La lettre hebdomadaire #170

Butin de guerre

L'image représente une œuvre abstraite peinte sur toile. Les couleurs dominantes incluent des bleus vifs qui évoquent des émotions de profondeur et de calme, contrastant avec des touches de noir qui apportent une certaine intensité. Des traînées d'orange et de rouge s'entrelacent, ajoutant une dynamique vive et énergique. Les coups de pinceau sont expressifs, créant des formes fluides qui semblent se déplacer à travers la toile. L'ensemble évoque un sens de l'énergie et du mouvement, invitant le spectateur à ressentir la force et la passion de l'artiste à travers les couleurs et les textures.

ÉDITO

AU BURKINA FASO, DES CIVILS MASSACRÉS EN GUISE DE BUTIN DE GUERRE

Les 10 et 11 mars, des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP, supplétifs civils de l’armée) ont filmé des scènes d’exactions contre des villageois peuls dans les environs de Solenzo, dans la région de la Boucle du Mouhoun, dans le nord-ouest du Burkina Faso. Pas vraiment une première, hélas ! Si les militaires burkinabè, un temps coutumiers de cette pratique, ont respecté l’interdiction d’utiliser leur téléphone en opération édictée en avril 2023 par l’état-major, les VDP, peut-être gargarisés par le sentiment de se comporter en « bons patriotes », ne peuvent s’empêcher de filmer leurs « faits d’armes ».

La singularité, cette fois, tient au nombre de vidéos qui ont circulé, à l’envergure du massacre qu’elles suggèrent et au ciblage clair des Peuls en tant que « complices » des insurgés djihadistes. Human Rights Watch a examiné onze de ces vidéos et a « dénombré 58 personnes qui semblent mortes ou mourantes dans les vidéos, une estimation prudente car certains corps ont été empilés sur d’autres ». On voit sur ces images des miliciens armés de fusils et d’armes blanches charger des corps d’hommes et de femmes sur un triporteur, sur fond de brouhaha festif, d’autres enjambant des cadavres, une jeune femme grièvement blessée harcelée de questions sur ses « chefs » djihadistes et menacée d’être achevée sous les yeux de son enfant d’à peine 2 ans, et encore des VDP se félicitant de leur « bon travail », face caméra, alors que sont convoyés en arrière-plan des centaines de bœufs.

Sur ces vidéos, scrutées avec un mélange d’horreur et de crainte, les proches de centaines de disparus tentent de reconnaître un parent, un voisin, un ami, ou des troupeaux razziés par l’armée et les VDP. Car ces derniers étaient encadrés par quatre bataillons d’intervention rapide (BIR), une unité apparue en novembre 2022, un mois et demi après l’arrivée au pouvoir d’Ibrahim Traoré. Les 28 BIR créés depuis lors, d’environ 200 hommes chacun, opèrent avec les miliciens et ont pour mission d’« intervenir le plus vite possible et le plus en avant en privilégiant la mobilité et la puissance de feu face à toute menace ». Mais les BIR excellent aussi dans les tueries de civils. Leur mode opératoire est toujours le même : rassemblement des villageois, fusillade, incendie des maisons, pillage des biens et des animaux, traque des fugitifs. Fillettes, nourrissons, femmes, vieillards : personne n’est épargné. Tués parce que complices présumés des groupes armés qui sévissent dans la région. Ce ciblage des civils plutôt que des combattants semble délibéré. Il interroge sur les buts de guerre du régime.

L’opération des 10 et 11 mars à Solenzo s’inscrit-elle dans une épuration ethnique des Peuls, assimilés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM, selon l’acronyme en arabe, affilié à Al-Qaïda au Maghreb islamique), qui a recruté une majorité de ses combattants dans cette communauté ? L’amalgame peul-djihadiste a la peau dure au Burkina. « Ils nous chassent par la terre, ils nous chassent par les airs, ils nous dépouillent de nos biens, ils nous tuent. Ils veulent nous finir », déclarait le 15 mars un rescapé de Solenzo recueilli par le JNIM. Le maillage du territoire par des brigades de VDP, recrutés massivement depuis la fin 2022, a aussi contribué à banaliser les exécutions sommaires de citoyens peuls. Au marché, sur le bord d’une route, dans un champ…

Mais les opérations de « nettoyage » des BIR ne ciblent pas exclusivement cette communauté. En témoignent les exécutions de villageois, par dizaines, sans sommation ni discrimination, sur l’itinéraire des convois de ravitaillement des localités sous blocus.

