À Madagascar, la rage de la Gen Z et la farce du pouvoir

Parti pris · Après deux semaines de manifestations de la Gen Z qui ont fait tomber son gouvernement, le président malgache Andry Rajoelina vient de nommer un militaire au poste de Premier ministre. D’Antananarivo, où il vit, Jina Tsirofo Ranse Razakarisoa, traducteur à Afrique XXI, fait part de son indignation et de ses craintes.

L'image montre une foule dense de personnes rassemblées dans une rue, probablement lors d'une manifestation ou d'un événement populaire. Les participants portent des vêtements variés et beaucoup d'entre eux ont des masques ou des foulards sur le visage. On peut sentir une ambiance animée et énergique, avec des mouvements rapides et des gestes expressifs. Certains individus semblent prendre des photos avec leurs téléphones. L'arrière-plan est rempli d'autres personnes, créant une atmosphère vibrante et collective.
Manifestation de la Gen Z à Antananarivo.
© DR, capture d’écran YouTube

Je suis ici, à Antananarivo, et la situation n’a jamais été aussi tendue depuis le début du soulèvement, le 25 septembre. Ça fait maintenant plus d’une semaine que le pays bouillonne. Ce qui a commencé par un simple ras-le-bol contre ces foutues coupures d’électricité (les délestages qui nous rendent fous) et le manque d’eau s’est transformé en une demande unique criée par la jeunesse : la démission du président Andry Rajoelina. L’air est électrique, on est au bord du chaos. Ce n’est plus juste une histoire de manque de services ; c’est une question de dignité.

Le mouvement a été lancé par la génération Z. Ces jeunes sont nés avec le téléphone à la main mais ils ne voient jamais la couleur de la richesse de Madagascar. Ils ont pris les commandes, inspirés par des trucs comme le manga One Piece1, se donnant pour symbole le drapeau pirate. Le slogan qu’on entend partout, c’est « Leo Be », « il y en a marre ». C’est un cri de colère que le régime n’a pas vu venir.

« Dès le premier jour, ça a dérapé »

Dès le premier jour, ça a dérapé. On voulait juste se rassembler sur la place Ambohijatovo, mais elle a été prise par les forces de l’ordre dès l’aube. C’était leur manière d’interdire, mais ça n’a fait qu’allumer la mèche. La manifestation a dégénéré à cause de la répression immédiate. Ils ont tiré. Pas seulement des lacrymos, non, mais aussi des balles en caoutchouc et même des balles réelles (AK-47). Rien que le premier jour, on a eu près de 400 blessés transférés à l’hôpital. Je l’ai vu, tout le monde l’a vu2.

La colère a vite changé de cible, du délestage à la corruption. Comment un pays aussi riche que Madagascar peut avoir 75 % de sa population qui vit au-dessous du seuil de pauvreté ? Pendant ce temps, les élites se pavanent. C’est insoutenable. Quand l’argent des impôts part dans des projets bidon, comme le téléphérique d’Antananarivo, alors que l’hôpital manque de pansements et que les quartiers n’ont pas d’eau, c’est la preuve qu’il n’y a pas d’État, juste un clan.

Le pouvoir a laissé le chaos s’installer. Il y a une forte suspicion qui circule ici : les pillages attribués aux manifestants qui ont eu lieu dans l’après-midi et la nuit ne seraient pas si spontanés que ça. Le fait est que, alors que les forces de l’ordre tiraient à balles réelles et inondaient les quartiers de gaz lacrymogènes, elles étaient totalement absentes dès que les actes de vandalisme commençaient. On en a même vu des membres quitter les lieux quand les pillages commençaient. Et il y a cette rumeur persistante : le chaos sonore créé par la répression n’aurait-il pas pour but de désorienter la population pour permettre à des groupes payés (à la solde du régime, disent certains) d’opérer tranquillement leurs pillages ? Que ce soit vrai ou faux, le résultat est le même : le bruit de la répression a servi à couvrir le bruit du vol. L’État a été d’une inaction flagrante face aux pilleurs. Il est donc impossible de ne pas y voir une tentative de discréditer la Gen Z en lui faisant porter le chapeau de la destruction, tout en laissant des profiteurs s’enrichir.

Promesses de développement et vains serments

Il est impossible de comprendre la profondeur de cette colère sans se souvenir du parcours d’Andry Rajoelina. Ancien maire d’Antananarivo (2007-2009), il s’est installé une première fois au pouvoir, de 2009 à 2014, à la faveur d’un coup d’État qui faisait suite à un soulèvement populaire. Élu en 2018 puis réélu en 2023 lors d’un scrutin très contesté et boycotté par l’opposition, il est désormais au centre de toutes les frustrations.

