Kenya. Soutenue et organisée, la Gen Z résiste malgré la censure

Le 7 juillet, une nouvelle vague de protestation de la génération Z (« Gen Z ») a submergé le pays pour célébrer le 35e anniversaire du soulèvement de 1990 ayant conduit à la démocratie. Cinquante personnes au moins ont péri dans les confrontations avec la police. Douze jours plus tôt, cette même jeunesse défilait déjà en souvenir des manifestations de juin 2024. Face à elle, le pouvoir tente de réduire la liberté d’expression.

L'image montre un groupe de personnes de dos, toutes portant des vestes aux couleurs du drapeau kenyan : rouge, vert et noir. Les vestes sont ornées d'un motif traditionnel kenyan, représentant des lances et des boucliers. Les personnes font des signes de paix avec leurs mains, et un slogan écrit en lettres capitales sur les vestes dit "HE MUST GO". En arrière-plan, on aperçoit un paysage urbain avec des bâtiments modernes, suggérant une ambiance de manifestation ou de rassemblement. L'ensemble dégage une forte camaraderie et un message de revendication.
À Nairobi, lors des manifestations du 7 juillet.
© DR

Lorsque l’odeur âcre des pneus brûlés et des gaz lacrymogènes a finalement commencé à se dissiper, le Kenya s’est réveillé devant un tableau sinistre : des bâtiments carbonisés dans le centre de Nairobi, des magasins pillés jonchés de verre brisé et des familles pleurant au moins dix-neuf jeunes vies perdues sous les balles de la police. Alors que le pays célébrait le premier anniversaire des marches historiques de la génération Z contre la loi de finances, les manifestations ont été réprimées, de nouveau, par des tirs à balles réelles, un black-out des médias et des accusations de tentative de coup d’État émanant du gouvernement.

Kipchumba Murkomen, le secrétaire de cabinet du ministère de l’Intérieur et de l’Administration nationale, avait appelé au calme. Sans succès. Le 25 juin, les jeunes envahissaient les rues non seulement pour protester mais aussi en hommage à leur plus de soixante camarades tués lors du soulèvement contre la loi de finances 2024, qui a révélé de profondes fractures dans la gouvernance du pays.

Au lieu d’apaiser les tensions, Kipchumba Murkomen a suscité l’indignation par ce qui a été largement interprété comme un ordre de « tirer pour tuer ». Ses commentaires ont relancé les accusations de brutalité de l’État, contredisant les propos en 2024 du président, William Ruto, sur un forum en ligne, dans lequel il avait promis d’être ferme avec les policiers insubordonnés et le cabinet de l’Intérieur.

2024, le rejet d’un projet de loi de finances injuste

Le projet de loi de finances qui a déclenché la révolte de 2024 avait été considéré comme punitif et déconnecté de la réalité quotidienne. Il proposait des hausses de taxes sur des produits de première nécessité comme le pain, les couches pour bébé, le sucre, les téléphones portables, les transferts d’argent et les données Internet, ce qui a déclenché une fronde généralisée. La colère de l’opinion publique avait culminé lors de l’assaut du Parlement par les manifestants, qui marquaient ainsi leur rupture symbolique avec l’État.

Un tournant décisif s’était produit lorsque le président Ruto – longtemps vanté pour avoir su déjouer les manœuvres du vétéran de l’opposition Raila Odinga – était apparu visiblement ébranlé. Lors d’une interview télévisée depuis le palais présidentiel, il avait fait une concession inhabituelle : « Je suis prêt à discuter. » Cette déclaration contrastait avec l’insistance avec laquelle il avait précédemment affirmé que le projet de loi devait être adopté sous son autorité de commandant en chef. Il s’était même engagé à réconforter personnellement une mère éplorée qui avait perdu son enfant lors des manifestations « en tant que parent ». Comme beaucoup d’autres, elle n’a jamais reçu de nouvelles.

À la suite de ces événements, William Ruto avait rétréci son gouvernement pléthorique, promis des réformes et créé la surprise en formant un exécutif à base élargie faisant appel à des personnalités importantes du camp d’Odinga. Il s’était ensuite débarrassé de son bras droit, Rigathi Gachagua, dont les contradictions en public et les sorties sur l’augmentation du coût de la vie étaient devenues un handicap. Mais le remaniement politique n’a pas suffi à apaiser le mécontentement.

