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Au Ghana, la délicate acclimatation des réfugiés burkinabè

Reportage · Depuis 2022, le Ghana accueille des milliers de réfugiés ayant fui les violences des groupes djihadistes au Burkina Faso. Le gouvernement a construit un camp dans le nord-est du pays, où plus d’un millier de personnes, des femmes et des enfants essentiellement, s’adaptent à leur nouvelle vie. Mais les Peuls, eux, se sentent rejetés.

L'image montre un camp de réfugiés, caractérisé par plusieurs tentes en toile blanches et bleues, portant le logo de l'UNHCR. Au premier plan, une femme marche, vêtue d'un voile mauve et d'une robe claire, se dirigeant vers l'une des tentes. Le paysage environnant est aride et désolé, avec quelques arbres dénudés, suggérant un environnement difficile. En arrière-plan, des lignes électriques sont visibles, ce qui indique une certaine infrastructure. L'atmosphère semble calme, mais il y a une sensation de précarité et de résilience.
Dans le camp de réfugiés situé près de Zebilla, en février 2024.
© Caroline Chauvet

Le vent souffle sur une plaine aride. Nous sommes dans le nord du Ghana, à presque 800 km de la capitale, Accra. Ici, près de la ville de Zebilla, un camp de réfugiés s’étend sur environ 16 hectares. Les tentes, frappées du logo du HCR, l’agence des Nations unies pour les réfugiés, sont alignées, rangées, numérotées.

Depuis 2022, le Ghana Refugee Board (GRB), l’agence ghanéenne en charge des réfugiés, estime qu’entre 12 000 et 16 000 personnes seraient arrivées dans le nord du pays. Elles ont toutes fui les violences des djihadistes au Burkina Faso. Le GRB, en partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a donc construit un camp pouvant accueillir environ 4 000 personnes dans le nord-est du Ghana, et qui en hébergeait un millier en mars 2024. Un autre camp similaire a été construit à Zini, dans le Nord-Ouest1. Mais la plupart des déplacés vivent encore au sein de familles ghanéennes. Et si certains d’entre eux s’approchent des agences gouvernementales comme le GRB, d’autres n’en voient pas l’intérêt.

« Ils cherchaient des hommes pour les tuer »

Dans le premier camp, un groupe de femmes discutent entre elles et surveillent de très jeunes enfants. Par manque de travail, ou parce qu’ils ont été tués lors des attaques, les hommes ne sont pas nombreux au camp. La plupart des réfugiés de Zebilla sont donc des femmes, des enfants et des hommes âgés. Celle que nous appellerons Seone (prénom d’emprunt) accepte de nous raconter son histoire. Elle parle en langue bissa : « Des individus armés non identifiés sont rentrés la nuit dans le village, ils cherchaient des hommes pour les tuer. Ils ont tué deux voisins. C’est pourquoi nous avons fui pour nous retrouver là. Ils sont venus deux fois dans le village, et à chaque fois ils ont tué des garçons. »

Seone, la quarantaine, a fui la ville de Bittu début 2023. Au Burkina, elle a tout perdu. Avec ses sept enfants et son mari, elle est arrivée dans le nord-est du Ghana, dans la communauté de Gentiga, près de la ville de Bawku. C’est ensuite que les autorités ont proposé à la famille de se déplacer dans le camp, soulageant ainsi les villageois qui avaient accueilli les déplacés.

Une deuxième réfugiée, que nous appellerons Sugurunoma, a fui la zone de Soudougui, dans le sud du Burkina Faso. Elle s’exprime en langue moore. Ses mains crispées sur son pagne et ses yeux cernés témoignent du stress constant qui l’habite. « Quand je pense à ce qui m’est arrivé, je suis vraiment triste. C’est une désolation », dit-elle. Elle confie être en constante dépression. Des attaquants ont tué une vingtaine de personnes dans son village, « des membres de [sa] famille et [ses] voisins qui étaient comme [sa] famille ». Elle raconte : « On était au travail quand ils ont attaqué et ils ont commencé à tuer des gens. On n’a pas pu retourner au village pour ramasser nos affaires. Quand on a fui à pied pour quitter le village, j’étais enceinte. Trois jours après, j’ai accouché, et cinq jours après, ma fille aussi a accouché. Et on a continué à fuir jusqu’à arriver à Widana. On est restés à Boudana un mois et demi et on vivait chez le chef [de village]. C’est lui qui nous a ensuite envoyés dans le camp pour qu’on s’occupe de nous. »

