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Santé. Le diabète, un fléau mal détecté au Cameroun

Reportage · On estime à 2,5 millions le nombre de Camerounaises qui souffriraient de diabète. Mais près de 80 % des personnes atteintes n’en seraient pas informées, faute de diagnostic précoce et de sensibilisation suffisante. Le prix des traitements, exorbitant pour le niveau de vie local, est un autre obstacle.

L'image montre une scène dans une salle de consultation. À gauche, une professionnelle de la santé, vêtue d'un manteau blanc et de gants, effectue un test sur le bras d'une patiente. La femme qui reçoit le soin porte un turban jaune et une robe aux motifs colorés. Elle semble concentrée et un peu nerveuse. Sur la table devant elles, on peut voir des documents et des instruments médicaux, comme un petit appareil de mesure. Les murs de la pièce sont peints en bleu, et le sol est en béton. L'environnement est calme, et l'atmosphère est professionnelle, axée sur le soin et le soutien.
Tests et sensibilisation au diabète lors de la Journée mondiale du diabète, au lycée bilingue de Bafoussam Banengo, le 22 novembre 2019.
© International Diabete Federation

22 mai 2025. Comme chaque jour à l’hôpital de district de Pitoa, dans le nord du Cameroun, le docteur Hassan reçoit jusqu’à cinq patients atteints de diabète : « Ce matin encore, un homme de 47 ans présentait les signes classiques de la maladie : la polyurie (urines fréquentes), la polydipsie (soif excessive) et l’extrême fatigue », déplore-t-il. En poste depuis seulement six mois, il est frappé par le nombre croissant de patients, de tous âges, souvent mal informés sur leur état de santé :

Beaucoup de patients viennent avec des ganglions, après une petite plaie soignée dans un centre de santé, sans que personne ne pense au diabète. Et puis, un an ou un an et demi plus tard, la plaie ne guérit toujours pas et, parfois, on en arrive à devoir amputer.

En Afrique, le diabète représente un enjeu de santé publique majeur. Sur le continent, 54 millions de personnes étaient atteintes par la maladie en 2021, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un chiffre conséquent, en raison de l’augmentation du surpoids, de la sédentarité et de l’obésité. Au Cameroun, environ 2,5 millions de personnes en seraient atteintes, soit entre 6 et 8 % de la population adulte. Pourtant, d’après les données du ministère camerounais de la Santé1, près de 80 % d’entre eux ignorent encore qu’ils sont malades, faute de diagnostic précoce ou de sensibilisation suffisante. Maladie chronique affectant près de 600 millions de personnes dans le monde, selon la Fédération internationale du diabète (FID), le diabète se caractérise par un manque (dans le cas du diabète de type 1) ou une insuffisance d’insuline (dans le cas du diabète de type 2), hormone vitale dans la régulation du sucre dans le sang. En l’absence de diagnostic précoce, conjuguée à un traitement inadapté ou inexistant (qu’il soit oral ou injectable), les patients s’exposent à des complications graves, pouvant aller jusqu’au coma ou au décès.

« Parfois, c’est le marabout qui leur dit d’aller à l’hôpital »

Parmi les patients que reçoit le docteur Hassan, beaucoup arrivent en pleine crise d’hyperglycémie (un excès de sucre dans le sang) ou d’hypoglycémie (une baisse du taux de sucre dans le sang), avec des taux d’hémoglobine glyquée (HbA1c) très élevés. Les instances de santé, dont l’OMS, la Haute Autorité de santé en France, ou encore l’American Diabetes Association, considèrent l’hémoglobine glyquée comme un marqueur clé du suivi du diabète et de son diagnostic. Généralement contrôlé tous les trois mois, le taux d’hémoglobine glyquée constitue un indicateur essentiel de l’équilibre glycémique : « On voit parfois des taux d’HbA1c qui montent jusqu’à 15 %, ce qui montre que le diabète est complètement déséquilibré et que le risque de complications à long terme est élevé », explique le médecin. Pour limiter ces risques, les recommandations internationales préconisent de maintenir ce taux à 7 % ou en dessous, bien que des objectifs individualisés puissent être fixés selon l’âge, l’état de santé global et les antécédents du patient. Ces taux anormalement élevés observés par le docteur Hassan, comme par les infirmières de l’hôpital Laquintinie, à Douala, où Afrique XXI s’est également rendu, révèlent à la fois un retard de diagnostic et un refus d’accepter la maladie.

Longtemps, le diabète a fait l’objet de croyances culturelles tenaces, qui freinent sa reconnaissance médicale et retardent considérablement sa prise en charge. Dans plusieurs communautés, le diabète est associé à la sorcellerie : « C’est souvent lorsque les complications deviennent graves, après avoir consulté plusieurs marabouts sans résultat, que les patients se tournent enfin vers nous, raconte le docteur Hassan. Parfois, c’est le marabout lui-même qui leur dit : “Non, cette maladie-là, il faut aller à l’hôpital.” »

Chaque année, le docteur Hassan et ses équipes soignantes organisent deux campagnes de sensibilisation au cours desquelles ils réalisent des tests de glycémie afin de sortir leurs patients de ces croyances profondément ancrées et de leur faire prendre conscience de leur état de santé. Ces moments de pédagogie sont d’autant plus essentiels que le diagnostic du diabète est plus accessible en milieu urbain, où, contrairement aux zones rurales, les équipements sont disponibles, et les initiatives éducatives plus fréquentes (comme l’insulinothérapie fonctionnelle, une méthode de gestion du diabète qui permet d’adapter les doses d’insuline aux repas, à l’activité physique et à d’autres facteurs du quotidien).

