
« C’est l’enfer sur terre. Sortir vivant de cette prison est un miracle », se souvient avec douleur John (le prénom a été modifié), libéré il y a environ un an de la prison civile de Lomé. Surpopulation carcérale, chaleur suffocante, manque d’hygiène, de soins de santé et mauvaise nourriture : au Togo, être détenu dans l’une des quatorze maisons d’arrêt civiles relève du calvaire.
En 2019, le Comité contre la torture des Nations unies1 demandait aux autorités togolaises de « fermer définitivement et sans délai la prison de Lomé et de concevoir un plan général sur la situation des établissements pénitentiaires au Togo. » Pour l’ONU, les conditions de détention en prison et dans les lieux de garde à vue au Togo ne sont pas conformes à « l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. »
En novembre 2024, un jeune homme emprisonné pour une dette meurt à Lomé deux semaines seulement après son incarcération, selon Kao Atcholi, président de l’Association des victimes de torture (Asvitto), joint par Afrique XXI. En février, Karrou Wawim, arrêté lors des manifestations de l’opposition en 2018 et considéré comme un prisonnier politique par des organisations de la société civile, est décédé suite à un mauvais suivi médical2. Ses avocats affirment qu’il a été torturé lors de sa garde à vue. Pour l’Asvitto, « entre 2020 et 2025, onze personnes victimes de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants » ont trouvé la mort en prison.
Les personnes enfermées sont par ailleurs exposées quotidiennement à des maladies de la peau, de l’estomac, à des bronchites, des hépatites, ou même à des épidémies comme la gale. Dans la prison de Lomé, une infirmerie est tout de même ouverte en journée. Un détenu malade doit alerter ses « chefs bâtiments », qui à leur tour préviennent les gardiens. Si besoin, il peut être évacué dans un hôpital de la ville pour d’autres soins.
L’eau du forage est polluée
En revanche, la plupart des centres de détention du Togo n’ont tout simplement pas de centre de santé. Dans ce cas, les seuls soins apportés sont le fait du personnel médical qui se déplace certains jours pour venir voir les détenus, ou de gardes pénitentiaires qui ont reçu une formation basique au métier d’infirmier. Dans tous les cas, une majeure partie des coûts est prise en charge par les détenus.
Certaines associations financent des médicaments et des traitements, ou aident les centres de détention à éliminer des épidémies comme la gale. C’est le cas du Collectif des associations contre l’impunité au Togo (Cacit), qui plaide auprès d’Afrique XXI pour que « chaque prison possède des infrastructures en termes de soins et que les détenus soient totalement pris en charge ».
Jusqu’à l’épidémie de Covid-19, les détenus ne bénéficiaient que d’un repas par jour. Les prisonniers avec de la famille à l’extérieur ou un peu d’argent pouvaient améliorer leur quotidien. Depuis la crise sanitaire, alors que les familles étaient dans l’impossibilité de se rendre à la prison, les autorités ont consenti à servir deux repas par jour. En revanche, selon les anciens détenus, la qualité reste mauvaise et le contenu « bourratif ».
S’hydrater est un autre défi : l’eau courante, fournie par la Société togolaise des eaux (TDE), ne fonctionne pas dans la prison de Lomé. Il faut payer pour se désaltérer, ou s’approvisionner à un forage directement connecté à la nappe phréatique. La pollution de Lomé s’y infiltre et la qualité de l’eau n’est pas contrôlée.
Un taux d’occupation de 368 %
Ces conditions d’hygiène s’ajoutent à la fatigue cumulée à cause des mauvaises conditions de repos. « Il n’y a pas de place pour dormir, témoigne à nouveau John. On est entassés comme des sardines, dans des cellules exiguës. Cela crée un sentiment d’étouffement et de mal-être constant. » La prison civile de Lomé, un bâtiment colonial civil transformé en 1969 en centre pénitentiaire, jouxte le tribunal et l’ambassade de France, en plein centre historique de la capitale togolaise. Ce centre de détention devrait accueillir 666 personnes maximum. Pourtant, à la date du 1er mars, il comptait 2 448 détenus, soit une surpopulation de 368 %, selon le Cacit. Le bâtiment des femmes est moins surpeuplé, avec un peu plus de 100 personnes pour 80 places d’après les données de mars 2025.
Un ancien pensionnaire de l’établissement explique que sa cellule d’environ 6 mètres sur 4,5 mètres accueillait plus ou moins 70 détenus. Pendant la période de « nuit », qui débute à 17 heures et se termine à 6 heures, les prisonniers se relaient pour dormir : certains allongés, d’autres debout. « Ce n’est pas un lieu correctionnel mais un vrai mouroir », conclut John.
