La voix est posée et les silences sont pesés. Trésor Nzila Kendet est à l’aise : depuis plus de dix ans, il s’échine à médiatiser les atteintes aux droits de l’homme dans son pays, le Congo. Juriste formé à l’université Marien-Ngouabi de Brazzaville, il a fait ses armes, de 2013 à 2021, à la tête de l’Organisation congolaise des droits de l’homme (OCDH), association membre de la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH). Son départ inattendu de l’OCDH, puis les errements de cette organisation pour le remplacer, ont fait couler beaucoup d’encre. Une affaire sur laquelle il n’a pas souhaité revenir, se contentant de nous transmettre quelques coupures de presse. Il est aujourd’hui directeur du Centre d’action pour le développement (CAD), qu’il a lui-même contribué à créer.
À 38 ans, les années d’activisme dans un pays où les voix discordantes sont « congelées » par le régime de Denis Sassou-N’Guesso n’ont pas entamé sa détermination. Afrique XXI l’a rencontré lors de son passage à Paris en novembre 2023. Il entamait une tournée en Europe : dans la capitale française, mais aussi à Bruxelles (Belgique) et surtout à Genève (Suisse), où il a participé à la grand-messe de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations unies1.
Le lendemain de notre entretien, une bousculade dans un gymnase de Brazzaville, à l’occasion d’un recrutement massif de l’armée congolaise, a fait entre trente et quarante morts, essentiellement des jeunes âgés de 18 à 25 ans. Trésor Nzila estimait alors que ce drame démontrait « le désarroi d’une jeunesse sacrifiée » dans un pays où « les forces de défense et de sécurité sont devenues les principaux pourvoyeurs d’emploi ».
Quelques jours plus tard, le CAD présentait son rapport annuel dans lequel ces mêmes forces sont largement mises en cause pour l’utilisation de la torture et le recours à des exécutions extrajudiciaires. Le document pointe également les expropriations sans concertation, l’absence d’accès aux soins pour une grande partie de la population, les conditions de détention illégales… L’organisation dresse une nouvelle fois un bilan alarmant de la situation des droits de l’homme dans ce pays dirigé depuis 1979 (avec une parenthèse de 1992 à 1997) par Denis Sassou-N’Guesso. Malgré ce contexte délétère, son travail semble porter ses fruits : dans son rapport d’activité rendu public en février2, le CAD rappelle que, grâce à ses soutiens et à sa pugnacité, « des auteurs présumés de violations des droits humains » ont été arrêtés. « Plusieurs procédures en justice ont été ouvertes et nous avons largement contribué pour qu’il y ait un procès dans une affaire impliquant cinq policiers dont le tristement célèbre Manounou Romuald dit Morgan, patron de la funeste brigade de répression du banditisme (GRB). » Ce dernier est notamment accusé, avec d’autres, d’avoir braqué des Congolaises...
La liberté de ton de Trésor Nzila et sa capacité à dire tout haut ce que beaucoup taisent interrogent : pourquoi n’est-il pas en prison ou en exil, comme tant d’autres militants, opposants et journalistes ? Le soutien dont il bénéficie à l’international et sa médiatisation (« Trésor est un bon client pour les médias, il maîtrise les plaidoyers », confie un acteur de la société civile en France) peuvent expliquer cette relative tranquillité. Relative car, admet le Congolais, la pression est constante : convocations par les services de renseignements intérieurs, émissaires anonymes proférant des menaces à peine voilées… Ce bourreau de travail – dont le petit bureau brazzavillois est devenu ce lieu effervescent où l’on vient dénoncer, témoigner, déclarer la disparition d’un proche – le sait : il n’a pas le droit à l’erreur, et ce qu’il avance doit être vérifié car le régime n’aura « aucune tolérance ».
« La France et l’Europe ont une responsabilité morale »
Michael Pauron : Contrairement au Sahel, où les juntes à l’origine de coups d’État ont rompu avec la France et se sont rapprochées d’autres partenaires comme la Russie, le Congo-Brazzaville ne montre aucune hostilité envers l’ancien colonisateur. Quel est le point de vue des Congolais, alors que Denis Sassou-N’Guesso est l’un des derniers alliés de la France en Afrique ?
Trésor Nzila Kendet : Il n’existe aucun « sentiment antifrançais », comme on dit, et nous estimons que le Congo n’a pas besoin de partenaires antidémocratiques sur les questions sécuritaires. Le CAD considère que ce serait contreproductif d’avoir un allié dans ce domaine comme la Chine ou la Russie, pour qui les droits de l’homme ne sont pas une préoccupation, et alors que le contexte est déjà très difficile sur ce point. En fait, ce serait pire.
