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La lettre hebdomadaire #202

Du Mali à la Tanzanie, la quête de nouveaux modèles

L'image présente une composition colorée et vibrante, typique de l'art abstrait. On y voit plusieurs silhouettes humaines, représentant des personnes en mouvement, probablement en train de marcher ensemble. Les figures sont stylisées, avec des formes géométriques et des lignes fluides, créant une dynamique de groupe. Les couleurs vives, comme le bleu, le rouge, le vert et le jaune, se mélangent harmonieusement, évoquant une atmosphère festive et joyeuse. L'arrière-plan est également coloré, ajoutant à la sensation de mouvement et d'énergie collective. Les personnages semblent engagés dans une interaction vivante, suggérant une fraternité et une célébration partagée.
La Réunion, acrylique sur toile, de Kamba Mukeke.
© Kamba Mukeke

À LIRE

LE MODÈLE RUSSE À L’ÉPREUVE DE LA CRISE MALIENNE

Par Bokar Sangaré, Université libre de Bruxelles

Le haut fonctionnaire Yaya Gologo – conseiller spécial du général-président Assimi Goïta depuis février 2024 – livre une réflexion sur la trajectoire de l’État en Russie et en Afrique. Au Mali, la publication de son ouvrage Poutine aux Africains. Géopolitique mondiale s’inscrit dans un contexte marqué par un changement d’alliance géopolitique : un revirement en faveur de la Russie en 2021. Catégorique dans sa conclusion, l’auteur estime que, comme en Russie sous Poutine, « le retour de l’État peut être considéré [en Afrique] comme la solution aux problèmes qui sont pour la plupart liés au grand délabrement du système institutionnel engendré par des facteurs à la fois endogènes et exogènes. »

S’appuyant sur ses recherches à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) sur la recomposition de l’Europe postcommuniste, après des études en ex-URSS et une thèse en droit public à l’Université de Grenoble, il explique que Vladimir Poutine, à son arrivée au pouvoir, a engagé,« aux antipodes de la Perestroïka », une politique russo-centrée qui rejette le modèle d’État occidental. Sous Boris Eltsine (élu en 1996), écrit l’auteur, l’État russe était entré en déliquescence malgré les privatisations menées dans le cadre de la « thérapie de choc » défendue par les États-Unis. À l’époque, cet épisode est décrit par les Russes par un terme désabusé, « Bespredel » (qui est absurde, qui ne peut être compris).

À son arrivée au pouvoir, affirme Yaya Gologo, Poutine décide de suivre sa propre voie et engage la quête d’un « nouvel ordre mondial ». Sur le plan interne, il renforce l’autorité de l’État en imposant par le haut « la dictature de la loi » et la « verticalité du pouvoir » – avec le retour en force des « Guébistes » (FSB, ex-KGB), dont il est issu – et en « s’appuyant sur les valeurs chrétiennes et familiales traditionnelles auxquelles la population russe est largement fidèle ». Cette valorisation de la « tradition » pour créer un paradigme politique alternatif en privilégiant les valeurs conservatrices, que semble idéaliser Gologo, met pourtant en avant une sorte d’« exceptionnalisme » sur le mode culturaliste du « choc des civilisations » – une vision dont on a tendance à penser qu’elle a pris le dessus sur celle de la « Fin de l’Histoire ».

Pourtant, dans la confrontation entre ces deux récits, qui a dominé les débats dans le champ des relations internationales entre 1990 et 2000, ni l’un ni l’autre ne l’a emporté. Gologo déroule une vision romantique de la politique russo-centrée de Poutine en cédant à l’« essentialisme culturel » comme mode d’explication pour cultiver la différence : « S’il existe une différence fondamentale entre les Russes et les Occidentaux, elle se situerait sans doute dans leur attitude envers le pouvoir et l’autorité. Si la défiance envers le pouvoir est une pratique courante en Occident, d’ailleurs c’est un caractère inné des traditions américaines ou françaises, […] les Russes admirent la grandeur et le pouvoir sans restriction. »

Sur la scène internationale, Poutine opte pour le repli, réaliste sur les enjeux internationaux selon Gologo, après l’espoir déçu d’un rapprochement avec l’Occident. Cette quête d’un nouvel ordre mondial (exprimée aussi dans une fameuse « Lettre aux citoyens du monde », au cœur de l’ouvrage mais dont l’authenticité est contestée par l’AFP Factuel), pousse la Russie à un réengagement en Afrique, où elle entretient des relations avec plusieurs pays dans différents domaines, notamment sécuritaire, comme en Centrafrique et au Mali. Au Mali, en proie à la violence armée comme ses voisins sahéliens, Gologo prône « un retour de l’État comme réponse aux problèmes » après que les réformes néolibérales issues du consensus de Washington ont affaibli ses capacités en imposant un « État minimum ».