Actuellement, une opération associant plusieurs BIR « ratisse » la province de la Komandjari, dans l’Est. Initiée une semaine après la mission de l’armée à Solenzo, elle n’affronte pas les combattants djihadistes puissants dans la région. Elle massacre des villageois. Plus de 300 Gourmantchés, communauté majoritaire dans l’est du pays, ont déjà été tués par l’armée et les VDP, selon des ressortissants de la province.

De quoi ces civils aux mains nues sont-ils coupables ? De vivre dans des zones sous influence du JNIM ? De ne pas avoir fui ? Ce n’est pas faute, pourtant, d’avoir tenté de rallier une capitale secondaire ou l’une des rares communes contrôlées par les autorités. Mais les services de l’État sont débordés par l’afflux de déplacés internes, plus de 2 millions selon le bilan officiel le plus récent, datant de mars 2023, soit un dixième de la population. Aucune solution n’est proposée à ces villageois. Pire, ils sont stigmatisés en ville en tant que « complices ». Ce narratif s’est popularisé depuis son irruption sous l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré, lors de l’élaboration des premières stratégies de lutte contre-insurrectionnelle, rappelle le journaliste en exil Ahmed Newton Barry : « La complicité a été instituée, mais son contenu n’a pas été suffisamment défini. Il était par ailleurs question de se référer à des prévôts, issus de la gendarmerie, lors des opérations. Mais l’armée ne s’embarrasse plus de ces questions-là. » Dans le Faso d’Ibrahim Traoré, les massacres de civils sont devenus courants. Le bourreau de certaines populations, désormais, c’est l’État.
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À LIRE

AUX ORIGINES DU « SOUS-DÉVELOPPEMENT » DE L’AFRIQUE

Certains livres, quand on les referme, laissent une curieuse impression, comme une sensation d’immense gâchis. On se désespère de constater que le débat public n’est, à l’évidence, pas au niveau des connaissances ; que, parfois, tout a été écrit il y a des années de cela, tout a été démontré par A + B, publié, traduit en plusieurs langues, republié, étudié dans des centaines d’universités, et que, pourtant, celles et ceux qui prescrivent les manières de penser dans les médias continuent de véhiculer des contre-vérités.

À l’heure où les défenseurs des « bienfaits » de la colonisation reprennent du poil de la bête en France et disposent de porte-voix jusqu’au sein du gouvernement et dans nombre de médias, le chef-d’œuvre de l’historien guyanien Walter Rodney Comment l’Europe sous-développa l’Afrique (How Europe Underdeveloped Africa), publié pour la première fois en anglais il y a plus de cinquante ans, en 1972, et réédité cette année en français par la maison d’édition B 42, est une démonstration aussi claire qu’implacable qu’elle ne fut en rien « positive ».

Dans cet ouvrage qui s’émancipe des frontières académiques, mêlant analyses historique, économique et sociologique, Rodney explique en quoi l’esclavage puis la colonisation ont poussé le continent africain dans l’ère du « sous-développement » à une période charnière de l’histoire de l’humanité, et surtout en quoi ses habitantes ont contribué, bien malgré eux et dans des proportions largement sous-estimées, au développement de l’Europe. « L’Afrique, écrit-il, a aidé à développer l’Europe occidentale dans la même proportion que l’Europe occidentale a contribué au sous-développement de l’Afrique. »

Avec une érudition rare, et dans un style facile à lire, il retrace l’histoire du continent avant la colonisation, l’impact terriblement négatif de la traite négrière sur les sociétés africaines, mais terriblement positif pour la bourgeoisie européenne, la réalité crue de la colonisation et de sa nature avant tout prédatrice, et les faux-semblants de la décolonisation qui n’a marqué qu’une rupture de papier. Loin des idées reçues qui ont la vie dure en Europe, Rodney, muni d’une ribambelle de chiffres, de données statistiques et de témoignages, mais aussi de cas d’école (quelques entreprises notamment, parmi lesquelles Unilever) et d’anecdotes, renverse les données du problème et déconstruit le mythe d’une Afrique qui ne serait « pas assez entrée dans l’Histoire ».

À lire : Walter Rodney, Comment l’Europe sous-développa l’Afrique, préface d’Angela Davis, réédition B 42, 352 pages, 26 euros.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

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In English

Togo. In the Oti-Kéran National Park, displaced people and refugees are trying to survive
Report In search of cultivable land, increasingly scarce in the Savannas region, or driven by the insecurity created by jihadist groups, hundreds of displaced people have settled in the Oti-Kéran reserve, in northern Togo. In this protected and prohibited area, the lack of drinking water, educational and health infrastructure makes daily life difficult.
By Robert Kanssouguibe Douti

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