Dossier

Niger-France, une relation radioactive

L'image montre un tas de morceaux de matière d'une couleur jaune vif. Les morceaux sont anguleux et irréguliers, présentant des surfaces rugueuses et poudreuses. La lumière semble créer des ombres subtiles, accentuant les textures des éclats. L'ensemble de la composition transmet une impression de dépouillement et de matière brute, évoquant à la fois la richesse de la couleur et une certaine fragilité des formes.
Le «  yellow cake  » représente une étape intermédiaire dans le processus de fabrication du combustible nucléaire à partir du minerai d’uranium.
© Energy Fuels Inc./ flickr.com

Comme à Bamako et comme à Ouagadougou, il n’y a plus d’ambassadeur français à Niamey. Sylvain Itté a été contraint de quitter le pays il y a un an, en septembre 2023, après s’être cloîtré dans son ambassade pendant plusieurs semaines, et il n’a pas été remplacé (il est aujourd’hui en poste en Colombie). Et comme au Mali et comme au Burkina Faso, il n’y a plus de militaires français au Niger. Les derniers éléments de l’ex-force Barkhane ont été rapatriés (ou envoyés dans des pays voisins) en décembre 2023. Entre le Niger, aujourd’hui dirigé par un pouvoir civilo-militaire issu d’un coup d’État en juillet 2023, et la France, de plus en plus contestée dans son « pré carré », la rupture est consommée. Mais il reste quelques intérêts français dans le pays, à commencer par les mines d’uranium exploitées par la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), une filiale du géant français du nucléaire Orano.

Voilà plus de cinquante ans que la multinationale française – qui, au fil du temps, a changé de nom : CEA, Cogema, Areva et enfin Orano – exploite, pour le pire bien plus que pour le meilleur, tant en matière de santé que d’environnement (lire le reportage réalisé à Arlit), ce minerai hautement stratégique dans le nord-ouest du pays. Mais son « empire » semble aujourd’hui vaciller. Après avoir fermé la mine d’Akouta, en 2021 (qui était exploitée par la Cominak, une autre filiale d’Orano), en raison de l’épuisement des ressources, la multinationale a « perdu » le gisement d’Imouraren, considéré comme l’un des plus importants au monde, avec des réserves estimées à plus de 200 000 tonnes.

Le 20 juin 2024, les autorités de la transition ont retiré le permis d’exploitation de cette mine à la filiale d’Orano, Imouraren SA. Quelques jours plus tôt, la firme française avait annoncé que les infrastructures du gisement, fermées depuis plusieurs années, avaient été « rouvertes pour accueillir les équipes de construction et faire avancer les travaux ». Mais, pour le gouvernement nigérien, c’était trop tard. Il est vrai qu’Orano (et avant Areva) a longtemps fait du « dilatoire », pour reprendre le terme de l’activiste Ali Idrissa dans l’interview qui clôt ce dossier, en repoussant sans cesse sa mise en exploitation. Lorsque Areva en avait obtenu la concession à l’issue d’une rude bataille menée en coulisses en 2009, la production d’uranium devait démarrer en 2012…

Colère et fantasmes

Dans ce contexte particulièrement tendu entre Paris et Niamey, et alors que le gouvernement nigérien a plusieurs fois répété qu’il souhaitait revoir en profondeur les contrats relatifs à l’exploitation des matières premières, des observateurs spéculent sur un possible départ d’Orano. Il est vrai que les accords signés au lendemain de l’indépendance, dans les années 1960, entre la France et le Niger, étaient particulièrement avantageux pour l’ancienne puissance coloniale, comme le montrent les documents qu’Afrique XXI publie dans ce dossier.

Cependant, nombre de spécialistes ne croient pas à un départ précipité. Ils rappellent que, en dépit de l’histoire tumultueuse qui lie les deux pays autour du « yellow cake », les deux parties ont intérêt à trouver un terrain d’entente. Pour la France et surtout pour Orano, le gisement d’Arlit reste un fournisseur majeur (lire l’analyse consacrée à l’importance de l’uranium pour la France). Et pour le Niger, il représente une rentrée d’argent non négligeable, même si elle est loin de profiter à l’ensemble des Nigériens et reste dérisoire au vu de l’importance stratégique de ce minerai, comme le démontre notre étude minutieuse des données comptables et des versements disponibles en sources ouvertes.

En attendant un éventuel dénouement, Afrique XXI propose un dossier en cinq épisodes consacré à cet accaparement de longue durée, dont les origines remontent à la période coloniale, et qui suscite autant de colère que de fantasmes.