
Prévue en octobre 2025, la date précise de l’élection présidentielle en Tanzanie n’est pas encore fixée. Mais le sourire retenu, encadré par un voile orange vif, de Samia Suluhu, présidente depuis 2021, s’affiche déjà dans tout le pays sur des tee-shirts, des panneaux publicitaires et même… des bateaux de pêche. Bethsheba Klambura, présidente du bureau des élèves de l’université Tumaini de Dar es-Salaam, la capitale économique de huit millions d’habitants, pose fièrement sous l’une de ces affiches. « Avoir une femme présidente, c’est un espoir immense pour notre société. Derrière le symbole, l’arrivée au pouvoir de “Mama” Samia a encouragé de nombreuses femmes à endosser des positions de cadres dans le parti [Chama Cha Mapinduzi, NDLR] », se réjouit cette étudiante en journalisme.
Né le 27 janvier 1960 sur l’île de Zanzibar, Samia Suluhu, diplômée en économie et administration publique, fait ses débuts en politique à l’âge de 28 ans auprès du gouvernement régional de Zanzibar. Membre du Chama Cha Mapinduzi (CCM), le parti au pouvoir depuis la création du pays (et parti unique jusqu’en 1992), elle rejoint officiellement le gouvernement de Tanzanie en 2000. Elle y orchestre des mesures progressistes remarquées, notamment en faveur des femmes, puis endosse en 2015 le costume de vice-présidente aux côtés de John Magufuli, un poste qu’elle conserve en 2020 après la réélection de ce dernier.
Le 17 mars 2021, le destin de Samia Suluhu bascule. En direct à la télévision tanzanienne, elle annonce le décès de John Magufuli, qu’elle remplace au pied levé. Alors âgée de 61 ans, elle devient la première femme présidente de la Tanzanie. Mama Samia s’attire les faveurs de l’opinion dès son premier remaniement, marqué par le limogeage de nombreux dirigeants contestés sous l’ère de son prédécesseur. Dans le cadre de son programme des « 4R » (pour « réconciliation, résilience, réforme et reconstruction »), elle ordonne ensuite au ministère de l’Information de lever l’interdiction qui pèse sur les médias indépendants et s’engage à rétablir un dialogue avec les membres de l’opposition. Un apaisement de la vie politique qui va toutefois s’assombrir avec le rappel au gouvernement de plusieurs partisans de la ligne dure de Magufuli et le retour progressif de la répression à l’encontre des opposants politiques.
Des persécutions par dizaines
En août 2024, l’association des avocats de Tanzanie, la Tanganyika Law Society (TLS), dresse une liste1 de 83 personnes victimes d’enlèvements ou de détentions arbitraires au cours des six dernières années. Les membres des deux principaux partis d’opposition, Chadema et l’ACT-Wazalendo, sont particulièrement dans le viseur des autorités. Après les élections locales de novembre 2024 (remportées par le CCM avec 99 % des votes), ils ont accusé le parti de Samia Suluhu de bourrage d’urnes et réclamé de toute urgence une réforme du système électoral – le président de la commission de surveillance étant actuellement élu par le chef du gouvernement.
Contacté par téléphone, le secrétaire général du syndicat des journalistes local, Said Mmanga, garde une certaine réserve : il refuse de commenter les allégations de la TLS « en raison du manque d’informations détaillées » et estime que les accusations de fraude électorale sont des « justifications typiques lancées par les partis d’opposition à la suite d’élections dans ce pays ». Said Mmanga salue en revanche l’effort de Samia Suluhu pour « ouvrir l’espace politique », « perçu comme restreint » sous son prédécesseur et conclut, sans donner d’exemple concret, que « dans le secteur des médias, la levée de l’interdiction à l’encontre de certains organismes a eu un impact direct sur la capacité des journalistes à travailler ».
Les témoignages de persécutions, par dizaines, dépassent pourtant largement les cercles politico-médiatiques. Un article du quotidien britannique The Guardian2 rapporte que, en septembre 2024, le Conseil national des arts du pays a accusé le rappeur Nay Wa Mitego de quatre délits, dont celui de « tromperie du public », après la publication en ligne de sa chanson Nitasema (« Je parlerai », voir le clip ci-dessous), dans laquelle il dénonce les meurtres et les enlèvements des opposants.
« Aujourd’hui, vous êtes assuré d’être en sécurité lorsque vous quittez votre domicile ; mais vous n’avez pas la garantie de rentrer chez vous sain et sauf ; des gens sont enlevés, des gens disparaissent, des gens se font tirer dessus mais personne n’est inculpé », rappe l’artiste en swahili, qui confie au journal britannique ne plus utiliser de téléphone portable depuis deux ans.
