Biya-Kamto : face-à-face manqué au Cameroun

À 92 ans, dont quarante-trois passés à la tête du pays, Paul Biya se présente pour un huitième mandat consécutif à l’élection présidentielle du 12 octobre. Maurice Kamto, le principal candidat de l’opposition, a été écarté de la course. Mais tout ne semble pas perdu.

L'image montre un groupe de personnes rassemblées dans un espace formel, probablement un tribunal ou un événement solennel. Au premier plan, deux hommes sont assis. L'un porte une tenue traditionnelle blanche avec un chapeau, tandis que l'autre est habillé d'une tunique bleue et d'un collier de perles. Autour d'eux se trouvent des hommes en costume noir, certains portant des robes d'avocat. Tous semblent attentifs et sérieux, ce qui suggère que l'événement en cours est d'une grande importance. L'ambiance générale peut être perçue comme solennelle, avec une concentration visible sur les visages des participants.
Maurice Kamto (en blanc) et Anicet Ekame (en bleu) devant le Conseil Constitutionnel, le 4 août 2025.
Capture d’écran de l’audience publique diffusée en direct.

Le face-à-face entre Paul Biya, à la tête du Cameroun depuis quarante-trois ans, et l’opposant Maurice Kamto n’aura finalement pas lieu. Arrivé deuxième à l’élection présidentielle de 2018, ce dernier entendait prendre sa revanche à l’occasion du scrutin prévu le 12 octobre. Mais sa candidature a été rejetée par Elections Cameroon (Elecam), l’organe chargé de conduire le processus électoral dans le pays. Décision confirmée le 5 août par le Conseil constitutionnel.

Le rejet de la candidature de Maurice Kamto a provoqué une onde de choc politique et suscité de nombreuses réactions. L’un des avocats de son parti, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), Hippolyte Méli, dénonce une décision « arbitraire, motivée par des considérations plus politiques que juridiques ».

Le coordonnateur de l’ONG Un Monde Avenir, Philippe Nanga, parle d’un « déni du droit de participer à la vie politique », alors que le Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem), le parti qui a investi Kamto, évoque un « authentique coup d’État politique » contre le peuple camerounais. « Il n’y a, en effet, aucune base légale au rejet du candidat du Manidem, le Pr Maurice Kamto. Hormis le faux produit par l’Administration territoriale, manifestement pour nous punir d’avoir osé donner une chance aux aspirations populaires en investissant Maurice Kamto. Le RDPC [le parti présidentiel] use ainsi de tout pour éviter sa défaite y compris cet artifice mensonger que la morale élémentaire condamne », peut-on lire dans un communiqué signé du président du Manidem, Anicet Ekane.

Le 18 juillet, lorsque Maurice Kamto dépose son dossier de candidature au nom du Manidem auprès d’Elecam, le site Internet du ministère de l’Administration territoriale (Minat) mentionne encore Anicet Ekane comme président du parti. Au cours de la nuit suivante, son nom est subitement remplacé par celui de Dieudonné Yebga, qui déposera par la suite son propre dossier de candidature au nom du même parti. Accusé d’avoir orchestré cette manœuvre visant à invalider la candidature de Maurice Kamto, le ministre de l’Administration territoriale a publié un communiqué, le 25 juillet, dans lequel il a dénoncé un piratage informatique de son ministère. Devant le Conseil constitutionnel, il brandit un document affirmant qu’Anicet Ekane n’est plus président du Manidem et qu’il a été remplacé par Dieudonné Yebga. Pourtant, depuis 2018, seul Anicet Ekane est reconnu par cette même administration comme représentant officiel du parti.

« Je ne vous trahirai pas »

Opposant et ancien candidat à l’élection présidentielle, Djeukam Tchameni s’insurge, pour sa part, contre ce qu’il considère comme des « manœuvres grossières ». « Le rejet définitif de la candidature de Maurice Kamto est venu aggraver mes inquiétudes quant aux sérieux de notre démocratie, ajoute-t-il. Le Conseil constitutionnel semble avoir tout simplement exécuté des ordres, des décisions prises depuis longtemps. »

Le 7 août, l’air grave, Maurice Kamto prononce un discours à la suite du rejet de sa candidature. Il dénonce les multiples trahisons dont le peuple camerounais a été victime :

J’ai dit et répété que je ne vous trahirai pas. Et je ne vous ai pas trahis. En revanche, le Conseil constitutionnel, la justice, Elecam, le pouvoir en place, à travers le ministère de l’Administration territoriale [Minat] notamment, qui a été de tous les mauvais coups contre nous, vous ont trahis sans états d’âme. La communauté internationale, notamment l’ONU, […] vous a trahis. Cette communauté internationale, si prompte à se montrer aux côtés de la dictature qui écrase le peuple camerounais, ne s’est pas sentie concernée par le crime politique du régime RDPC contre notre peuple. Bien au contraire, elle s’est assise sur les valeurs qu’elle dit promouvoir et qu’elle prétend défendre.