Cette situation est nationale. Le taux moyen de surpopulation dans les prisons togolaises est de 222 %, explique le Cacit. Un chiffre qui prend pourtant en compte le nouveau centre de détention de Kpalimé, construit en 2017.
« Ce n’est pas fait pour les humains. Quand j’y repense, ça me fait trop mal… », déplore un autre ex-détenu qui a demandé l’anonymat, tout juste sorti de la prison de Dapaong, dans le nord du Togo. « J’étais dans une cellule faite pour environ 45 personnes alors qu’on était 174 ! Toute la nuit, on était assis l’un en face de l’autre. Ceux qui n’avaient pas trouvé de place étaient debout. À cause de cela, beaucoup avaient des membres de leurs corps enflés… D’autres avaient des maladies dermatologiques... Et j’ai vu deux personnes mourir, dans mon bâtiment, visiblement par suffocation. Dans la nuit, quand la chaleur était insupportable, ou si un détenu tombait dans le coma, on faisait appel aux agents mais ils ne venaient à notre secours que quand on criait qu’il y avait un mort ! »
« Le bâtiment de la mort »
Au Togo, les températures oscillent quotidiennement autour des 30°C à l’extérieur, et atteignent presque les 40°C dans le nord du pays. Malheureusement, les prisons sont souvent conçues sans ventilation et avec des tôles, voire des dalles en guise de plafond. À tel point qu’à Dapaong, le bâtiment A, sous dalle, est surnommé « le bâtiment de la mort »… Les pensionnaires doivent se cotiser pour acquérir des ventilateurs – de même pour des télévisions ou tout autre produit du quotidien.
L’un des moyens de supporter ce quotidien est de recourir aux drogues, qui circulent facilement entre les murs. « La prison a l’effet inverse du but recherché : elle n’est plus un centre de redressement mais de fabrication des délinquants », estime Kao Atcholi, le président d’Asvitto.
Aujourd’hui réfugié en France, le journaliste Ferdinand Ayité, évoque des souvenirs douloureux de son passage à la maison d’arrêt de Lomé. Après dix jours de garde à vue puis une détention du 20 au 31 décembre 2021, son collègue Joël Egah et lui ont obtenu une liberté provisoire. Trois mois après sa sortie, Joël Egah a perdu la vie.
« On était encore dans les mesures Covid, donc nous avons été placés dans une cellule annexe, comme en quarantaine. L’espace était de 40 m2 environ, mais on était en tout 76 personnes. On devait rester H24 accroupis, même pour dormir ! Toute la journée, sauf pour se doucher le matin ! Les prisonniers étaient mélangés : il y avait des assassins, des braqueurs, des délinquants, des récidivistes… Et nous deux, des journalistes ! On était totalement isolés, fermés à double tour, et seuls des petits trous servaient de lumière et d’aération… »
« On était nus dans la cour »
« Dans la cellule, il y avait juste un WC qui n’avait pas d’eau pour chasser les besoins. Le matin, à 5 heures, les gardiens ouvraient et sortaient les gens par vague de dix, pour prendre une douche de deux minutes chacun. On était nus, tous, dans la cour, les gardes étaient munis d’armes et nous entouraient, assistés de prisonniers “chefs bâtiments”, avec des gourdins… Ils vous criaient dessus, ils vous insultaient pour faire vite. Puis on vous remettait dans la cellule, et c’était la seule sortie de la journée. J’y suis resté en tout six jours avant d’être testé non positif à la Covid, suite à quoi j’ai été envoyé dans une autre cellule de la prison, moins peuplée. »
Pour expliquer la situation carcérale précaire et surtout la surpopulation, les défenseurs des droits humains, comme la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) en mai3, dénoncent notamment le recours abusif aux détentions préventives. Au Togo, entre 50 % et 60 % des détenus sont en attente d’être jugés, d’après le Cacit et la CNDH. Selon le Code pénal togolais, un prisonnier peut passer jusqu’à la moitié d’une peine encourue en détention préventive, sans procès, que ce soit pour un délit ou un crime. Et il arrive que des mandats de dépôt dépassent leur durée légale. Dans ces cas, les prisonniers devraient être automatiquement libérés mais cette disposition est rarement appliquée.