« Ennuyé pour un oui ou pour un non par la police »
Un observateur de la vie politique, proche de cadres du CCM, explique :
Magufuli a injecté une culture de la peur aux citoyens. Sous sa présidence, il était très difficile de critiquer ouvertement le gouvernement. Ceux qui osaient le faire ont subi des intimidations, certains ont été détenus, d’autres ont même disparu ou ont été assassinés. Et cette culture se poursuit aujourd’hui avec Samia. Derrière chaque exaction, le gouvernement envoie un message fort : il ne plaisante pas quand il s’agit de protéger ses affaires au pouvoir.
Dans la pénombre des artères qui dessinent le labyrinthique marché aux poissons Kivukoni de Dar es-Salaam, John, 26 ans, est comme à la maison. Affable et débrouillard, ce jeune père de famille, dont la femme a décroché depuis peu un emploi de sécheuse de sardines dans la capitale, survit de petits boulots tantôt en mer, tantôt sur terre. « Le tout pour pas grand-chose », précise-t-il.

Malgré une croissance dynamique de son PIB (5,8 % en 2019, avant le Covid-19, 5,1 % en 2023, selon la Banque mondiale) et le développement tangible des infrastructures au cours des dernières décennies, la Tanzanie peine à traduire ses bons résultats économiques en réduction de la pauvreté : près de la moitié de sa population (49 %, selon la Banque mondiale3) vit toujours avec moins de 1,90 dollar par jour.
Comme John, de nombreux Tanzaniens sont contraints de cumuler les emplois, parfois informels. Depuis l’arrivée de Samia Suluhu au pouvoir, John se dit « ennuyé pour un oui ou pour un non par la police » dans le cadre de ses activités professionnelles. « Si tu leur donnes 10 000 shillings [3,80 euros, NDLR] ils te relâchent, sinon tu passes la nuit au poste », ajoute-t-il. S’il ignore encore quel bulletin il glissera dans l’urne à la fin de l’année, son vote « n’ira pas au CCM, c’est certain ». « Il faut que les choses changent », dit-il avec gravité.
Les pêcheurs n’ont « aucun soutien du gouvernement »
Que les choses changent, au moins un peu, c’est également l’espoir des habitants de l’île de Lukuba, quelque 2 km² de végétation luxuriante parsemés de rochers massifs posés sur le lac Victoria. Outre les varans, les aigles et les marabouts, on compte ici trois types d’habitants : ceux qui pêchent, ceux qui ont pêché et ceux qui pêcheront, ce qui représente « 99 % de la population », confirme Jafari Ibrahim, le chef de l’île.

Les moins fortunés traquent le dagaa, une mini-sardine argentée de la taille d’un annulaire attrapée au lamparo les nuits sans lune. Les mieux lotis lui préfèrent le tilapia et la perche du Nil, deux espèces introduites dans les années 1950 par les colons britanniques et très prisées notamment des Occidentaux.
Tous ou presque pratiquent encore une pêche traditionnelle. Mustafa Rucuba, le représentant des pêcheurs, explique :
Nos recettes dépendent de plusieurs facteurs sur lesquels nous n’avons pas vraiment la main, comme l’instabilité de la météo et la qualité des filets que nous achetons. Nous, les petits, nous n’avons aucun soutien du gouvernement. Dans les bons jours ça va, mais pendant les périodes de mauvaise pêche, c’est plus difficile.
Il est allé pour la première fois en mer à l’âge de 8 ans et se souvient avoir « vomi tout le long ». Puis, comme bien d’autres, il n’a jamais arrêté. Mustafa a longtemps fait les navettes entre l’île et la grande ville de Musoma, sur l’autre rive, pour vendre ses seaux remplis de dagaas. À 52 ans, il met aujourd’hui son expérience au service des jeunes générations. Autour de lui, ils sont justement une petite dizaine à s’être installés sur des rochers. Ils l’écoutent poliment. Les chuchotements se tassent lorsque Mustafa évoque les nouveaux défis de la profession : concurrence accrue, épuisement de la ressource et précarisation de la pêche traditionnelle.
Ce sont les gros investisseurs qui reçoivent les aides. Ils se constituent des flottes, rachètent les bateaux des pêcheurs indépendants puis les emploient pour aller en mer. Les petits pêcheurs perdent bien sûr au change, puisqu’ils ne gardent plus qu’une petite portion des recettes.