Michael Pauron : En mai 2023, le CAD a publié un rapport dans lequel le partenariat entre la France, l’Union européenne (UE) et la police congolaise était vivement critiqué. Pourquoi cette coopération pose-t-elle problème ?
Trésor Nzila Kendet : Presque tous les jours, la police congolaise torture, tue, sans que personne n’en parle. La France et l’UE financent et fournissent du matériel à une police malade qui l’utilise pour réprimer la population. Elles ont une responsabilité morale. Elles doivent revoir les termes de ces accords en mettant l’accent sur les droits humains. Plus elles ferment les yeux, plus elles s’exposent aux critiques.
Michael Pauron : Votre appel a-t-il été entendu ?
Trésor Nzila Kendet : Il n’y a pas eu d’engagement clair, même si l’ambassade de France et la délégation de l’Union européenne nous ont fait savoir qu’elles nous avaient entendus et qu’elles partageaient certaines de nos préoccupations. Elles mettent en avant le projet avec l’Union européenne, de 5 millions d’euros, censé améliorer la formation des policiers et soutenir la justice. Selon elles, ces actions visent à corriger ces dérives. Sauf que, dans les faits, ces quelques millions d’euros ne vont pas faire changer de ligne une dictature comme celle-ci. Il faut plus de financements et une dénonciation publique, sinon rien ne changera. Même si la première responsabilité incombe aux Congolais et aux dirigeants congolais, nous demandons aux partenaires occidentaux un soutien sans équivoque sur les questions de démocratie et de droits humains.
Emmanuel Macron a condamné publiquement les meurtres de civils palestiniens [sur la BBC, le 10 novembre 2023, NDLR], pourquoi ne le fait-il pas dans le cas des exécutions extrajudiciaires au Congo ? Les Congolais ont besoin que la France se positionne clairement contre une situation inacceptable et non qu’elle adopte une diplomatie silencieuse, ou un « deux poids deux mesures » qui consiste à fermer les yeux au Congo tout en se montrant réactif ailleurs. Actuellement, toutes les prises de parole publiques de la France servent le président congolais, comme en mars 2023, lors de la visite éclair d’Emmanuel Macron à Brazzaville, ou encore au mois d’octobre suivant, lors de la diffusion d’un message pour soutenir le Sommet des Trois Bassins3.
« Une stratégie de la terreur »
Michael Pauron : Comment expliquer l’impunité des forces de l’ordre congolaises ?
Trésor Nzila Kendet : S’ils commettent ces exactions, c’est qu’il y a des ordres. Dans le cadre de « la lutte contre la criminalité », il y a une volonté au plus haut niveau de l’État d’éradiquer « les terroristes », ainsi qu’ils qualifient, par exemple, les jeunes délinquants appelés aussi « bébés noirs ». En 2019, le procureur de la République, André Oko Ngakala, avait déclaré publiquement qu’il fallait mettre « hors d’état de nuire » ces « terroristes ». En 2022, lors du procès des policiers qui ont torturé des jeunes sous un viaduc, dont les vidéos avaient fait le tour des réseaux sociaux4, les accusés ont reconnu avoir reçu des ordres de leur hiérarchie. La justice s’est contentée de traduire devant les tribunaux les exécutants alors que les ordres venaient d’un niveau plus élevé.
Chaque fois que j’ai rencontré des autorités policières, elles m’ont dit qu’elles voulaient en finir avec le banditisme. Mais la réponse est disproportionnée, et des innocents sont tués. On l’a vu avec l’affaire Chacona, en 2018 [lorsque treize jeunes ont été retrouvés morts dans un commissariat après avoir été torturés, NDLR] et avec l’affaire du viaduc… Elles n’ont rien à voir avec le banditisme. N’importe quel Congolais peut être accusé d’être un « bébé noir » et exécuté. C’est une stratégie de la terreur. Si ces meurtres ne sont pas mis sur la place publique, ils passent inaperçus. Les rares cas qui ont fait l’objet de procès, c’est parce que des voix se sont élevées, notamment sur les réseaux sociaux. Et, à part le CAD, il y a très peu d’ONG qui documentent ces exactions.
Michael Pauron : Face à cette répression aveugle, quel est l’état d’esprit de la population ?
