Sankara. Un procès, des histoires (9/9)

« Il a fallu ce procès pour habiller le squelette des événements »

Podcast · En octobre 2021, trente-quatre ans après les faits, le procès des assassins de Thomas Sankara et de douze de ses camarades s’est ouvert à Ouagadougou. Au micro d’Afrique XXI, des acteurs de ce procès le racontent en toute simplicité et évoquent leurs souvenirs de la révolution. Dans ce neuvième et dernier épisode, l’un des avocats des parties civiles, Me Prosper Farama, se livre dans un entretien passionnant.

L'image montre un homme debout devant un arrière-plan de feuillage vert dense. Il porte une tunique blanche à col montant et un pantalon sombre. Son sourire dégage une attitude amicale et confiante. Les arbres autour de lui ajoutent une ambiance naturelle, avec des branches feuillues qui encadrent sa silhouette. Le fond est constitué de murs dans des tons nude, apportant une touche chaleureuse à la scène. La lumière naturelle semble douce, créant une atmosphère sereine.
Prosper Farama.
© Sophie Garcia / Hans Lucas

Il y a un peu plus d’un an, un procès historique débutait au Burkina Faso : celui des assassins de Thomas Sankara et de douze de ses compagnons, tués le 15 octobre 1987. Ce procès s’est ouvert trente-quatre ans après les faits, le 11 octobre 2021, devant la chambre de première instance du tribunal militaire de Ouagadougou. Il s’est refermé le 10 mai 2022 avec le délibéré sur les intérêts civils. Le 6 avril, trois des quatorze accusés avaient été condamnés à la prison à perpétuité : l’ancien président Blaise Compaoré, présenté comme le commanditaire de l’assaut contre son ami et frère d’armes Thomas Sankara ; son ex-chef de la sécurité rapprochée Hyacinthe Kafando ; et Gilbert Diendéré, qui était au moment des faits le chef de la sécurité du Conseil de l’Entente, le siège du pouvoir révolutionnaire où Thomas Sankara et ses camarades ont été exécutés par un commando.

Durant près de six mois, Afrique XXI a suivi les audiences et le passage à la barre d’une centaine de témoins. Certains d’entre eux ont été particulièrement marquants. Une fois que le procès s’est terminé, Afrique XXI leur a demandé de témoigner à nouveau, mais devant le micro cette fois. Chaque semaine, nous diffusons le récit intime de l’un d’entre eux : ses souvenirs de la révolution, ses liens avec Sankara, ce que ce procès a représenté pour lui, comment il l’a vécu…

Notre neuvième et dernier témoin est Prosper Farama. La carrière de cet avocat réputé débute avec cette affaire. Quand Me Bénéwendé Sankara (aucun lien de parenté avec Thomas Sankara) parvient à faire enregistrer la plainte pour assassinat de Sankara à Ouagadougou, le 3 octobre 1997, Prosper Farama est son stagiaire. Lors du procès, il était l’avocat de quatre des treize parties civiles, dont la famille de Thomas Sankara.

« À l’époque, c’était très courageux, c’était même suicidaire, se souvient-il. Tout le monde savait que tant que le régime de Blaise [Compaoré] resterait en place, aucune affaire, ni celle-ci, ni celle de l’assassinat de Norbert Zongo1, n’aboutirait. L’instruction a démarré six mois après le renversement de Blaise Compaoré fin octobre 2014. Dès l’acte de dénonciation des faits par le procureur, le 6 mars 2015, la machine s’est mise en marche. »

« Bâtir une société où on n’a plus peur »

À l’extrémité de la barre de robes noires représentant les parties civiles, au premier rang de la salle des banquets de Ouagadougou, Prosper Farama a été un acteur majeur de ce procès. Pugnace, maniant tout aussi bien le sarcasme, la naïveté feinte, la compassion que les questionnaires piégeux, il a marqué les esprits par son style et sa maîtrise du dossier. C’est lui qui a aussi sorti les griffes face au général Gilbert Diendéré, homme lige du système Compaoré et principal accusé dans ce procès.

« Devant ce tribunal, a-t-il narré au moment de clore les plaidoiries des parties civiles, j’ai eu une petite altercation avec le général Diendéré. Le lendemain, un de mes fils est rentré de l’école et m’a dit, inquiet : “Il paraît que tu t’en prends à des gens et que ça va te coûter cher.” Je me suis dit qu’il fallait vraiment que ce procès aille jusqu’à son terme. Pour qu’on en finisse avec ces suppliciés du 15 octobre 1987, et avec ce système où certains individus ont un droit de vie ou de mort sur d’autres. C’est essentiel pour bâtir une société où on n’a plus peur. »

C’était le 7 février 2022, deux semaines après le coup d’État du 24 janvier au cours duquel des officiers ont renversé le président Roch Marc Christian Kaboré. Une des nombreuses « péripéties » qui ont, selon lui, troublé ce marathon judiciaire. Alors qu’enfin « une page se tourne » avec la fin (provisoire) de cette affaire, Prosper Farama revient dans cet épisode sur les temps forts de ce procès et sur la figure de Thomas Sankara.

Réalisation : Agnès Faivre (avec Michael Pauron)

1Le 13 décembre 1998, le journaliste Norbert Zongo, directeur de publication de L’Indépendant, est retrouvé mort sur la route de Sapouy, dans le centre-ouest du pays, avec trois autres passagers de son véhicule. Ils ont été abattus puis brûlés. Norbert Zongo enquêtait alors sur la mort suspecte d’un chauffeur de François Compaoré, le frère cadet du président Blaise Compaoré.