Le 26 février, la présidente célébrait en grande pompe le don dans le district de Pangani de 35 bateaux modernes à des « groupes de pêcheurs locaux », rappelant qu’un total de 120 bateaux, d’une valeur de plus de 4,2 millions d’euros, seraient attribués d’ici à la fin l’année dans tout le pays.
« On aimerait voir gagner un autre candidat »
La nuit, sous la lumière vacillante des lampions de l’unique bar de l’île, entièrement alimentée à l’énergie solaire, le discours de Mustafa se durcit. Et sa sympathie va bien plus volontiers au footballeur argentin Lionel Messi et au rappeur états-unien Tupac, dont le regard fier s’affiche sur son tee-shirt blanc, qu’à la présidente de son pays.

« Magufuli faisait beaucoup plus pour les pêcheurs. Elle a voulu soutenir le développement de la pêche, mais ça n’a fait qu’amplifier la pêche illégale », raconte-t-il. Le seau de dagaas, dont il pouvait tirer 40 000 shillings il y a encore quelques années, ne se vend aujourd’hui « plus que 12 000 shillings ». « Donc oui, on aimerait voir gagner un autre candidat », enchaîne Jafari Ibrahim, un pêcheur venu le rejoindre après avoir répondu à ses dernières obligations familiales. « Le problème, c’est que les deux principaux partis [Le CCM et Chadema, NDLR] se livrent une vraie guerre. Si le candidat de l’opposition l’emporte, il sera animé par la revanche, ce qui sera défavorable au pays. »
Lulu, elle, n’ira pas voter. Cette jeune femme de 23 ans, née à Mwanza, ville portuaire de plus de 1 million d’habitants située sur les bords sud du lac Victoria, se prépare à intégrer un programme d’échange universitaire avec la Russie. Elle a des rêves plein la tête mais ceux-ci « ne passeront pas par la politique », prévient-elle d’une voix claire. Elle reproche notamment aux dirigeants de son pays leur « manque d’honnêteté » et de ne pas « s’exprimer sur la réalité des choses ». Pour elle, le futur de la Tanzanie se joue ailleurs, notamment « dans la capacité de chacun à déployer ce qu’il a de meilleur en lui ».

Son amie Naama, 20 ans, qui s’apprête à étudier les ressources humaines, espère quant à elle devenir diplomate. Elle aussi croit en l’individu, persuadée qu’un « bon politicien est d’abord un bon citoyen », intègre « avec sa famille et ses amis ». Si elle reconnaît à la Tanzanie « une riche culture de l’entraide », elle souhaite voir disparaître les traditions néfastes aux femmes, notamment celle du lévirat, qui contraint les épouses ayant perdu leur mari à épouser un de ses parents masculins, le plus souvent un frère. « Les droits, dans une société, ce sont les mêmes pour tous, ou alors ce ne sont pas vraiment des droits », clame-t-elle.
« Ce n’est pas juste une présidente... »
Naama et Lulu sont toutes les deux bénéficiaires d’un programme d’aide à l’autonomisation porté par l’ONG Hope for Girls and Women, fondée par Rhobi Samwelly. Cheveux coupés court, poker face et style corporate, cette dernière est de celles qui sélectionnent leurs mots et ne s’excusent pas inutilement. Elle reçoit dans la salle à manger de sa « safe house », dans laquelle elle héberge une centaine de jeunes filles, pour la plupart victimes de mutilations génitales (MGF). Si la pratique est illégale depuis 1998, environ 10 % des femmes de 15 à 49 ans déclaraient encore en 2015 avoir subi une MGF, selon une étude des Nations unies4. Dans la région de Mara, où est basée l’ONG de Rhobi, ce taux grimpe à 32 %. « C’est un territoire de la tribu Kuria, pour qui l’excision reste, malheureusement, un marqueur important d’appartenance ethnique », explique-t-elle.