Trésor Nzila Kendet : Elle est résignée ! Les Congolais sont fatalistes, ils n’ont plus confiance en leurs dirigeants et se disent que, d’une manière ou d’une autre, Denis Sassou-N’Guesso finira par partir. Par ailleurs, les inégalités sont abyssales, ce qui crée des tensions. Il suffirait d’un rien pour que le pays s’embrase... Mais la population se retient, elle est certainement encore marquée par les différentes guerres civiles. Le peuple assiste impuissant et attend qu’un miracle s’opère. Le problème, c’est que le « système » est bien ancré et risque de perdurer. Les dirigeants actuels, qui n’offrent aucune perspective aux Congolais, qui affament le peuple, ont fabriqué des peurs collectives. Ce contexte paupérise et crée la délinquance. Ces jeunes marginalisés appelés « bébés noirs » ne sont que la conséquence de cette situation.
« L’armée est clanique »
Michael Pauron : Au Gabon, en août 2023, le général Brice Oligui Nguema a renversé Ali Bongo Ondimba, mettant fin à presque six décennies de règne d’une même famille. Comment ce putsch, dans ce pays voisin, a-t-il été accueilli ?
Trésor Nzila Kendet : Il a été soutenu par la population et très commenté. Sur les réseaux sociaux, les internautes congolais ont espéré qu’après le Gabon ce soit au tour du Cameroun [dirigé par Paul Biya, 91 ans, depuis 1982, NDLR] et du Congo. Des noms de possibles putschistes sont même sortis ! Il y a également eu une rumeur de coup d’État qui a nécessité un démenti de la part de Thierry Moungalla, le porte-parole du gouvernement.
Michael Pauron : Et en cas de soulèvement populaire au Congo, quelle serait la réaction de l’armée ?
Trésor Nzila Kendet : L’armée n’est pas indépendante, elle est clanique, dans le sens où les généraux sont pour la plupart originaires de la même région que le chef de l’État, dans le nord du pays. On trouve à des postes à responsabilité des militaires qui ont soutenu le président durant la guerre civile. Ils lui sont redevables. Les Congolais savent que la force publique est du côté du pouvoir, ce qui nourrit davantage ce sentiment de résignation.
Michael Pauron : L’opposition congolaise existe-t-elle encore ?
Trésor Nzila Kendet : Denis Sassou-N’Guesso a réussi à étouffer les potentiels opposants qui auraient pu faire quelque chose. On voit émerger quelques jeunes, mais ils n’ont ni la carrure ni les moyens de faire bouger les lignes. Les anciens ont été soit corrompus, soit gagnés par la peur. Ils se contentent désormais de faire des petites déclarations sur les réseaux sociaux qui passent inaperçues, et ils n’incitent pas la population à se prendre en charge. En ce moment, il n’y a donc pas d’acteur politique capable de fédérer et de mobiliser les forces. Il y a le premier parti d’opposition « officiel », l’Upads5, et il y a l’opposition qualifiée de « radicale » par le pouvoir. Il n’y a aucun dialogue entre eux. Les deux candidats dissidents les plus redoutables, le général Jean-Marie Michel Mokoko et le député André Okombi Salissa, sont en prison. Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a rendu deux avis distincts exigeant leur libération sans condition. Le régime n’a même pas réagi.
« Internet est le seul espace d’expression qui nous reste »
Michael Pauron : Quelle est la part de responsabilité de l’opposition dans cette situation ?
Trésor Nzila Kendet : Elle n’est pas courageuse ! Elle ne s’engage pas et entretient ce sentiment de fatalisme au sein de la population. Certains opposants ont été achetés pour garder le silence. L’opposition est paralysée par la peur, suite aux expériences du passé. Mais, enfin, il s’agit quand même d’acteurs politiques, et certains accèdent même aux responsabilités ! Ils doivent innover pour continuer à exister et faire pression plutôt que de se cacher éternellement derrière la répression – qui est bien réelle – pour ne rien faire. On espère une nouvelle génération mais, malgré quelques-uns qui s’agitent, il n’y a pas de proposition. L’élection présidentielle de 2025 arrive à grand pas, et Denis Sassou-N’Guesso sera encore candidat, cela ne fait aucun doute.
Michael Pauron : Y a-t-il un soutien de l’extérieur ?
Trésor Nzila Kendet : Ça ne bouge pas non plus. Au niveau des Congolais de l’étranger, il y a des tentatives de passer des messages aux puissances occidentales, mais les mouvements ne sont pas structurés et il n’y a pas à ma connaissance d’agenda clair ni de coordination des actions.
Michael Pauron : Vous parlez souvent des réseaux sociaux comme relais de la parole. Est-ce le dernier lieu d’expression libre ?
Trésor Nzila Kendet : Oui, Internet est le seul espace d’expression qui nous reste, les voix discordantes n’ayant pas accès aux autres médias, notamment publics. Cependant, nous craignons que cet espace soit aussi censuré, puisque les autorités ont commencé à stigmatiser les réseaux sociaux...