Un remaniement politique pour apaiser

L’anniversaire célébré il y a quelques jours par la Gen Z s’inscrit dans une volonté croissante de faire du 25 juin une journée nationale de résistance. Dans l’avant-propos du rapport 2024 « Brutal Policing »1 de l’ONG kényane Missing Voices, Willy Mutunga, l’ancien président de la Cour suprême, a exhorté le gouvernement à reconnaître officiellement cette date :

La génération Z et les milléniaux ne sont pas près de disparaître. Je vous invite à être proactifs et à accompagner leur prochaine mobilisation et révolte. Il n’y a pas besoin d’être grand clerc pour savoir que cette génération commémorera le soulèvement de juin 2024. Je suppose que la date qui sera immortalisée et célébrée chaque année sera le 18 ou le 25 juin.

Cela n’a toutefois pas empêché le gouvernement de s’adresser symboliquement aux familles endeuillées afin d’éviter la réédition des manifestations de 2024, alors même que les jeunes s’efforçaient de les immortaliser. Le 15 juin, s’exprimant lors de la remise de la coupe de la Première Ligue kényane (remportée par le Police FC, club qui appartient à la police kényane...), Murkomen a déclaré que le gouvernement était prêt à écouter. Mais beaucoup de Kényans se sont demandé : pourquoi maintenant ? Pourquoi avoir attendu qu’une année entière se soit écoulée ?

« Nous dormons pendant que la révolution gronde »

Les blogueurs et les équipes de communication progouvernementaux ont qualifié les rassemblements d’anarchiques et accusé Rigathi Gachagua d’orchestrer une tentative de renversement du régime. Mais le vice-président évincé a rejeté ces allégations en direct à la télévision par ces mots : « Ces manifestations sont spontanées. Personne ne peut mobiliser vingt-six comtés à l’insu des agences de renseignement. Si je suis coupable, que le ministère de l’Intérieur m’arrête immédiatement ! »

Barrack Muluka, expert en communication et chroniqueur de longue date du journal The Standard, à Nairobi, explique à Afrique XXI que l’incapacité du président Ruto à tenir ses promesses de campagne, en particulier en matière de création d’emplois et de relance économique, a aggravé la frustration de la population. « Ruto est comme un capitaine incapable de naviguer sur les eaux tumultueuses du Kenya. Il ferait mieux d’accoster dans un port abrité et de se retirer. Si rien ne change, comme ça semble probable, les manifestations continueront », précise-t-il. Et de poursuivre : « Rien n’a changé depuis que la génération Z est descendue dans la rue. La vérité, c’est que nous sommes en train de dormir pendant que la révolution gronde. Une étincelle de plus, et le centre pourrait tomber. »

Le président Ruto a reconnu que manifester était un droit constitutionnel, mais il insiste sur le fait qu’il ne peut pas être utilisé pour le démettre de ses fonctions par des moyens anticonstitutionnels. En juin, alors qu’il s’adressait depuis le palais présidentiel aux chefs de sécurité des régions et des comtés et aux fonctionnaires de l’administration nationale au lendemain des nouvelles manifestations, William Ruto a défendu la réintroduction d’un projet de loi draconien sur l’ordre public qui vise, selon lui, à équilibrer les libertés civiques et l’ordre public.

Durcir les lois plutôt que discuter

Ce projet de loi permettra de renforcer le contrôle des manifestations publiques en durcissant les conditions de délivrance des autorisations préalables et les sanctions pour « rassemblement illégal » et en élargissant les pouvoirs de la police pour disperser les rassemblements jugés perturbateurs. Le texte a également pour objet de criminaliser les manifestations dans un rayon de 100 mètres autour de zones protégées comme le Parlement et le palais présidentiel. Les peines prévues pour les contrevenants pourraient aller jusqu’à 100 000 shillings kényans (environ 740 euros) d’amende et trois mois de prison.

Moses Wetang’ula, le président de l’Assemblée nationale, figure parmi les partisans les plus virulents de ce texte. Cette personnalité de premier plan de la coalition au pouvoir souhaite que le gouvernement ait toute latitude pour faire face au « désordre ». Il a accusé la communauté internationale et l’Église catholique de double standard, critiquant leur silence à la suite des récents incidents. S’exprimant peu après les manifestations dans le comté de Kakamega, Wetang’ula s’est demandé pourquoi le clergé et les émissaires étrangers avaient déjà condamné la répression gouvernementale alors qu’ils n’avaient fait aucun commentaire contre les casseurs.

« Ils sont allés dire sur les ondes “que les manifestations [devaient] avoir lieu !”. Maintenant que nous avons vu les destructions, la pagaille, les morts, que vont-ils dire ? », s’est-il exclamé en défendant le recours à la force. « L’autre jour, à Los Angeles, le président Trump a déployé l’armée contre des manifestants. Pourquoi s’indigner seulement quand ça se passe ici ? », a-t-il interrogé.