Ce même traumatisme de l’attaque, Keke (prénom d’emprunt) le vit aussi. À 72 ans, il est assis à l’ombre et écoute une radio communautaire. Il vient lui aussi de Bitta et a vécu la même attaque que Seone. « Nous nous sentons vraiment déprimés. Nous avons fui, quittant nos foyers, nos biens et nos bétails, et nous nous retrouvons ici dans ce camp. Nous avons vraiment peur de retourner chez nous. Nous ne connaissons pas ceux qui nous ont attaqué. Ils sont venus dans le village parce qu’il y avait une compétition de football. Ils se sont mélangés aux villageois mais nous ne savions pas qui étaient ces personnes. Des villageois ont été blessés, d’autres tués. » Toute la famille de Keke est en vie, mais il a tout perdu… Ici, il lui reste à jouer le rôle de « l’ancien », celui qui règle les petites disputes dans le camp et qui porte la voix des réfugiés.

« Ce qui arrive à ces gens, ils ne l’ont pas voulu »

Tous les réfugiés rencontrés par Afrique XXI sont unanimes : l’accueil des Ghanéens est correct. Dès l’arrivée, ces derniers ont offert à boire et à manger aux déplacés, se rappelle Seone. Pendant plusieurs mois, les Burkinabè ont vécu au sein de familles ghanéennes. Certains confient que les Ghanéens étaient parfois craintifs : ils étaient effrayés à l’idée que les déplacés soient traqués jusque chez eux.

Jarvis Avoka, journaliste de la radio locale Zebs FM, a couvert plusieurs arrivées de déplacés. La plupart ont été bien reçus, explique-t-il. Mais pas tous. Dans le village de Garu, par exemple, « la population locale n’était pas contente car elle estimait que les Burkinabè permettaient à leurs animaux de se nourrir de leurs récoltes. Mais il s’est avéré que ces étrangers étaient simplement ignorants des coutumes locales. C’est plus tard que les chefs ont pu résoudre ce problème. Une solution a été trouvée : certains des réfugiés qui possèdent des animaux les ont confiés aux familles d’accueil, pour qu’elles les aident à s’en occuper. »

Le camp de Zebilla est situé près du village de Tarikom, 2 600 habitants. Ici, villageois et réfugiés partagent la même clinique, les enfants vont dans la même école. Mieux, les villageois ont accepté de donner leurs terres aux réfugiés. Sur place, au milieu d’une réunion avec les villageois sous l’arbre à palabres, nous rencontrons Isaac Angonwin. Il est le « distric assembly representative » à Tarikom – une sorte de leader communautaire élu. « Lorsque les autorités m’ont approché pour me demander si notre communauté acceptait de donner ses terres aux réfugiés, j’ai dit que j’allais consulter les autorités du village. Finalement, nous avons accepté car ce qui arrive à ces gens, ils ne l’ont pas voulu. Et c’est un droit humanitaire que d’accueillir les réfugiés, c’est dans la loi. Il faut leur offrir un accueil digne du Ghana », explique-t-il.

Il admet que les villageois de Tarikom ont eu peur que l’arrivée des Burkinabè n’entraîne des attaques sur le village. « Mais les services de sécurité ghanéens, le chef de la sécurité, l’immigration, l’armée, avec la police… ils sont venus ici plusieurs fois. Et le conseiller sécurité de la présidence est aussi venu ici. On nous a expliqué que nous ne devions pas avoir peur. Et il est vrai que depuis ce temps, depuis juin 2023, tout se passe bien. Nous avons de très bons rapports avec les réfugiés », ajoute-t-il.

Une ombre au tableau

En tant que leader communautaire, Isaac Angonwin plaide pour un accès égalitaire aux services et à la nourriture : « Nous sommes nous-mêmes très pauvres à Tarikom. Nous sommes dans une zone qui est suivie par le Programme alimentaire mondial. Nous avons donné nos terres aux réfugiés, donc nous avons maintenant du mal à nous nourrir. Nous demandons en outre une extension de l’électricité et une amélioration de la clinique que nous partageons avec les Burkinabè. » Le GRB assure que les villageois ne seront pas oubliés et qu’il est prévu d’étendre ces infrastructures.