Michael Pauron : Le CAD joue aussi le rôle de lanceur d’alerte sur les textes législatifs en discussion. Avez-vous facilement accès à ces informations en amont ?
Trésor Nzila Kendet : Pas vraiment. Souvent, on se retrouve surpris en apprenant que tel ou tel texte a été voté. Certaines initiatives, comme sur l’environnement, impliquent parfois la société civile, et là, nous avons accès aux textes. Nous avons d’ailleurs pu alerter sur les droits des populations et sur les expropriations dans un certain nombre de cas. Mais, par exemple, c’est lors de la visite du président rwandais, Paul Kagame, que nous avons appris qu’un accord agro-industriel avait été signé avec le Rwanda6. Ce projet, porté par Denis-Christel Sassou-N’Guesso [le fils du président, NDLR], pourrait conduire à la confiscation de terres et à de nombreuses expropriations. Pourtant, la société civile n’a pas été consultée. L’accord n’est toujours pas public, et les informations sortent par bribes.
« L’environnement est utilisé pour avoir de la visibilité »
Michael Pauron : Avec le Fonds bleu et le Sommet des Trois Bassins, Denis Sassou-N’Guesso affiche un intérêt prononcé pour la défense de l’environnement. C’était le cas aussi d’Ali Bongo au Gabon. Or la réalité du terrain s’avère souvent bien différente des annonces. Libreville comme Brazzaville sont deux pays producteurs de pétrole, de bois et de bien d’autres richesses. Le comportement de l’industrie extractive au Congo est-il en adéquation avec les discours politiques ?
Trésor Nzila Kendet : Pas toujours. Et il y a un sérieux problème de transparence dans les activités extractives. Nous n’avons même pas accès au registre des entreprises qui exploitent les richesses du Congo. Par exemple, Pierre Oba, ministre des Mines depuis 2005 sans discontinuité, délivre des permis dans le nord du pays pour exploiter l’or au mépris de l’environnement et des droits humains. Les forêts sont détruites, les eaux se tarissent ou sont polluées, ce qui impacte directement les ressources des populations, qui, au final, ne bénéficient pas du fruit de cette exploitation. Elles vivent dans des conditions misérables, et les mesures de compensation promises sont rarement respectées. Quand on interroge les exploitants, ils vous renvoient à Brazzaville. Même les autorités locales n’ont pas leur mot à dire ! La ministre de l’Environnement, Arlette Soudan-Nonault, a fait quelques visites et a publié quelques notes de mise en demeure, mais tout cela n’a eu aucun effet. Le seul espoir est que les populations parlent et que la société civile s’empare du sujet.
Michael Pauron : Le Congo est pourtant adhérent de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Itie)...
Trésor Nzila Kendet : Oui, et depuis le secteur pétrolier est un peu plus accessible. Mais, par exemple, si la production de bois est théoriquement encadrée par des législations nationale et internationale, leur mise en œuvre au Congo n’est pas toujours suivie. C’est le cas de la loi forestière votée en 2020 qui interdit l’exportation des grumes. L’État est très endetté auprès de certaines entreprises, comme la Congolaise industrielle des bois [CIB, filiale du groupe singapourien Olam, NDLR]. Sa dette est chiffrée en milliards de francs CFA. Cette situation permet de tordre le bras à l’État et de freiner la mise en œuvre des lois. Le Règlement sur le bois de l’Union européenne (RBUE) ne suffit pas, ni le règlement existant de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, NDLR] : le bois transite par la Chine, où il est transformé et certifié avant de repartir en Europe...
Les Trois Bassins, le Fonds bleu, l’accord de partenariat volontaire7 qui visent à assurer la transparence du bois coupé… L’environnement est utilisé pour avoir de la visibilité. Cette stratégie est mise en place par des agences de communication internationales sans scrupules alors que les pratiques sur le terrain sont bien différentes.
Michael Pauron : Quelle serait la solution pour améliorer le secteur du bois ?
Trésor Nzila Kendet : Il faut lutter contre la corruption et appliquer la réglementation. Il faut également imposer aux exploitants la mise en place d’unités de transformation locale, les pousser à investir, afin de créer de l’emploi et de valoriser le bois congolais. C’est ce que nous soutenons.
Michael Pauron : La Banque mondiale prévoit un taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) de 3,2 % en 2023 et de 3,5 % en moyenne en 2024-2025. N’est-ce pas là un point positif ?