Devant le Parlement, répondant à une mise en garde de l’Ordre des avocats du Kenya, il a affirmé que la loi ne porterait pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux prévus par l’article 37 de la Constitution mais qu’elle permettrait, au contraire, de « garantir l’ordre en protégeant la manifestation, la police et les manifestants ».

Attaquer et interdire les médias

La répression s’est durcie le 25 juin lorsque l’Autorité des communications, présidée par un ancien journaliste, a ordonné aux chaînes de télévision de cesser de couvrir les manifestations en direct. NTV, K24 et KTN ont défié la directive, et leur signal a été brusquement coupé. Le barreau du Kenya a saisi la justice, invoquant des violations de la liberté de la presse et du droit constitutionnel du public à l’information, même si d’autres ont salué la décision.

« Ce que nous avons vu [le 25 juin] était une insurrection et non une manifestation protégée par l’article 37. Depuis deux mois, les médias incitent à l’agitation et à la violence dont nous avons été témoins. Toutes les libertés ont des limites. La couverture en direct était une provocation et elle a suscité de nouvelles violences, en violation de la Constitution », a déclaré sur sa page Facebook le député de Homa Bay Town, George Kaluma, un ancien opposant à William Ruto rallié au gouvernement élargi. Il a ajouté :

Bien que tardive, la décision de l’Autorité des communications de suspendre les directs était dans l’intérêt public, pour la sûreté et la sécurité du public, et elle était donc justifiée. Une telle mesure devrait toujours s’appliquer lorsque les émissions incitent à la violence. N’oublions pas que les médias ont joué un rôle central dans le génocide rwandais2 [sic]. Les médias kényans sont devenus des voyous et ils détruiront ce pays s’ils ne sont pas correctement réglementés et sanctionnés.

Le député fait référence à deux médias de propagande rwandais lancés quelques années avant le déclenchement du génocide des Tutsis, qui a fait près de 1 million de victimes entre avril et juillet 1994 : Kangura, un journal extrémiste créé en 1989, et la Radio télévision libre des Milles Collines (RTLM) en 1993. Ces derniers ont incité à la haine contre les Tutsis puis au meurtre de ceux-ci, jusqu’à publier des listes de personnes à rechercher et à assassiner. Rien de tel au Kenya.

Censurer l’opposition, les réseaux, la culture...

On assiste, sous le mandat du président Ruto, à un renforcement de la censure juridique et culturelle. Rose Njeri, une développeuse informatique, a été arrêtée en mai en vertu de la loi sur la cybercriminalité pour avoir créé une application permettant de rejeter en un seul clic le projet de loi de finances 2025, même si l’activiste a été relaxée par la suite après des critiques contre le ministère public.

Les comptes de réseaux sociaux d’opposants virulents, dont celui d’Albert Ojwang, ont été supprimés. Ojwang est ensuite mort3 en détention, deux jours après son arrestation, dans des circonstances suspectes, ce qui a suscité une vague d’indignation en ligne. Le hashtag #JusticeForOjwang a rapidement gagné en popularité, contraignant finalement l’inspecteur général adjoint Eliud Lagat à la démission et conduisant à l’inculpation pour meurtre d’officiers impliqués dans la mort du blogueur.

Deux mois plus tôt, en avril, lors du festival national d’art dramatique, la pièce Echoes of War mise en scène par le lycée de filles de Butere a fait l’objet d’une interdiction, annulée in extremis par un tribunal. Trop tard : les élèves sont montées sur scène, ont chanté l’hymne national et sont reparties. Elles ont ensuite été escortées par des véhicules de police de Nakuru à Butere Town, à près de 250 kilomètres de là, pendant que les foules venues assister à la représentation essuyaient des tirs de gaz lacrymogènes.

Charlene Ruto, fille du président, poursuit un éditeur

Par ailleurs, Charlene Ruto, la fille du président Ruto, a poursuivi un éditeur qui a publié sa biographie sans son consentement. L’auteur, Webster Ochora Elijah, vient de signer Beyond the Name : Charlene Ruto and the Youth Uprising (Au-delà du nom : Charlene Ruto et le soulèvement de la jeunesse), ce qui a poussé Charlene Ruto à porter plainte pour usurpation d’identité. Des avocats estiment que l’action en justice de la fille du président a peu de chances d’aboutir dans la mesure où il est légitime d’enquêter sur les personnalités publiques, en particulier celles qui bénéficient des ressources de l’État.

