La lettre hebdomadaire #174

L’Algérie et les convois inhumains

Cette œuvre abstraite présente une palette de couleurs chaudes dominée par des nuances de brun, d'orange et de doré, créant une atmosphère chaleureuse et accueillante. Les coups de pinceau sont à la fois dynamiques et texturés, donnant une impression de mouvement et de profondeur. Des touches de bleu clair se détachent, ajoutant un contraste rafraîchissant et captivant. La composition est structurée, avec des formes rectangulaires qui se superposent et s'entrelacent, évoquant une ville ou un paysage urbain en abstraction. L'ensemble dégage une sensation de mystère et d'émotion, invitant le spectateur à explorer son interprétation personnelle.
Desert Sun ii
© Talts Jaanika

DANS L’ACTU

L’ALGÉRIE EXPULSE PLUS DE 1 200 MIGRANTS DANS LESERT NIGÉRIEN

Samedi 19 et mardi 22 avril, 1 217 migrants subsahariens ont été refoulés d’Algérie, en deux vagues, et abandonnés dans la zone du « Point Zéro », à quelques kilomètres de la frontière avec le Niger, en plein désert. Si la pratique est habituelle, ce mois d’avril marque un pic, a indiqué Alarme Phone Sahara (APS), une ONG active dans la région depuis plusieurs années. « Autant de personnes en une fois, c’est beaucoup par rapport aux autres opérations de ce type », a précisé Azizou Chehou, coordinateur d’APS au Niger. Parmi les personnes refoulées, on compte 41 femmes et 12 enfants. Les personnes expulsées sont originaires de dix-sept pays (d’Afrique de l’Ouest, du Soudan, d’Éthiopie et du Bangladesh). « Nous avons déjà recensé plus de 3 000 expulsions ce mois-ci, donc, actuellement, nous sommes à plus de 4 000 migrants refoulés depuis le début du mois d’avril », a souligné Azizou Chehou.

InfoMigrants, un site d’information spécialisé, rappelle que « les exilés sont généralement abandonnés, livrés à eux-mêmes en plein désert. Sans eau ni nourriture, ils doivent parcourir à pied pendant des heures le chemin vers Assamaka où se trouve le centre de transit de l’Organisation internationale des migrations (OIM), le bras de l’ONU qui assiste les retours volontaires des migrants vers leur pays d’origine. » Sur la route, certains se perdent ou meurent, le risque étant particulièrement élevé en cette saison caniculaire, où les températures dépassent 40 °C. « Rien qu’hier [mardi 22 avril, NDLR], les associations locales nous ont fait part de la découverte de deux cadavres. Et un autre a été retrouvé lundi », a dit Azizou Chehou.

Au moins 31 404 personnes ont été refoulées par les autorités algériennes dans le désert en 2024, un record qui « dépass[e] tous les chiffres documentés des années précédentes », y compris celui de 2023 (26 031) », selon Alarme Phone Sahara. En janvier dernier, l’ONG avait vu dans cette évolution la conséquence du « renforcement de la coopération entre les pays du Maghreb, qui vise à rendre plus difficile l’arrivée et la poursuite du voyage des personnes venant du Niger et à y expulser des personnes à grande échelle ». Dans un article publié alors sur son site, elle précisait que « les forces de sécurité algériennes effectu[ai]ent régulièrement des raids et des arrestations massives sur les lieux de vie et de travail des migrants », et elle observait, parallèlement, « une augmentation des expulsions en chaîne au cours desquelles des personnes [étaient] expulsées en Tunisie, souvent après des pullbacks1 en mer, vers la frontière algérienne, puis par les forces de sécurité algériennes vers la frontière nigérienne ».

Ces personnes s’entassent ensuite dans le nord du Niger sans possibilité d’intégration dans le pays, misant tout sur un retour volontaire ou une réinstallation dans un pays tiers. Les capacités d’accueil des centres gérés par l’OIM à Agadez, Arlit et Assamaka sont limitées, et les places sont réservées à ceux qui acceptent un « retour volontaire » dans leur pays d’origine.