Trésor Nzila Kendet : Les données macroéconomiques sont plutôt flatteuses. Mais l’impact de ces chiffres sur la vie de la population ne se voit pas. La misère s’accentue. Il y a des coupures d’électricité tous les jours dans le centre de Brazzaville, et le reste du pays est peu électrifié. À côté de cela, le pouvoir a construit des tours jumelles dans la capitale grâce à des financements chinois [hautes de 135 mètres et inaugurées en octobre 2023, elles ont coûté 235 millions d’euros, NDLR]. Le Fonds monétaire international (FMI) pousse à la fin des subventions des carburants, or toutes les mesures d’austérité sont par essence agressives avec des impacts considérables sur le quotidien des plus démunis. Malgré les mesures de régulation annoncées, l’inflation est galopante et le coût de la vie s’envole. À cela s’ajoute le chômage endémique : le drame de la nuit du 20 au 21 novembre, lors d’un recrutement de l’armée, a bien mis en lumière cette détresse des jeunes qui ne trouvent pas d’emploi. Au Congo, nous sommes un peu moins de 6 millions d’habitants : avec toutes les richesses disponibles, les Congolais devraient vivre mieux.
« Là où s’éternise un autocrate, la situation stagne »
Michael Pauron : Vous estimez que la situation se dégrade ?
Trésor Nzila Kendet : Si on compare la situation entre les premières années au pouvoir de Denis Sassou-N’Guesso et aujourd’hui, on peut parler d’une dégradation. Il y a des secteurs qui régressent et les libertés reculent. Avant, il y avait le parti unique, l’État providence, des plans quinquennaux… En Afrique centrale, le pays était quand même apprécié. Aujourd’hui, où sont les secteurs émergents qui ont un impact positif sur les populations ? Il y a beaucoup d’éléphants blancs (des palais présidentiels partout, des bâtiments vides…). De toute manière, là où s’éternise un autocrate, la situation stagne, c’est l’encéphalogramme plat.
Michael Pauron : Comment le CAD arrive-t-il à travailler sans être inquiété ?
Trésor Nzila Kendet : Les pressions sur le CAD ne manquent pas ! Après mon départ de l’OCDH et mon arrivée à la tête du CAD, j’ai été convoqué par les services des renseignements généraux. Ils voulaient comprendre la situation légale de l’organisation. Il y a aussi eu des réunions en mon absence au cours desquelles il était question de moi. Ils étaient persuadés que le CAD n’était pas reconnu légalement et qu’ils pouvaient procéder à une fermeture administrative. Je suis allé les voir pour montrer que tout était en règle. Ils ont été surpris. C’est quand même un comble qu’un organe du ministère l’Intérieur, qui fournit les autorisations, ne soit pas au fait de cela !
Ils cherchent la faille, mais notre médiatisation est notre meilleure protection. Il y a pas mal d’initiatives, de réflexions chez eux, pour me mettre en difficulté. Je vais aux convocations, ils promettent des arrestations… Mais ça n’aboutit pas encore. J’ai eu pas mal de messages inquiétants, je le fais toujours savoir. Un jour, un haut gradé m’a envoyé quelqu’un pour me rappeler ce qui était arrivé à Floribert Chebeya, à Kinshasa8. Heureusement, j’ai pu enregistrer l’entretien et je l’ai partagé. Nos partenaires sur place se sont dits préoccupés. Je pense qu’ils sont intervenus d’une manière ou d’une autre.
Vous avez aimé cet article ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables) :
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.
1L’Examen périodique universel (EPU) est un mécanisme unique créé en 2006 par les Nations unies afin d’obtenir une vision globale de la situation des droits de l’homme dans chacun des États membres.
3Dans cette prise de parole, le président français avait salué « l’engagement personnel du président Sassou » dans la protection des forêts.
4Lire Loïcia Martial, « Congo-Brazzaville : quatre policiers soupçonnés d’actes de torture sur trois hommes », RFI, 8 janvier 2022.
5L’Union panafricaine pour la démocratie sociale a été fondée en 1991 par l’ancien président Pascal Lissouba. Elle a obtenu sept sièges de députés (sur 151) lors des législatives de juillet 2022.
6Lire Olivier Caslin, « Paul Kagame à Brazzaville sous le signe de “l’amitié et de la coopération” avec le Congo », Jeune Afrique, 14 avril 2022.
7Accord de partenariat volontaire (APV) sur l’Application des réglementations forestières, la gouvernance et les échanges commerciaux (FLEGT), signés en 2010 entre le Congo et l’UE.
8Floribert Chebeya Bahizire, mort assassiné le 2 juin 2010 à Kinshasa, était un militant congolais des droits de l’homme.