalitions avec d’autres groupes armés.

D’autre part, le Rwanda exploite cette menace pour sécuriser ses intérêts économiques. Depuis 2016, l’or est devenu son principal produit d’exportation, alors que le pays ne possède pratiquement aucune ressource aurifère nationale. L’or exporté provient donc largement de la RD Congo. Il en va de même pour d’autres ressources, comme le coltan. Le récent rapport de l’ONU a révélé que le M23 facilite l’acheminement d’environ 120 tonnes de coltan par mois vers le Rwanda.

Peu de pression internationale

Pourtant, le régime du président Kagame fait face à très peu de condamnations. Quelques déclarations ont été faites : ce week-end, l’Union européenne et les États-Unis ont condamné fermement les violences du M23 et la présence du Rwanda en RD Congo. Des blâmes avaient également suivi la publication des rapports de l’ONU, notamment par les États-Unis, l’Union européenne (UE), la Belgique et la France. En 2023, l’UE et les États-Unis ont sanctionné un officier militaire rwandais pour son soutien au M23. Mais la réaction internationale s’est arrêtée là.

En anglais, on dit « put your money where your mouth is » (« joindre les actes à la parole »), ce qui ne se produit pas ici. L’aide au développement à destination du Rwanda reste intacte, tout comme les autres relations internationales. Par exemple, les Championnats du monde de cyclisme auront lieu au Rwanda cette année, et le pays reste le sponsor de plusieurs clubs de football internationaux, dont Arsenal, le Paris Saint-Germain et le Bayern Munich. Pour de nombreux Congolais, cela est incompréhensible – et à juste titre.

En 2012 et 2013, la situation était différente : lorsque le M23 était apparu pour la première fois, également avec le soutien du Rwanda, la réaction internationale avait été beaucoup plus forte. Plusieurs pays – dont les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et l’UE – avaient suspendu ou réduit leur aide au Rwanda. Cette pression avait joué un rôle clé dans la fin du conflit.

Pourquoi si peu de sanctions aujourd’hui ?

Le Rwanda est diplomatiquement très efficace auprès de la communauté internationale. Il s’est positionné comme un « Singapour africain », un modèle de développement avec des résultats impressionnants, notamment dans le domaine de la santé, attirant ainsi de nombreux investisseurs et donateurs. Le pays est aussi un contributeur important aux missions de maintien de la paix en Afrique, ce qui lui a valu un grand crédit auprès des puissances occidentales. C’est ainsi que l’UE a récemment accordé 20 millions d’euros de soutien à l’armée rwandaise pour sa mission de maintien de la paix au Mozambique – une décision jugée incompréhensible par beaucoup.

Cependant, ce soutien international n’est pas homogène. De nombreux pays et organisations sont divisés sur la question du Rwanda, y compris au sein de l’UE. La diplomatie belge, par exemple, s’est opposée à l’aide militaire européenne au Rwanda, arguant qu’il est presque impossible de vérifier si cette aide est utilisée au Mozambique ou au Congo. La Belgique a d’ailleurs été le seul pays à s’abstenir lors du vote sur cette aide.

Ces réticences et cette opposition prendront-elles plus d’ampleur face à la situation actuelle ? Jusqu’à présent, on pensait que le M23 évitait Goma pour ne pas trop exposer le Rwanda à la pression internationale. Or The Guardian a révélé que des troupes rwandaises avaient franchi la frontière pour soutenir l’offensive sur Goma... Maintenant que le groupe est entré dans la ville, il reste à voir si cela sera un point de bascule pour une véritable pression internationale sur le Rwanda.