« Pour être honnête, au camp, ici, nous nous sentons en sécurité. Mais nous sommes dans le stress et la dépression. Nous sommes assis, on nous donne à manger, à boire. Nous sommes là, on ne fait rien. Nous avions chacun des métiers respectifs dans nos villages… », déplore le « vieux » Keke. Pour remédier à cela, le GRB prévoit de donner des terres aux réfugiés pour qu’ils puissent les cultiver, ainsi que du bétail ou des poules. Il prévoit aussi de financer l’implantation de quelques activités telles que la coiffure, la mécanique automobile, etc.

Il y a cependant une ombre au tableau. Le 12 juillet 2023, le HCR s’est dit, dans un communiqué« préoccupé par les informations faisant état d’expulsions de centaines de citoyens burkinabè, principalement des femmes et des enfants, qui cherchaient la sécurité et la protection au Ghana ». Selon de nombreux journalistes et plusieurs associations, il s’agissait principalement de Peuls.

Dans l’imaginaire collectif en Afrique de l’Ouest, les Peuls sont souvent attachés à des activités criminelles et, depuis quelques années, au djihadisme. Ils sont donc largement ciblés par les forces de sécurité, notamment au Burkina Faso.

Victimes de leur réputation

« Beaucoup d’entre nous, que le Ghana a renvoyés chez eux, se sentent prisonniers au Burkina Faso. Et nous savons ce qui va nous arriver si nous y retournons », expliquait en larmes Osman Inusah, un Peul interrogé en juillet 2023 par la radio allemande Deutsche Welle. À la même époque, la branche ghanéenne de Pulaaku International, une association qui entend rassembler les Peuls et les défendre si besoin, est montée au créneau. « Il est inquiétant d’arrêter et de renvoyer des femmes et des enfants qui ont réussi à s’échapper jusqu’à arriver au Ghana et dont les maris et les membres de la famille ont été tués à la suite d’attaques. Les arrêter et les renvoyer dans la zone de conflit présente de sérieux défis », avait-elle déploré.

Les autorités avaient réagi dans un communiqué dès le lendemain, assurant que « contrairement aux affirmations selon lesquelles les Burkinabè déplacés seraient forcés de quitter le Ghana, un processus de rapatriement a été institué au centre d’accueil pour faciliter le mouvement des Burkinabè qui souhaitent retourner dans leur pays. Le processus de rapatriement est conforme aux protocoles internationaux sur la gestion des réfugiés et a jusqu’à présent été mis en œuvre en collaboration avec les autorités burkinabè de l’immigration le long de la frontière entre le Ghana et le Burkina Faso ». Les autorités avaient aussi parlé d’une opération de sécurité dans la zone du Nord-Ghana.

Le secrétaire général de Pulaaku International Ghana, Yakubu Musah Barry, affirme que « les services d’immigration avec l’armée sont arrivés et ont embarqué ces gens de la communauté peule, dont beaucoup de femmes, d’enfants et de vieillards ». Selon lui, ils « ont été renvoyés au Burkina Faso et on ne sait pas ce qu’ils sont devenus ». Après cela, l’association a discuté avec les autorités, et, depuis lors, « ce genre de renvoi massif de personnes vers le Burkina Faso n’est plus arrivé ». M. Barry n’a de cesse de plaider la cause de sa communauté. « Nous subissons une discrimination, dénonce-t-il. Dans les médias et dans les villages, on va facilement nous accuser de toutes sortes d’exactions. Parfois à raison mais parfois à tort. Aussi, dans les médias, dès qu’un Peul commet un crime, on précise bien que c’est un Peul. Mais pour les autres, on ne mentionne jamais l’ethnie. On donnera juste son nom, voire sa nationalité. »

Dans le camp de réfugiés de Zebilla, un habitant nous a expliqué qu’il ne se sentait pas en sécurité à cause des Peuls. Un des réfugiés confie aussi avoir entendu, lors de l’attaque de son village, des assaillants s’exprimer en langue peule. En février 2024, aucun Peul ne se trouvait sur place…

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1Le Ghana n’a pas donné de carte de réfugié, mais des «  attestations  » à environ 3 200 personnes, selon des chiffres datant de début avril 2024.