En abrogeant, en novembre 2023, la loi de 2015 criminalisant les circuits de migration clandestine, le Niger, pays de transit de la migration vers l’Europe devenu un centre de rétention, « a fait un pas considérable vers le rétablissement de la liberté de circulation sur les routes de l’exil et de la migration », écrivait APS en janvier. Mais en réponse, la Tunisie, l’Algérie et la Libye, encouragées « par la politique des États de l’UE, pratiquent à une échelle accrue les arrestations, refoulements et expulsions massives » à travers une nouvelle alliance maghrébine créée en avril 2024, affirme APS.

La radio-télévision nigérienne (RTN) a diffusé mercredi un reportage montrant des images des personnes refoulées, dont plusieurs visiblement blessées. Les hommes interviewés y témoignent avec indignation des violences et vols subis de la part des forces de sécurité algériennes. « On m’a tapé. Quand tu es nigérien ou burkinabé, on te maltraite. » « Ils ont coupé nos cheveux ; les gens ont couché avec nous, dans le désert là-bas, les policiers même. Il ne faut pas venir en Algérie ! » « Nous, les Maliens, les Burkinabè et les Nigériens, ils nous fatiguent tellement ! » « J’avais une carte consulaire ; ils ont dit que ça ne fonctionne pas alors que c’est dans leur pays que j’ai pris ça. Ils nous ont tous frappés avec des matraques. » « Ils nous ont tout arraché : argent, téléphone. Je n’ai rien pu emporter. »

Le commentaire de la télévision publique fustige l’Algérie « brouillée avec tous ses voisins [et] qui ne s’embarrasse guère du respect des lois nationales et autres conventions africaines et internationales ». Le fait que le média d’État soit proche des autorités suggère que le retentissement donné à cette énième expulsion est politique. Dans le contexte de tension diplomatique entre Alger et Bamako, Niamey veut afficher sa solidarité avec le Mali, dans le cadre de l’Alliance des États du Sahel (AES), même si sa relation avec l’Algérie est habituellement moins mauvaise.
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À VOIR

SEAPPROPRIER UNE BIBLIOTHÈQUE ETCONSTRUIRE L’HÉRITAGE COLONIAL

Deux femmes kényanes, l’écrivaine Shiro Koinange et l’éditrice Angela Wachuka, ont un projet : rénover l’ancienne bibliothèque McMillan à Nairobi. Construite en 1931, mais interdite aux Africains jusqu’en 1958, elle est l’un des symboles de colonisation britannique au Kenya (1920-1963). En 2017, les deux femmes veulent se réapproprier ce lieu de mémoire coloniale, alors peu entretenu. Elles ambitionnent d’installer un espace culturel mettant en avant la littérature noire, célébrant l’art et la prise de parole. Elles appellent leur organisation le « Book Bunk ».

Le documentaire How to Build a Library, sorti cette année et réalisé par Maia Lekow et Christopher King, suit l’évolution de ce projet sur huit ans. Pendant une heure quarante, les deux femmes naviguent entre rénovations, levées de fonds, mobilisations de bénévoles et de professionnels. Leur travail ne se concentre pas seulement sur la bibliothèque principale de McMillan, mais également sur deux de ses branches dans les villes de Kaloleni et de Makadara.

L’esthétique du documentaire se rapproche de celle d’un film, avec des plans soignés et des touches musicales originales composées par Maia Lekow, Katya Mihailova et Daniel Hoffknecht. Le visionnage est immersif. Il plonge le spectateur au cœur du combat de Shiro et d’Angela : réunions entre bénévoles, visites de chantiers et rendez-vous avec les politiques locaux.

Cette lutte, presque héroïque, met en lumière les mécanismes et les dysfonctionnements politiques des institutions kényanes. Tout en cherchant à obtenir des financements publics et les autorisations nécessaires, Shiro et Angela tentent de trouver un équilibre entre validation institutionnelle et contournement d’une éventuelle récupération politique.

