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À BRAZZAVILLE, L’IMPUNITÉ DÉGUISÉE EN ANTICOLONIALISME
Instrumentaliser la décolonisation et invoquer une forme de (néo)souveraineté pour justifier la mise sous tutelle des espaces civiques et de la justice (en les accusant d’être à la solde de l’ancien colonisateur) est devenu un sport national dans quelques pays qui ont connu des coups d’État militaires ces dernières années. Invoquer les ingérences étrangères est une autre manière, aussi, de faire durer des transitions militaires ad vitam æternam, malgré les promesses.
La « technique » n’est pas l’apanage des dictateurs en herbe. Ceux-ci sont bien inspirés par d’autres, qui la manient avec cynisme depuis longtemps. C’est le cas de leur aîné Denis Sassou-Nguesso, l’autocrate de Brazzaville âgé de 81 ans, dont plus de quarante cumulés au pouvoir : il s’acharne sur les voix discordantes, se compare à Paul Biya pour justifier sa longévité (à 92 ans, celui-ci dirige le Cameroun depuis 1982 sans discontinuer et se présente à nouveau en octobre), et s’en prend régulièrement à la justice française qui enquête sur des membres de son clan dans le cadre de l’affaire des biens mal acquis.
Le 22 novembre 2024, révèle Mediapart dans une enquête sur des flux suspects entre Bolloré et une société congolaise (78,8 millions d’euros entre 2014 et 2023 qui auraient bénéficié à Wilfrid Nguesso et à son entourage), Denis Sassou-Nguesso s’est fendu d’un courrier incendiaire à l’attention du juge français Serge Tournaire.
Antoinette Sassou-Nguesso, la femme du président congolais, avait reçu une convocation de la part du magistrat, provoquant l’ire de l’autocrate. Dans ce courrier, celui-ci écrit : « Que l’ambition de la justice française de se prononcer sur des actes qui me sont prêtés s’avère néocolonialiste relève de l’évidence. Rien d’autre qu’un sentiment de supériorité malvenu n’explique cette arrogance typique, je suis au regret de le constater, du colonisateur au colonisé. »
Denis Sassou-Nguesso entretient des rapports ambivalents avec l’ancien colonisateur. Dans un documentaire hagiographique, Denis Sassou-Nguesso, le pouvoir et la vie (2016), l’un de ses camarades de classe affirme que le futur putschiste (il participe au coup contre Alphonse Massemba-Débat en 1968 et renverse Pascal Lissouba en 1997) avait épousé la cause indépendantiste au collège. Mais dans ce film, l’intéressé n’a aucun mot à ce sujet, laissant planer le doute sur la réalité de sa position contre la puissance coloniale. Il s’engage dans une armée formée par les Français (une partie de cette formation s’est déroulée en Algérie durant la guerre d’indépendance). Bien plus tard, dans un entretien accordé à un journal français d’extrême droite, le 8 mars 2023, il affirmait, un brin nostalgique : « Tout n’a pas été négatif dans la colonisation »...
Mais alors que les preuves de détournements de fonds publics s’accumulent contre des membres de sa famille (sa femme, ses neveux, son fils…), il ne cesse d’accuser la justice française d’acharnement et donc d’attitude néocoloniale. Selon lui, elle « [piétine] les droits et les usages ». Ce qui ne l’empêche pas de rendre visite, le 23 mai, au président français Emmanuel Macron. Une autre illustration de sa position ambiguë avec la France, son passé, et la loi en général.
Ceci expliquant peut-être cela, à Brazzaville, il règne en maître et se soucie peu de la justice. En mai, Fanny Pigeaud (qui écrit aussi pour Afrique XXI) racontait comment Lassy Mbouity, 37 ans, journaliste, patron de presse et président du parti d’opposition Les Socialistes, avait été menacé, tabassé, puis enlevé par des hommes cagoulés, et torturé avant d’être retrouvé semi-conscient dans un cours d’eau.

