
DANS L’ACTU
AU SAHEL, TOUTES LES LIBERTÉS SONT ATTAQUÉES
Dans un rapport publié en février, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains alerte sur une « convergence régionale des pratiques de répression » au Niger, au Mali, au Burkina et au Tchad, dans un contexte d’autoritarisme grandissant des régimes militaires à la tête de ces pays.
Selon l’Observatoire, les trois pays membres de l’Alliance des États du Sahel (AES) et leur voisin, le Tchad, ont mis en place des restrictions de libertés tous azimuts visant particulièrement les défenseur es des droits humains, au nom de la lutte contre l’insécurité croissante dans la région (particulièrement dans la zone des trois frontières, à l’ouest de cet espace, à l’intérieur du Mali et du Burkina Faso, ainsi que dans le bassin du lac Tchad), sous les coups répétés de groupes armés, essentiellement djihadistes. Dans trois des quatre pays, les coups d’État militaires qui se sont succédé depuis 2020 « ont fragilisé le fonctionnement des institutions » et sanctionné un abandon du projet démocratique et de l’État de droit.
Les militaires au pouvoir privilégient la réponse armée, au détriment d’une stratégie plus large embrassant les causes profondes du conflit. Ils ont souvent « mis en œuvre des mesures d’urgence, ainsi que des lois antiterroristes, restreignant ainsi la jouissance de certains droits fondamentaux au nom de la sécurité d’État, notamment les libertés d’expression, d’opinion, de manifestation et d’association ». En première ligne, les défenseur
es des droits humains « sont trop souvent considéré es comme des voix dissidentes et font l’objet d’un ciblage particulier et d’une répression accrue », estiment les auteurs de l’étude, pour qui les autorités des quatre pays font preuve d’un « alignement » dans ce domaine.Dans la période du 1er janvier 2020 au 30 septembre 2024, l’Observatoire (partenaire de la Fédération internationale pour les droits humains et de l’Organisation mondiale contre la torture) a enregistré au moins 61 cas de violations des droits des défenseur
es des droits humains. Les victimes sont « des avocat es, des activistes et membres d’associations, des journalistes, des professeur es mais aussi tou tes les autres membres de la société civile qui protestent […] contre les pratiques et actions attentatoires aux droits humains de la part des autorités ».« Le discours politique souverainiste et patriotique mis en avant par les juntes au pouvoir tend à présenter les droits humains et celles et ceux qui les défendent comme des prétextes pour les premiers, et des traîtres à la Nation pour les seconds », les accusant d’être un obstacle à la victoire contre le terrorisme et la restauration de l’intégrité territoriale. « Les défenseur
es des droits humains sont ainsi assimilé es à des complices du terrorisme et de l’influence étrangère » et pourchassé es comme tels.Au delà des poursuites judiciaires abusives, les enlèvements, séquestrations, disparitions forcées et tortures sont largement utilisé
es par les autorités à l’encontre des défenseur es des droits humains au Mali, au Burkina Faso et au Tchad. Au Burkina Faso, les autorités procèdent « à des enrôlements forcés et à des enlèvements de défenseurs et d’opposants politiques, transformant ainsi cette pratique en un outil de répression redoutable contre toutes les voix discordantes ». Les messages de haine, menaces, actes de harcèlement et d’intimidation « sont largement employé es dans les quatre pays de la région à l’encontre des défenseur es des droits humains mais également de leurs familles, dans les pays et en exil ».Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, les libertés d’expression et de la presse font constamment l’objet de restrictions. Les médias nationaux sont contrôlés, les principaux médias internationaux suspendus, et l’autocensure s’installe sous l’effet des menaces qui poussent certain
es journalistes à l’exil. Les autorités de ces pays suspendent, dissolvent et contrôlent les associations, dans le but de réduire à néant toute tentative d’organisation de la société civile. Au Tchad, le droit à la liberté de réunion pacifique a été sérieusement remis en cause en 2022, notamment par le biais d’arrestations arbitraires à la suite de la manifestation meurtrière du 20 octobre 2022.Ces pays présentent des similarités politiques et sécuritaires mais se distinguent par leur histoire singulière et les acteurs des conflits en présence. C’est ainsi que les défenseurles paramilitaires russes de Wagner au Mali.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
À VOIR
L’ÉMANCIPATION DE LA RD CONGO SUR UN AIR DE JAZZ
Dans la nuit du 2 au 3 mars, nous saurons si le film Soundtrack to a coup d’État, du réalisateur belge Johan Grimonprez, obtient un Oscar dans la catégorie documentaire. C’est sans doute la catégorie dont le film se rapproche le plus, mais elle ne lui rend pas tout à fait justice. Soundtrack to a coup d’État s’empare d’un sujet historique : l’émancipation de la RD Congo alors sous le joug colonial et le rôle déterminant qu’y a joué Patrice Lumumba, jusqu’à son assassinat, en 1961, par le putschiste Mobutu avec la complicité de la Belgique et l’aval de la CIA. Mais il le fait à travers une expérience sensorielle trépidante, plus de deux heures durant, et offre une manière unique de dire les secousses de l’Histoire, incarnée, vibrante.