Plusieurs associations comme le Cacit ou Asvitto ont donc développé une assistance juridique pour retrouver et accélérer des dossiers en justice, libérant ainsi des pensionnaires retenues abusivement. Une des causes du retard dans le traitement des dossiers est le manque de magistrats au Togo, en comparaison avec le nombre de prisonniers. Qui plus est, les assises criminelles ont lieu seulement deux fois par an. Même en matière civile, les juges sont souvent débordés.
Des conditions de détention « inhumaines »
« Personne ne devrait être enfermé dans de telles conditions, car cela ne fait qu’aggraver la situation au lieu de favoriser la réinsertion », estime John. Face à la misère des maisons d’arrêt togolaises, les défenseurs des droits humains s’alarment et listent des recommandations. « Il faut mettre en œuvre les injonctions du Comité contre la torture : fermer la prison de Lomé et mettre en place le plan de gestion des prisons demandé par le l’ONU », souligne Ghislain Nyaku, le directeur exécutif du Cacit. Il insiste : les conditions de détention au Togo sont « inhumaines ».
L’ONU a aussi enjoint le Togo à « doter les établissements pénitentiaires de personnel qualifié et formé en suffisance, y compris médical et à « réduire la surpopulation carcérale en privilégiant les mesures alternatives à la détention ».
Le Cacit pousse également pour l’adoption du nouveau code de procédure pénale, qui prévoit notamment des peines alternatives. Le Cacit ou Asvitto préconisent par exemple des travaux d’intérêt général pour les délits mineurs, ce qui réduirait la surpopulation. Asvitto plaide aussi pour que toute personne qui entre en prison connaisse la date de sa prochaine comparution. Enfin, la société civile organise régulièrement des formations sur la prévention de la torture et sur les conventions internationales à destination des acteurs de la justice et des services pénitentiaires.
De leur côté, les pouvoirs publics prévoient avant tout la construction de nouveaux bâtiments. En 2017 a été inaugurée la nouvelle prison à Kpalimé. Elle atteindrait les normes pénitentiaires internationales, si elle n’était pas, elle aussi, surpeuplée. Le Togo a également ouvert un Centre d’accès au droit et à la justice pour les enfants et pour les jeunes soumis à une procédure judiciaire. D’ici 2026, les autorités souhaitent réhabiliter trois centres de détention (Dapaong, Notse et Aného).
Autre mesure palliative : de plus en plus de grâces présidentielles ont pu désengorger les prisons ces dernières années. Afrique XXI a contacté le ministère de la Justice du Togo qui n’a pas réagi aux demandes d’interview.
Une prison secrète pour djihadistes…
Au Togo, certaines personnes ne sont pas retenues dans les quatorze prisons connues du pays. Il existe des lieux non conventionnels, comme le service de gendarmerie du Service central de recherches et d’investigations criminelles (Scric) qui détient l’activiste Jean-Paul Omolou, arrêté en 2021. S’y trouvent aussi, depuis août 2024, des membres de la famille de l’homme d’affaires décédé, Bertin Agba. Le 3 avril, la femme de ce dernier a été libérée et placée sous contrôle. Les sources proches des détenus au Scric expliquent que ces derniers n’ont pas le droit de sortir de leur cellule, sauf pour manger ou pour aller aux toilettes. « Ces conditions sont contraires aux droits des prisonniers », explique l’avocat de Jean-Paul Omolou, Me Darius Atsoo, tout en dénonçant ses difficultés à rendre visite à son client « malgré un arrêt de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest] demandant aux autorités d’autoriser les avocats de M. Omolou d’avoir accès à sa cellule ». D’autres détenus font l’objet d’un traitement particulier, comme le général Abalo Kadangha, condamné en mai 2023 à vingt ans de réclusion criminelle pour complot contre la sûreté intérieure de l’État. Il serait quant à lui dans une résidence surveillée, a appris Afrique XXI de sources proches du militaire. Enfin, selon plusieurs sources concordantes interrogées par Afrique XXI, une prison spéciale, dite « Kazaboua », proche de la ville de Sotouboua (région Centrale), accueille depuis plus de deux ans déjà les personnes considérées comme « terroristes », arrêtées dans le cadre de l’opération militaire Koundjoaré dans le nord du pays. Problème : cette maison d’arrêt pour « jihadistes » reste peu connue des acteurs judiciaires, les avocats n’y auraient pas accès et ces captifs n’auraient donc pas encore été jugés.
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2Trois mois auparavant, ses avocats alertaient sur son état de santé.
3Lire notamment « La CNDH dénonce l’abus de détention provisoire et appelle à des réformes », republicoftogo.com, 9 mai 2025.