Pour bien comprendre cette affaire du rejet de la candidature de l’opposant Maurice Kamto, il faut remonter à 2020, lorsque son parti décide de boycotter les élections législatives et municipales en février de cette année-là. Il entend alors dénoncer un processus électoral vicié et exige, par la même occasion, la révision consensuelle du Code électoral. Le MRC compte revenir dans le jeu électoral cinq ans plus tard avec l’espoir que les règles auront connu un changement. Il n’en sera rien. Bien plus, comme pour piéger Maurice Kamto, devenu le principal et redoutable opposant au régime, Biya va prolonger d’un an le mandat des conseillers municipaux et des députés, plaçant ainsi l’organisation de l’élection présidentielle de 2025 avant les élections législatives et municipales, reportées à 2026.

Ce changement du calendrier électoral place, de fait, le MRC de Maurice Kamto hors jeu pour la présidentielle puisque, selon la loi camerounaise, il faut être investi par un parti politique représenté dans les assemblées ou dans un conseil municipal ou réunir 300 parrainages de personnalités des dix régions du Cameroun, y compris des chefs traditionnels, généralement encartés au RDPC, le parti au pouvoir…

La double investiture surprise du Manidem

Convaincu qu’il pouvait très bien se faire investir par son propre parti, le MRC, Maurice Kamto va obtenir le ralliement de plusieurs conseillers municipaux d’autres partis politiques. Cette stratégie va susciter une levée de boucliers du pouvoir. Des membres du gouvernement orchestrent une campagne publique pour dire clairement que la candidature de l’opposant sous la bannière du MRC sera rejetée.

Dans le plus grand secret, le leader du MRC change son fusil d’épaule. Ses équipes prennent langue avec celles du Manidem, un parti qui dispose d’un conseiller municipal et se trouve donc apte à investir un candidat à une élection présidentielle. Un accord est trouvé entre Maurice Kamto et Anicet Ekane. Le premier peut enfin déposer son dossier, au grand bonheur de ses nombreux partisans, soulagés et heureux d’avoir feinté le gouvernement.

Mais les choses vont se corser. Vingt-quatre heures après le dépôt du dossier de Maurice Kamto pour le compte du Manidem, un certain Dieudonné Yebga, militant déchu de ce parti, refait surface. Il dépose lui aussi un dossier à Elecam sous la bannière du Manidem. Elecam invoque une double investiture et rejette les deux dossiers. Kamto est de nouveau hors course. Anicet Ekane, le président du Manidem, accuse alors son ancien camarade d’avoir été stipendié par le gouvernement et le RDPC pour déposer cette seconde candidature d’obstruction.

« C’est une sorte de séance de sorcellerie »

Devant le Conseil constitutionnel, les avocats de Maurice Kamto déploient de nombreux arguments, documents à l’appui, sans convaincre les juges. Anicet Ekane apprend même à l’audience qu’il n’est plus le président de son parti ! Ce que dénonce Philippe Nanga :

C’est ça qui est écœurant et choquant pour nous autres, parce que c’est extraordinaire de voir qu’il a suffi que le Manidem présente monsieur Kamto comme candidat pour qu’on dénie à monsieur Ekane Anicet, président de ce parti-là, cette qualité qui était pourtant reconnue jusqu’ici par toutes les instances, y compris le conseil électoral. J’ai envie de dire, c’est une sorte de séance de sorcellerie, comme on dit chez nous, que je viens de vivre, parce que je suis sûr que si le Manidem n’avait pas présenté monsieur Kamto à la prochaine élection présidentielle, personne ne serait aujourd’hui en train de dénier la qualité de président à monsieur Ekane.

Depuis lors, Maurice Kamto n’a fait aucune déclaration sur le rejet de sa candidature. Son parti a animé la scène politique camerounaise de façon assidue depuis la dernière élection présidentielle de 2018, dont il revendique toujours la victoire. Avec une base militante importante et très fidèle, cet universitaire et avocat international de 71 ans conserve une grande capacité de nuisance et devrait être le faiseur de rois lors du scrutin. «  Tout dépend du choix politique que fera monsieur Kamto, analyse le politologue Stéphane Akoa. Soit il se retire totalement de la scène, soit il donne une consigne de vote à ses militants en faveur de tel ou tel candidat. Le choix qu’il fera rendra la campagne plus animée ou non. » Cet avis est partagé par Djeukam Tchameni, pour qui « le fait d’invalider une candidature n’efface pas l’influence du candidat recalé sur ses électeurs ».