Née au cœur des années 1970 d’un père Kuria et d’une mère Massaï, Rhobi grandit dans la commune rurale de Butiama. Son enfance a été rythmée par les allers-retours à l’école, la cueillette dans l’herbe fraîche et les nuits plus laborieuses, où il fallait aller chercher l’eau en évitant les serpents. Jusqu’au jour où le vernis se craquelle quand elle croise sa camarade Sabina, en sang sur le chemin de sa maison. Ce jour-là, Rhobi s’étonne de la voir marcher si lentement. Ce n’est que le lendemain, en apprenant la mort de son amie, qu’elle comprend : Sabina avait été « coupée » (excisée). Quand elle sent son heure venir, Rhobi supplie sa famille durant des semaines. En vain. « Ce sont nos traditions », se contentent-ils de rétorquer. Après la cérémonie, elle reste inconsciente durant près de cinq heures. « Ça a été un déclic pour ma famille. Après moi, mes petites sœurs n’ont pas été excisées. Et, de mon côté, je me suis promis de me battre pour que plus aucune jeune fille n’ait à subir ça. »
Rhobi partage aujourd’hui son temps entre ses deux maisons d’accueil de Butiama et de Serengeti et ses engagements politiques au sein du CCM. Depuis six ans, elle est responsable de la branche « femmes » du parti dans la région de Mara. « Pour que l’agenda s’accélère, justifie-t-elle. Les femmes ciblent bien mieux que les hommes les défis de leurs communautés puisque, comme dans leur famille, leur rôle y est central. » Elle voit donc l’arrivée de Samia Suluhu au pouvoir comme l’opportunité de changer de paradigme, avec le soutien « d’un appareil législatif fort ». En guise de preuve, elle cite les aides débloquées au cours des dernières années pour soutenir l’entreprenariat féminin, une manière efficace d’enrayer, selon elle, « la mécanique de la dépendance à l’homme ». « Ce n’est pas juste une femme présidente, soutient Rhobi Samwelly. C’est une femme présidente dans un pays africain, où on croit toujours d’abord en l’homme et où on pense toujours que les femmes ne peuvent rien faire. Il était temps que ça change. »
Devenir « une femme puissante »
Un avis partagé par Winfrida Juliasi Wangwe, 49 ans. Elle est depuis six ans la cheffe du petit village de Kanyariri, situé dans le nord du pays. Après avoir « mis fin au cycle de corruption » qui en freinait le développement, dit-elle, Winfrida a désormais le champ libre pour s’occuper des affaires courantes. Construction de salles de classe et d’un dispensaire, raccordement à l’eau… Les projets ne manquent pas, contrairement à l’argent. Après avoir fait ses preuves, désormais « respectée » par les hommes du village, elle souhaite axer son deuxième mandat sur la lutte contre « un fléau » qui sévit dans sa région de Mara : les violences faites aux femmes.

Selon un rapport du ministère de la Santé publié en 2011, 72 % des femmes âgées entre 15 et 49 ans y ont fait l’expérience de violences physiques, soit le pire taux du pays. « Les hommes pensent toujours être le chef du foyer, mais sans les femmes, rien ne fonctionne chez eux. Lorsque des cas surviennent, j’essaye de ne pas seulement punir mais aussi de faire évoluer les mentalités », souligne-t-elle.
À quelques kilomètres de là, au poste de police de Mugumu, son chef, Stephen A. Mwakalinga, qui frôle le mètre quatre-vingt-dix et le plafond, s’affaire dans le couloir autour d’une moto Yamaha bleue, modèle YBR125G. « Ça permet d’intervenir rapidement, c’est pratique », reconnaît-il. Problème : il n’en dispose que d’une pour toute sa zone d’intervention, où résident 340 000 personnes. Alors, les victimes qui le peuvent se déplacent jusqu’au bureau de l’agente Joyness Leonard, chargée des affaires de mœurs. Ce jour-là, une femme est venue avec son bébé. « Violence domestique », balaye la policière de 31 ans. Une éclaircie, tout de même : si elle reconnaît que « le taux de violences et d’excisions reste très élevé » dans la région, elle observe depuis quelques années une évolution des mentalités qui « va dans le bon sens ». « Aujourd’hui, les filles sont mieux accompagnées si elles souhaitent quitter le foyer. Ce n’était pas le cas avec les anciennes générations. »

La Tanzanie, nation majoritairement chrétienne bâtie presque essentiellement sur le rêve socialiste d’un seul homme, Julius Nyerere, navigue aujourd’hui entre un attachement sincère à ses traditions et l’irrésistible appel d’une modernité aux contours souvent dessinés par l’extérieur. À la télévision, les clips des stars locales, diffusés en boucle, mélangent les danses et tenues traditionnelles avec les codes visuels qui cartonnent sur les réseaux sociaux, comme des bicyclettes en fleur et des feux de cheminée. Rose, 28 ans, préfère les tubes états-uniens des années 1990 et 2000. « Marc Anthony, ça c’est un homme qui sait parler aux femmes », lance-t-elle à l’arrière d’un tuk-tuk en périphérie de Dar es-Salaam, dont les enceintes saturées recrachent des versions uptempo de classiques R’n’B. Cette étudiante en droit offre une identité fracturée : toujours tirée à quatre épingles, en tailleur même sous 35 °C, elle travaille dur pour devenir « une femme puissante »... mais elle a sa propre idée de l’égalité homme-femme. « Hors de question que je débourse 1 euro dans mon couple. Mon rôle, c’est d’être toujours belle et présentable. Pas de payer le resto », assène-t-elle.