Elles-mêmes sont amenées à dénoncer les manquements de l’administration relatifs à l’entretien en général des bibliothèques publiques. Mais avec le temps, leurs relations avec le personnel politique évoluent. Méfiantes au départ, en 2023 elles invitent Sakaja Johnson Arthur, le jeune gouverneur de Nairobi, à leur évènement « Une nuit à la bibliothèque ». Elles en font un allié du Book Bunk en jouant sur la corde sensible : elles lui remettent un article de presse illustré par une photographie de sa mère. Cette archive a été retrouvée lors de la rénovation de la bibliothèque.

La même année, Shiro et Angela ont un autre cas de conscience lorsque le couple royal britannique visite la branche de Makadara. Cet évènement suscite des sentiments contradictoires chez les jeunes femmes. Si c’est un honneur et une reconnaissance de leur travail, cette visite rappelle aussi les quatre décennies de colonisation britannique. Le besoin de financement les pousse à accepter de l’argent de responsables administratifs kényans et d’organismes liés à l’ancienne puissance coloniale, alors même que ce projet est censé bousculer l’ordre postcolonial.

En 2023, le Book Bunk n’implique plus seulement de redonner aux bibliothèques une seconde vie, il représente aussi une avancée sociale et une lutte culturelle face aux fantômes de la colonisation.
Le témoignage de Shiro et Angela permet de comprendre qu’il y a, encore aujourd’hui, beaucoup à déconstruire et à reconstruire après le traumatisme colonial.

Alexia Sabatier

À voir : Maia Lekow, Christopher King, How to Build a Library, Circle and Square Production, 2025. Le film sera projeté dans plusieurs festivals mondiaux, dont le Encounters-South African International Documentary Festival (19-20 juin 2025). La production indique par ailleurs qu’il sera projeté en avant-première au Kenya d’ici à la fin de l’année.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

Des États-Unis au Nigeria, la fabrique d’un « génocide des chrétiens »
Parti pris Aux États-Unis, des responsables politiques chrétiens, en particulier évangéliques, affirment que les croyants au Nigeria seraient victimes de violences, voire de « génocide ». Le politiste Marc-Antoine Pérouse de Monclos, spécialiste des violences en Afrique, questionne la méthodologie scientifique des études sur lesquelles se basent ces dénonciations et les biais des promoteurs de ces thèses.
Par Marc-Antoine Pérouse de Montclos

Stokely Carmichael et Miriam Makeba en exil et en lutte chez Sékou Touré
Bonnes feuilles La vie en Guinée-Conakry de ce couple iconique est racontée dans un récit publié ce 25 avril par les éditions Ròt-Bò-Krik. Aux côtés du président guinéen et de leaders indépendantistes, dont Kwame Nkrumah et Amílcar Cabral, la chanteuse sud-africaine et le leader états-unien du Black Power ont forgé leur pensée panafricaniste et contribué à faire le pont avec les luttes états-uniennes.
Par Michael Pauron

La « machine de guerre » Bolloré décortiquée
Compte-rendu Ce jeudi 24 avril paraît l’étude « Le système Bolloré, de la prédation financière à la croisade politique », publiée par Attac et l’Observatoire des multinationales. Les profits accumulés par le milliardaire breton dans la logistique en Afrique lui permettent aujourd’hui de financer son expansion dans les médias et la culture, en France ou sur le continent.
Par Michael Pauron
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En español

Estrés postraumático en Mayotte, el otro estrago tras el paso del ciclón Chido
El paso del ciclón Chido a mediados de 2024 ha marcado de forma duradera el paisaje de Mayotte. Otras secuelas aparecen casi tres meses después : muchas personas sufren problemas de estrés postraumático. El escaso personal sanitario del archipiélago carece de medios para hacer frente a este síntoma que en algunos casos se añade a otros traumas.
Por Mathilde Hangard (en el medio Rebeliо́n)

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1Dans un rapport de 2018, les Nations unies ont défini les pullbacks comme des opérations «  destinées à empêcher physiquement des migrants de quitter leur territoire ou leur pays d’origine ou le pays de transit où ils se trouvent ou de les y renvoyer par la force avant qu’ils ne puissent atteindre la juridiction de leur pays de destination.  »