Interrogé par Afrique XXI récemment à Nairobi, l’avocat Billy Janji a déclaré : « Beaucoup de juges ont tendance à se prononcer contre les personnalités publiques qui intentent des procès en diffamation ou pour violation de leurs droits, et ce pour des raisons évidentes : les personnalités publiques font l’objet d’une attention plus soutenue. »

L’activiste Hussein Khalid appelle les Kényans à ne surtout pas baisser les bras devant les tentatives organisées du gouvernement pour limiter leurs droits civiques. Celui-ci a attiré l’attention pour avoir aidé un policier pendant une récente manifestation et avoir été expulsé de Tanzanie, où il était venu manifester sa solidarité avec le leader de l’opposition Tundu Lissu. Interviewé par téléphone, il insiste sur le fait que même si le gouvernement resserre son emprise sur l’espace civique, les défenseurs des droits « continueront à faire pression jusqu’à l’avènement d’un pays juste ».

La brutalité systématique documentée

Civicus, une plateforme en ligne qui se consacre aux menaces contre la société civile dans le monde, a récemment publié un rapport intitulé « Balles policières, chaînes numériques : les brutalités de l’État face au soulèvement pacifique des jeunes Kényans4 », à l’occasion du premier anniversaire des manifestations. L’étude documente la répression conduite par les autorités et les forces de sécurité, qui ont cherché à éteindre la contestation par des meurtres, des arrestations, des enlèvements, le ciblage des activistes en ligne, l’instrumentalisation des lois sur la cybercriminalité, des perturbations internet, des restrictions imposées aux journalistes, la surveillance, la censure et d’autres moyens. Lors de la présentation du rapport, Mandeep Tiwana, secrétaire général de Civicus, a déclaré :

L’État kényan a d’abord réagi aux manifestations par des violences massives, qui ont fait des dizaines de morts et plus d’une centaine de disparus. Depuis, il s’est efforcé de renforcer le contrôle de toutes les formes d’espace civique et de liberté d’expression – des manifestants pacifiques dans les rues jusqu’aux critiques sur les médias sociaux. Cette année de répression démontre que l’appareil de sécurité du Kenya, profondément enraciné dans un héritage colonial marqué par la brutalité et la rupture, n’est pas au service du public. Au contraire, il s’agit d’un outil de répression visant à réduire au silence les citoyens qui réclament la justice et la redevabilité.

Mais le gouvernement a également répondu par la méthode douce à l’indignation croissante de l’opinion publique. L’une des tactiques utilisées a été la mise en place de programmes de collecte de fonds et d’autonomisation en faveur des femmes et des jeunes. Les détracteurs voient toutefois dans ces initiatives des mesures politiques déguisées destinées à apaiser les esprits avant les prochaines élections.

Le programme économique Bottom-Up (« De bas en haut »), qui avait jadis dynamisé la campagne de William Ruto, est aujourd’hui perçu par certains comme une « corruption implicite des électeurs », en particulier parce qu’il se concentre sur le secteur informel, autrefois sa base la plus solide, aujourd’hui de plus en plus désenchantée.

Une génération éclairée et informée

« Il devrait maintenant être clair pour tout le monde qu’il [Ruto] a affaire à une population éclairée, en particulier la génération Z, qui rejette ouvertement son leadership et sa gymnastique symbolique », a dit en juin à Nairobi le professeur Gitile Naituli, conférencier et commentateur politique. Il a poursuivi en ces termes : « Il s’agit d’une génération façonnée par les acquis des réformes de l’ère du président Kibaki, de la gratuité de l’enseignement primaire aux 100 % de passage au secondaire. Ils sont informés, dotés d’outils d’analyse et ne se laissent pas facilement influencer. Ils comprennent comment fonctionne le développement – de la politique à la budgétisation –, et ils attendent un impact tangible. Le fait que Ruto mette Raila de son côté n’y changera rien ; le symbole ne les trompera pas non plus. En fait, cela ne fera qu’aggraver son impopularité. Si le président veut renouer avec la population, il doit redresser l’économie. Un point, c’est tout. »

Le PIB du Kenya a atteint 16 200 milliards de shillings (106 milliards d’euros) en 2024, avec une croissance ralentie à 4,7 %, contre 5,7 % en 2023, à l’instar des tendances mondiales puisque la croissance du PIB mondial a baissé de 3,3 % à 3,2 %.

La nomination stratégique au portefeuille des Finances de John Mbadi, issu de l’aile Raila Odinga, a toutefois temporairement apaisé l’indignation de l’opinion publique. Son ton modéré et ses engagements à ne pas mettre en œuvre de nouvelles taxes ont contribué à calmer les esprits, si bien que les Kényans sont surtout descendus dans la rue en hommage aux morts de l’année dernière. Mais la Gen Z, désormais plus mûre sur le plan tactique, continue de se préparer pour 2027, lorsque Ruto reviendra devant les électeurs après son premier mandat de cinq ans.