Malgré ses promesses de développement et ses velirano serments »), la réalité économique du pays est désastreuse. L’accès à l’eau et à l’électricité, pourtant un droit fondamental, est resté précaire. Dans le même temps, le régime a investi dans des projets d’infrastructures pharaoniques, perçus par beaucoup comme des « éléphants blancs » : le téléphérique d’Antananarivo, financé à hauteur de 200 millions d’euros par la France, est vivement critiqué, jugé inutile face à l’urgence de la fourniture de l’accès aux services de base. Les manifestants ont d’ailleurs incendié des stations de la ligne. Et l’inauguration d’amphithéâtres ainsi que d’autres symboles de la « modernité » contraste cruellement avec le fait que près de 75 % de la population vit avec moins de 1 dollar par jour.

La jeunesse, en particulier, se sent doublement trahie. Cette génération, dévalorisée et sous-estimée, s’est vu promettre l’émergence, mais n’a connu que la stagnation. C’est l’échec total de l’ascenseur social qui motive le passage à l’acte de cette Gen Z, qui, initialement apolitique, est devenue le fer de lance de l’opposition.

Le bilan de la répression s’alourdit

Face à cette révolte, la réaction du président Rajoelina montre bien sa panique. Il a d’abord limogé son ministre de l’Énergie, puis, devant la persistance de la mobilisation, il a dissous tout le gouvernement le 30 septembre. Ça n’a servi à rien. C’est de la poudre aux yeux. On ne veut plus de ses ministres : on veut son départ.

Pendant ce temps, le bilan s’alourdit. L’ONU, qui parle d’au moins vingt-deux personnes tuées3, s’est dite « choquée ». Et Rajoelina, que fait-il ? Le 3 octobre, il sort publiquement4 pour dire que c’est une tentative de « coup d’État » payée par des « pays et agences » étrangers. C’est la vieille rengaine classique. Il dénonce une « cyberattaque massive » et une « manipulation » pour justifier la colère d’une population qu’il a laissée crever de faim et de soif.

Et c’est là que j’en arrive au point qui me révolte le plus. Ce que j’ai vu ces jours-ci, c’est une farce, une humiliation : l’apparition des partisans du régime présidentiel qui organisent leur propre rassemblement à Ankorondrano et au Coliseum pour réclamer... l’arrêt des manifestations !

Une jeunesse qui n’a plus rien à perdre

L’ironie est cinglante : quand la Gen Z sort, les forces de l’ordre sont présentes et tirent des lacrymos, matraquent, arrêtent, blessent gravement. Le droit de manifester est écrasé. Mais quand les partisans du président sortent, les mêmes forces de l’ordre passent à côté en souriant. Aucune intervention. Aucune grenade lacrymogène. Aucune interpellation. Cette inégalité de traitement est visible. Elle est criante. L’État choisit ses manifestants. Il dit clairement : « La violence est légale si vous me soutenez, mais elle est réprimée si vous demandez la justice. »

La jeunesse malgache refuse de faire marche arrière. Elle a le sentiment de n’avoir plus rien à perdre.

Personnellement, je pense que la Gen Z et le peuple doivent continuer de se défendre, car la violence de l’État n’est pas neutre, elle est politique.

Si cette polarisation entre deux camps – les opprimés vs les protégés du régime – continue, je suis convaincu que ça ne se terminera pas par des négociations. Nous serons au bord de la guerre civile. Il faut que le monde entier le sache avant que Madagascar ne s’embrase complètement.

Vous avez aimé cet article ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables).

Faire un don

1Le manga One Piece suit les aventures d’un équpage de pirates à la recherche d’un trésor appel «  One Piece  ». À Madagascar, l’inspiration s’est traduite par l’adoption du drapeau pirate comme emblème de la contestation, symbolisant la soif de liberté et la rébellion contre l’ordre établi.

2«  Madagascar : Répressions violentes et disproportionnées de manifestations pacifiques, inaction des forces de l’ordre face aux pillages  », Tolotsoa, 26 septembre 2025, lire ici.

3Madagascar : l’ONU choquée par la réponse violente à des manifestations, ONU, 29 septembre 2025, à lire ici.

4Madagascar : le président Rajoelina dénonce une tentative de coup d’État, Africanews, 3 octobre 2025, voir la vidéo ici.

5Le manga One Piece suit les aventures d’un équpage de pirates à la recherche d’un trésor appel «  One Piece  ». À Madagascar, l’inspiration s’est traduite par l’adoption du drapeau pirate comme emblème de la contestation, symbolisant la soif de liberté et la rébellion contre l’ordre établi.

6«  Madagascar : Répressions violentes et disproportionnées de manifestations pacifiques, inaction des forces de l’ordre face aux pillages  », Tolotsoa, 26 septembre 2025, lire ici.

7Madagascar : l’ONU choquée par la réponse violente à des manifestations, ONU, 29 septembre 2025, à lire ici.

8Madagascar : le président Rajoelina dénonce une tentative de coup d’État, Africanews, 3 octobre 2025, voir la vidéo ici.