Le récit n’est pas chronologique. Les évènements s’enchaînent en spirales effrénées au rythme de titres de jazz de l’époque, prodigieusement interprétés par des artistes ayant pris fait et cause pour Lumumba, notamment Max Roach et Abbey Lincoln, qui, après son exécution, envahissent bruyamment le Conseil de sécurité des Nations unies en signe de protestation. Si l’assassinat de Lumumba constitue le fil conducteur du film, Soundtrack to a coup d’État en déroule bien d’autres qui ont pour toile de fond la guerre froide et qui sont illustrés par des images d’archives fascinantes : le cynisme et les manœuvres sordides des puissances coloniales pour maintenir leur hégémonie sur des empires en ébullition (mention spéciale à la CIA qui dissimule des discussions au sommet avec les leaders katangais derrière une tournée de concerts de Louis Armstrong) ; leur appétit pour les ressources minérales du Congo ; les compromissions des Nations unies ; l’énergie déployée par l’Union soviétique pour organiser la lutte anti-impérialiste ou les diatribes enflammées des leaders des pays non-alignés.
Certains personnages se détachent, comme Andrée Blouin, activiste redoutable, proche de Lumumba, dont les apparitions et les propos illuminent le film. Soundtrack to a coup d’État a d’évidents échos avec le présent. Ils concernent naturellement les tourments politiques que la RD Congo continue de vivre, mais pas seulement. Le film est aussi une célébration des luttes et des solidarités transnationales dont la résurrection serait bienvenue dans le paysage en ruine du combat progressiste en 2025.
À voir : Johan Grimonprez, Soundtrack to a coup d’État, sortie en salle en France le 1er octobre, 2 h 30.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
LES ARTICLES DE LA SEMAINE
À la frontière du Burundi, la guerre se rapproche
Reportage Depuis plus d’un an, la frontière entre le Burundi et le Rwanda est fermée. L’avancée du M23, soutenu par le Rwanda à l’est de la RD Congo, à quelques kilomètres de la frontière burundaise, est une nouvelle source de tension. Au grand dam des Burundais qui dépendent des échanges avec leurs voisins au nord.
Par James Rufuku
Le regard de l’homme blanc sur les archives persiste
Analyse Les archives sont porteuses de la violence du passé colonial mais aussi d’une potentielle postérité anticoloniale, à condition d’être radicalement réorganisées autour d’une exigence de justice et d’accessibilité. Exemple avec les archives africaines de Bruxelles, qui permettent de mieux comprendre les violences en RD Congo.
Par Stéphanie Perazzone et Charlotte Mertens
Mehdi Ben Barka et l’insupportable silence de la France et du Maroc
Bande dessinée Soixante ans après la disparition de l’opposant marocain, le 29 octobre 1965, à Paris, un roman graphique scénarisé par David Servenay et dessiné par Jacques Raynal revient sur l’enquête toujours en cours, dissipant les écrans de fumée pour mieux expliquer le probable enchaînement des faits et pointer les principales responsabilités.
Par Nicolas Michel
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
In English
The astonishing legacy of French counter-insurgency doctrine
Interview In a book based on extensive archives, US historian Terrence Peterson describes the ‘pacification’ carried out by the French army in Algeria in an attempt to erase the Indochinese disaster of Diên Biên Phu in 1954. It was a method that provided lasting inspiration for other armies, including Portugal and the United States.
Victoria Brittain
Vous aimez notre travail ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables) :

Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.