Un candidat contesté en interne

Douze candidats sont en lice pour l’élection présidentielle à un seul tour. Parmi eux, deux anciens ministres qui ont récemment déposé leur démission pour se lancer. Il s’agit d’Issa Tchiroma, ancien ministre de l’Emploi, et de Bello Bouba, ancien ministre du Tourisme. Des tractations sont en cours pour former des alliances fortes capables de renverser Paul Biya, âgé de 92 ans, dont quarante-trois passés au pouvoir, en course pour un huitième mandat consécutif. Cette candidature ne semble pas approuvée par tout le gouvernement, ni même par toute l’élite de son parti. Au-delà des deux ministres qui ont claqué la porte pour l’affronter dans les urnes, une grogne larvée règne au sein du RDPC, où certains cadres pensent que Paul Biya est sous influence.

Plusieurs caciques du régime, dont les très en vue ministre de la Communication, René Sadi, et ministre de la Justice, Laurent Esso, ne cachent plus leur hostilité envers le secrétaire général de la présidence de la République, Ferdinand Ngoh Ngoh. Ce proche de Chantal Biya, l’épouse du président, est soupçonné d’être le "vrai candidat" qui se cache derrière Biya. Ce dernier a récemment été aperçu, diminué, à deux reprises seulement : le 20 mai, lors de la fête nationale du Cameroun, et un peu plus tard, à la télévision, alors qu’il recevait en audience le nonce apostolique au palais présidentiel.

Selon le ministre démissionnaire et candidat à la présidentielle Issa Tchiroma, Paul Biya n’est plus aux commandes. « L’âge du candidat Biya est problématique, y compris pour ses soutiens. Ce qui fait prospérer l’idée qu’il gouverne moins et que d’autres prennent des décisions en son nom », analyse le politologue Stéphane Akoa. Alors que le désir de changement est de plus en plus fort dans la société camerounaise, Paul Biya devra trouver des arguments pour défendre le bilan de son dernier septennat et même de ses plus de quatre décennies de règne. La tâche ne s’annonce pas simple.

« Paul Biya a fait de l’opacité son style de gouvernance »

Arrivé au pouvoir en 1982 à la suite d’une transition politique avec son prédécesseur Ahmadou Ahidjo, Paul Biya héritait d’un pays présenté comme un îlot de stabilité dans une Afrique en proie à de nombreuses crises. Quarante-trois ans plus tard, le Cameroun de Paul Biya est fracturé par un conflit armé dans ses deux régions anglophones (le Nord-Ouest et le Sud-Ouest) depuis 2016. Une guerre oubliée qui a fait jusqu’à présent plus de 6 000 morts et environ 800 000 déplacés, selon International Crisis Group1.

L’économie est en panne, et le chômage des jeunes est un fléau. Les infrastructures routières n’ont pas été modernisées. Les deux principales villes du Cameroun, Yaoundé et Douala, sont reliées par une piste cabossée alors que le gouvernement a lancé la construction d’une autoroute qui piétine : seulement 60 km construits en dix ans. L’accès à l’eau potable et à l’électricité demeure un luxe pour de nombreux Camerounais, y compris dans les grandes villes. La corruption règne, et le tribalisme est banalisé.

Qualifié de « roi fainéant », Paul Biya est connu pour ses escapades régulières à l’hôtel Intercontinental de Genève, où il vit quasi à demeure. Sa gouvernance est assez particulière. Il a une sainte horreur des Conseils des ministres, et n’en organise pratiquement pas. Mieux : il ne reçoit presque jamais ses ministres. Issa Tchiroma, l’ancien ministre de l’Emploi, confiait récemment dans une interview qu’en vingt ans au gouvernement il avait rencontré Paul Biya deux fois, une fois dans son bureau et une autre fois lors d’un voyage à l’étranger. Et il n’est pas le seul dans ce cas, témoigne Djeukam Tchameni : « Paul Biya a fait de l’opacité son style de gouvernance. Certains de ses ministres sont nommés puis démis de leurs fonctions sans jamais l’avoir rencontré en tête à tête. »

Beaucoup de Camerounais attendent impatiemment le début de la campagne électorale. Ils pourront apprécier par eux-mêmes les capacités réelles de Paul Biya à continuer à tenir encore les rênes du pouvoir.

1«  L’initiative canadienne offre une nouvelle opportunité pour le processus de paix au Cameroun  », International Crisis Group, 9 février 2023, à lire ici.