Un manque de suivi

Aude Ngouabe Epse Bidiasse, infirmière à l’hôpital Laquintinie, à Douala, raconte qu’elle consacre une part importante de son temps à l’éducation des patients en les accompagnant dans l’adoption rapide des gestes et des habitudes indispensables pour gérer leur diabète au quotidien. Une pédagogie qui est selon elle nécessaire, mais qui est peu effectuée dans les milieux ruraux. Une telle situation oblige les malades à parcourir de longues distances pour accéder à une prise en charge spécialisée, précise le Dr Hassan :

Dans le système de santé camerounais, l’hôpital de district représente le premier niveau de prise en charge pour les malades. C’est là qu’on pose le diagnostic initial, avant d’orienter immédiatement le patient vers un hôpital de niveau supérieur où un spécialiste pourra prendre le relais et adapter le traitement. À l’hôpital de district, on met en place des protocoles pour prévenir ou gérer les complications, mais c’est ensuite chez le diabétologue que le suivi personnalisé s’effectue.

Or ce suivi médical est essentiel pour adapter le traitement au type de diabète de chaque patient. Un patient diabétique de type 1 n’aura pas le même traitement qu’un patient diabétique de type 2, ni les mêmes contraintes. Faute de suivi, Madeleine Baya, diabétique depuis deux ans et enseignante à Pitoa, doit redoubler de vigilance quant à sa consommation de sucre, afin d’éviter les déséquilibres glycémiques et les complications à long terme. Une prise en charge plus structurée aurait pu lui offrir un accompagnement adapté à sa pathologie.

« Les différents traitements restent chers »

Elle et sa sœur Simba Kidi témoignent d’un manque d’explications après le diagnostic : on leur a simplement annoncé qu’elles étaient diabétiques, sans leur fournir les clés pour comprendre et gérer leur maladie au quotidien. Pourtant, la dimension génétique de cette pathologie aurait mérité d’être abordée. Comprendre que le diabète peut être héréditaire, transmis au sein d’une même famille, aurait permis d’anticiper les risques, de renforcer la vigilance autour des symptômes et d’alerter d’autres membres de la famille potentiellement concernés. Pour pallier cette carence, leur famille a investi dans un glucomètre, seul moyen pour elles de surveiller leur taux de sucre dans le sang. Une démarche devenue indispensable, surtout après le décès tragique de leur petit frère, Somsimbo Fanbone, emporté par une hyperglycémie sévère et des complications métaboliques non prises en charge à temps.

Au-delà des difficultés d’accès à un suivi, le diabète est souvent perçu comme une maladie de « riches » par la population, tant le coût des soins et des équipements indispensables à sa gestion dépasse les moyens de nombreuses familles. Au Cameroun, les patients doivent assumer seuls le coût de leur traitement, avec des dépenses mensuelles pouvant atteindre 20 000 francs CFA (environ 30 euros). « Certains des médicaments les plus couramment prescrits, comme le Glucophage, le Glucovance ou encore la Metformin, sont vendus à l’unité par boîte et peuvent coûter jusqu’à 6 000 francs CFA », explique Monique Wayam Mathieu, pharmacienne à Pitoa. Ces coûts sont prohibitifs pour les habitants de cette zone rurale du nord du Cameroun, où les salaires figurent parmi les plus bas du pays, comme le souligne le Fonds national de l’emploi (FNE), qui estime que 64  % des actifs de la région gagnent moins que le salaire minimum, aujourd’hui fixé à 43 969 francs CFA par mois. « Bien qu’il y ait des médicaments génériques, les différents traitements restent chers, même s’ils le sont moins que les médicaments de référence », soutient Monique Wayam Mathieu.

À ces charges financières s’ajoutent les contraintes de conservation de certains traitements essentiels, comme l’insuline en flacon ou en stylo, dont la gestion logistique est particulièrement problématique dans les zones rurales telles que Pitoa, où les températures peuvent frôler les 40 degrés en avril. Très sensible à la chaleur, l’insuline doit être conservée à température constante – une condition difficile à remplir dans un contexte marqué par des coupures d’électricité fréquentes. Faute de réfrigération fiable, de nombreux patients se tournent vers des méthodes artisanales, utilisant notamment des pots en terre cuite pour tenter de préserver leur traitement.

La récente mise en place de la Couverture de santé universelle (CSU) par le ministère de la Santé publique nourrit quelques espoirs de voir émerger dans les années à venir un dispositif comparable à celui des affections de longue durée (ALD) en France, qui prend en charge les maladies chroniques telles que le diabète. Actuellement en phase pilote, ce programme a pour objectif d’assurer un accès équitable aux soins essentiels, tout en évitant aux patients des dépenses financières trop lourdes. Mais, en l’état, la CSU ne couvre que certaines pathologies ciblées, comme le VIH, ou des campagnes de vaccination (rougeole, rubéole, fièvre jaune). Le diabète, lui, ne figure pas encore parmi les priorités de la CSU, laissant les malades assumer seuls les coûts de cette maladie silencieuse.

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1Ministère de la Santé, 2023.

2Ministère de la Santé, 2023.