L’analyse de Gologo omet de rappeler que, depuis fin 1990, on assiste à une réhabilitation des politiques publiques avec l’État « comme acteur central et incontournable du développement » – de retour en force « à travers des politiques publiques sécuritaires », d’ailleurs sous l’impulsion des pays occidentaux. Or, illustration supplémentaire des affinités électives avec le régime russe contemporain, cette dynamique a débouché sur une restauration autoritaire, symptôme des « révolutions conservatrices ».

Gologo propose un « État africain intégré » sur le modèle fédéraliste pour en finir avec l’État territorial, avec un « afrocentrisme des politiques » et une « division interafricaine du travail ». En gros : une politique « afrocentrée » ou encore le repli dans des configurations étatiques qui, comme en Russie, restent engluées dans « l’impasse nationale-libérale ». L’auteur n’en est pas à une contradiction près dans la mesure où l’argument du rejet des modèles ne l’empêche pas de basculer dans une idéalisation du modèle russe. Celui-ci – grand paradoxe – combine rhétorique sur les valeurs traditionnelles avec hypermodernisation technologique, une polarisation des valeurs traditionnelles et libérales qui ne s’excluent pas. L’adhésion de la population au nationalisme russe, notamment la version qui s’articule autour de l’État-civilisation, aurait, pourtant, gagné à être relativisée et placée dans une perspective critique. Surtout quand on sait que, pour reprendre les propos de l’historienne Sophie Bessis, tout nationalisme a pour fantasme de créer un État homogène à travers un roman national qui a peu de choses à voir avec la réalité.

À lire (ou non...) : Yaya Gologo, Poutine aux Africains. Géopolitique mondiale, Éd. Yeredon, 140 pages, 2025.
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SUR NOS ÉCRANS RADARS

EN TANZANIE, UNE TERRIBLEPRESSION POSTÉLECTORALE

Plus de 1 000 morts, c’est le bilan de la répression postélectorale qu’avance l’ordre des avocats du Tanganyika. Les Tanzaniens se sont massivement mobilisés pour rejeter l’élection de la présidente sortante Samia Suluhu Hassan – avec officiellement 98 % des voix – la semaine dernière. Et ils en ont payé un prix très élevé. La journaliste Zoé Debussy analysait pour nous en juillet l’intensification de la répression des voix critiques – emprisonnement, disparitions et tortures – depuis l’arrivée au pouvoir de Suluhu Hassan, en 2021. Symbole de cet autoritarisme, l’opposant Tundu Lissu croupit en prison depuis six mois. Poursuivi pour haute trahison, il encourt la peine de mort.

À (re)lire : Enlèvements, tortures... Vers une élection présidentielle sans opposant en Tanzanie.
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Né en Ouganda et musulman de gauche, Zohran Mamdani élu maire de New York
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Par Sylvain Cypel

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Enquête La Russie est une destination académique de plus en plus attractive pour les étudiants venus d’Afrique. Selon les autorités, leur nombre dépasserait désormais celui enregistré à l’époque soviétique. Moscou s’emploie à promouvoir ses campus et à faciliter leur venue, y voyant un puissant levier d’influence.
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Santé. Le diabète, un fléau mal détecté au Cameroun
Reportage On estime à 2,5 millions le nombre de Camerounaises qui souffriraient de diabète. Mais près de 80 % des personnes atteintes n’en seraient pas informées, faute de diagnostic précoce et de sensibilisation suffisante. Le prix des traitements, exorbitant pour le niveau de vie local, est un autre obstacle.
Par Samuel Fergombé

Nigeria-États-Unis. « Certains refusent d’affronter la complexité du réel »
Entretien Sur quoi reposent les affirmations de Donald Trump selon lesquelles il existerait un « génocide » des chrétiens au Nigeria ? Jusqu’où le président états-unien est-il prêt à aller et pourquoi ? Décryptage avec le chercheur spécialiste des conflits en Afrique de l’Ouest Vincent Foucher (membre du comité éditorial d’Afrique XXI).
Par Michael Pauron

Au Kenya, la longue histoire de la country music
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Par Jean-Christophe Servant
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Paris’s Ideal Ally
Ouattara and the France (serie 2/2) On the 25th of October, the Ivorian president presented himself to voters for the fourth time. Since he came to power thanks to France, in 2011, the head of State opened the doors of Côte d’Ivoire wide to the former colonizing country’s companies and political networks.
By Fanny Pigeaud

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