Décortiquer la loi pour les plus jeunes

Marvin Mabonga, un activiste connu sur un réseau social sous le nom de @KOT_Sonko, a déclaré à Citizen TV qu’il voulait utiliser l’éducation civique pour aider ses pairs à mieux comprendre les politiques gouvernementales, afin qu’ils puissent en repérer et dénoncer tous les méfaits cachés. « Nous avons organisé des sessions avec des experts pour décortiquer le projet de loi de finances 2024, car de nombreux jeunes ne l’avaient pas lu ou ne l’avaient pas bien compris », a-t-il précisé.

Certains veulent même empêcher la fraude aux élections de 2027 en comptabilisant tous les votes et en partageant les résultats en temps réel sur les médias sociaux.

« Si l’on en croit sa récente coordination en ligne lors des manifestations, la génération Z est plus que prête à mettre en échec tous ceux qui prévoient de truquer les élections de 2027 », nous a dit l’analyste politique Herman Manyora. Et d’insister : « Compte tenu de leur profond intérêt pour les questions de gouvernance et de leur engagement actif sur les médias sociaux, je ne serais pas surpris qu’ils présentent la majorité des candidats la prochaine fois. On ne peut pas leur appliquer le vieux logiciel politique, même si la plupart des dirigeants actuels s’y appliquent encore. »

La Gen Z bénéficie d’un soutien croissant de la génération Y (née entre 1980 et 1995) et d’autres groupes. L’avocat Miguna Miguna a créé un message d’urgence prêt à être envoyé en cas d’enlèvement. « Rédigez et enregistrez cette alerte d’urgence sur tous vos réseaux sociaux : “Je m’appelle XYZ. J’ai été enlevé par DCI/Police/NIS”. » Il les a exhortés à déclencher l’alerte en cas de besoin : « Lorsque quelqu’un que vous soupçonnez d’être de la DCI, de la NIS ou de la police s’approche de vous, appuyez sur “envoyer à tous” et alertez votre famille, vos amis, les blogueurs, les médias et @LawSocietyofKe. »

Rallier la police ?

Cyprian Nyakundi, éminent blogueur et allié de la Gen Z, a utilisé la communauté en ligne pour mettre en avant les vertus pacifiques et porteuses d’espoir des marches de juin. Cette campagne numérique a contribué à contrer les récits officiels, qui dépeignaient les manifestations comme chaotiques et anarchiques, ainsi qu’à tenter d’apaiser les relations tendues entre les manifestants et la police.

Eric Omondi, un comédien millénial, autre acteur clé du mouvement, a lancé la campagne « Police Friday » pour inviter les agents à partager en ligne des messages d’empathie et de retenue, pour contester ainsi directement le décret controversé de C.S Murkomen, qui s’apparente à un « tirer pour tuer ». Un agent a raconté comment sa fille de la Gen Z l’avait supplié de ne pas blesser les manifestants. Un autre a appelé ses collègues à agir dans le respect de la loi et à démontrer leur amour pour le pays. Une victime des brutalités policières, Anthony Weya, qui a reçu une balle dans le bras, a bénéficié d’une cagnotte en ligne.

Cette génération technophile tire le meilleur parti des outils numériques, qu’il s’agisse d’aide juridique financée par appel à dons, de protestations alimentées par l’intelligence artificielle ou d’objets satiriques en ligne qui font mouche. Lorsque des images photoshoppées de fonctionnaires dans des cercueils ont inondé les médias sociaux, même le président Ruto s’en est aperçu et a tancé les parents en ces termes : « Apprenez les bonnes manières à vos enfants ! » Leur cri de guerre, #SiriNiNumbers (« Le secret est dans le nombre »), est à l’image d’un mouvement qui déjoue les plans de l’État avec des mèmes et des mobilisations de masse. Malgré toute sa machinerie, le gouvernement a du mal à suivre.

1Missing Voices, «  Brutal Policing, 2024 annual report  », 6 mai 2025, voir le pdf ici.

2Le génocide «  rwandais  » n’existe pas, il s’agit du génocide des Tutsis de 1994 (lire notre dossier ici). Afrique XXI reproduit ici fidèlement les propos du député mais n’y souscrit pas.

3Dans la nuit du 7 au 8 juin, Albert Ojwang est décédé dans une cellule du commissariat central, à Nairobi, avec des traces de sévices.

4Civicus, «  Police bullets, digital chains : State-sanctioned brutality in Kenya’s peaceful youth-led uprising  », 25 juin 2025, disponible en PDF ici.