« On sous-estime la part de la population contre le système en place »
Rose aura de la chance si elle signe un contrat à la sortie de ses études. En Tanzanie, plus de 75 % de la population a moins de 30 ans, mais, selon un rapport de 2019, seulement 6 % d’entre eux décrochent un emploi dans un secteur formel à leur entrée sur le marché du travail. Isack Masero, 28 ans, diplôme intermédiaire de médecine en poche, a quitté Dar es-Salaam pour Musoma, dont il est originaire, espérant y trouver un débouché. « Finalement, les opportunités ne sont pas meilleures qu’ailleurs. Pas du tout intéressant dans les mines, un peu plus dans les distilleries et les télécoms. » Alors, il a ouvert une boutique de télécoms. En parallèle, le jeune père de famille suit quelques patients diabétiques et planche avec un associé sur des projets d’éducation à la santé, dont l’un ciblé sur les grossesses précoces. Selon le Fonds des Nations unies pour la population5 (FNUAP), plus d’une Tanzanienne sur quatre tombe enceinte avant ses 19 ans.

« Beaucoup de ces jeunes mères ne peuvent pas terminer leurs études, ce qui limite leurs opportunités professionnelles et perpétue le cycle de la pauvreté », analyse-t-il. Né dans une famille pro-CCM, il a pourtant suivi avec intérêt l’ascension de l’opposant Tundu Lissu à la tête de Chadema. « C’est un mec qui n’a pas peur de dire les choses telles qu’elles sont, ce qui est rare chez les politiciens de ce pays », dit-il. S’il ne s’imagine pas voter pour un autre parti que le CCM, il met en garde : « On a besoin de transparence et de pouvoir faire à nouveau confiance. Le candidat qui l’emporte devra faire ce pour quoi il a été élu. »
« La Tanzanie est souvent observée par les médias uniquement à travers la lorgnette politique », commente Karen Chalamilla, une journaliste tanzanienne indépendante de 28 ans. « Or il y a tant d’histoires à raconter avec plus de nuances, en passant par la culture. Ce serait dommage de vivre ici et ne pas le faire. » L’autrice d’une récente enquête dans le magazine tanzanien The Republic sur les liens entre les stars de bongo flava et le CCM mesure néanmoins sa chance. « À mon âge, avoir un travail à plein temps et épanouissant reste très difficile », reconnaît-elle. Lasse elle aussi des leaders politiques « plus concernés par le pouvoir comme une fin en soi et leurs intérêts personnels que par le bien-être de leurs citoyens », elle aimerait « que les Tanzaniens réalisent qu’ils méritent mieux que ce système ». Puis tempère, réaliste :
Comme c’est le cas dans la plupart des pays pauvres, on sous-estime certainement la part de la population contre le système en place. Parce que quand il faut remplir l’assiette de la famille, on n’a pas le temps d’aller manifester.
Omar Hafidh (le prénom a été changé), activiste pour les droits humains, porte un regard plus critique sur la situation. « Le problème des dernières décennies, c’est que les citoyens ont de très fortes attentes de leurs leaders et que ces espoirs ont presque toujours été accompagnés de déceptions. » Le trentenaire se dit par ailleurs « très préoccupé » par les pressions qui pèsent sur les jeunes opposants politiques. « Ces persécutions sont en train de réduire toute une génération au silence et la découragent de participer aux discussions qui dessinent son futur », s’alarme Omar. Le jeune homme ne s’avoue pas résigné pour autant : « Voir éclore une société meilleure, c’est mon rêve depuis tout petit. » Et de conclure :
Je crois sincèrement que le jour viendra où nous, les jeunes, nous trouverons un espace pour nous exprimer, pour faire émerger nos préoccupations sans peur, et que nous prendrons part au gouvernement pour insuffler un vrai changement. Pour l’instant, c’est encore un rêve, et il est loin de pouvoir se réaliser. Mais ce jour-là, la Tanzanie cessera d’être une démocratie de papier.
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2Carlos Mureithi, « Nay Wa Mitego, the Tanzanian rapper who has been banned, jailed and threatened but says he won’t stop », The Guardian, 24 décembre 2024.