Également, quelques mois seulement avant le fameux courrier au juge Tournaire, plusieurs jeunes hommes disparaissaient après leur arrestation dans le cadre d’une enquête sur un assassinat. « Sur les six jeunes identifiés en détention, deux ont été jugés et condamnés », explique le Centre d’action pour le développement (CAD). « Les quatre autres n’ont pas été revus depuis lors et sont considérés comme victimes de disparition forcée », conclut l’ONG spécialisée dans la dénonciation des atteintes aux droits humains et dirigée par Trésor Nzila Kendet. Dans un entretien accordé à Afrique XXI, celui-ci racontait le nombre incalculable de violations des droits humains dans son pays. Mais aussi le rôle de la France dans la formation des forces de sécurité.
Le 30 août, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparition forcée, le CAD a déclaré porter plainte avec constitution de partie civile auprès du tribunal de grande instance de Brazzaville contre des responsables de la sécurité pour la disparition des quatre jeunes hommes. Le CAD vise notamment les infractions de torture, d’arrestation arbitraire, de détention illégale, de séquestration, de violences physiques et psychologiques, d’obstruction à la justice et de dissimulation de preuves. Reste à savoir si la justice, si elle n’est pas entravée, ne sera pas accusée par le pouvoir et ses sbires d’être dysfonctionnelle, et pourquoi pas à la solde de l’ancien pouvoir colonial.
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Assemblée générale annuelle d’Afrique XXI
PRÈS D’UN LECTEURRICE SUR DEUX EST DÉSORMAIS EN AFRIQUE
Lors de l’Assemblée générale annuelle d’Afrique XXI, le 4 septembre, et qui sera résumée dans notre prochain Rapport d’impact (bientôt mis à disposition des lectrices et lecteurs), ont été communiqués les derniers chiffres concernant la provenance de notre lectorat.
Nous sommes très heureux (et reconnaissants) de voir que le lectorat basé en Afrique a fortement progressé, alors que la fréquentation générale (nombre de visites et de pages vues) a également augmenté de manière très significative (+55 %).
Voici le classement par région du monde :
1. Afrique : 46 % des visites (40 % en 2024) ;
2. Europe : 43 % des visites (52 % en 2024) ;
3. Amérique du Nord : 7 % des visites (5,6 % en 2024).
Par pays :
1. France (27 %) ;
2. Congo-Kinshasa (7 %) ;
3. Côte d’Ivoire (6,2 %) ;
4. Sénégal (4,7 %) ;
5. États-Unis (4,2%) ;
6. Belgique (3,7 %).
Merci à vous, lectrices et lecteurs, qui êtes de plus en plus nombreux.
Le bureau, le comité de rédaction et le comité éditorial
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE
À Murcie, en Espagne, des Algériens désenchantés
Reportage Mi-juillet, dans le sud-est de l’Espagne, la région agricole de Murcie a été secouée par plusieurs nuits de ratonnades, dans un contexte politique local qui se radicalise. De jeunes Algériens témoignent des difficultés rencontrées dans leur quête d’une vie meilleure.
Par Nadia Addezio
En Angola, un cinquantenaire de l’indépendance sur fond de polémiques historiques
Histoire Le 11 novembre, l’Angola fêtera les cinquante ans de son indépendance. Depuis le début de cette année, des commémorations ont lieu dans tout le pays. L’occasion pour certains de demander la réhabilitation de personnalités et de mouvements pour leur rôle dans la guerre contre le colon portugais... Quitte à s’arranger avec l’histoire.
Par Augusta Conchiglia
Indomptables. Les fractures de la société camerounaise au scalpel
Analyse Au-delà du policier salué par la critique en France, Indomptables, le long-métrage de Thomas Ngijol, en salle depuis juin, offre un regard subtil sur les fractures et les instabilités du Cameroun, où le film a été tourné.
Par Patrick Belinga Ondoua
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IN ENGLISH
Biya-Kamto : Missed face-to-face in Cameroon
Analysis At 92 years old, with forty-three of those spent at the head of the country, Paul Biya is running for an eighth consecutive term in the presidential election on October 12. Maurice Kamto, the main opposition candidate, has been excluded from the race. But all does not seem lost.
By Jean-Bruno Tagne
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