Gabon. À Paris, un vote dans la confusion

Reportage · Impatience, énervement et finalement ambiance festive : la diaspora gabonaise s’est rendue aux urnes ce samedi 26 août, jour d’élections générales. Tandis que rien ne filtre depuis le Gabon, où internet a été coupé et les frontières fermées, l’opposant Albert Ondo Ossa a largement remporté le scrutin parisien.

L'image montre un bâtiment imposant avec une architecture classique, visible grâce à ses grandes fenêtres et ses arches. Devant ce bâtiment, un groupe de personnes se rassemble, créant une atmosphère animée. Des drapeaux français flottent au-dessus d'eux, témoignant de l'importance de ce lieu. Les visiteurs semblent variés en termes d'âge et de style vestimentaire, ce qui reflète une diversité culturelle. À l'arrière-plan, des affiches colorées annoncent un événement, ajoutant une touche festive à la scène. L'ensemble dégage une ambiance d'attente et d'excitation.
Des électeurs gabonais patientent devant la mairie du 16e arrondissement de Paris, samedi 26 août 2023
© Michael Pauron / Afrique XXI

À Paris, Albert Ondo Ossa, le candidat unique de la plateforme d’opposition au président gabonais Ali Bongo Ondimba, Alternance 23 (A23), a remporté l’élection présidentielle qui se tenait ce samedi 26 août 2023. Ses scores, selon les bureaux de vote, oscillent entre 76 % et 92 %, selon les chiffres recueillis pendant le dépouillement par les observateurs d’A23. Et les Gabonais présents ne cachent pas leur joie à l’annonce de ces résultats, peu avant 1 heure du matin, devant la mairie du 16e arrondissement de Paris.

L’image est pour le moins insolite : en France, l’élection présidentielle s’est déroulée sous les ors de la République. Des milliers de Gabonais ont voté après être passés sous les drapeaux bleu-blanc-rouge qui flottent au fronton de l’immeuble haussmannien. Le quartier a été entièrement bouclé par les forces de l’ordre françaises - une colonne de Brav-M, ces policiers à moto qui sont régulièrement accusés de violences contre les manifestants, a même fait le déplacement en milieu de soirée. La préfecture n’a pas lésiné sur les moyens pour assurer la sécurité de ce scrutin.

Au Gabon, aucun observateur ni journaliste étranger n’a été accrédité. Avant que les résultats ne commencent à tomber, Internet a été coupé et les frontières ont été fermées, pour assurer « la paix » et « la stabilité » dans le pays selon le porte-parole du gouvernement, qui s’est exprimé à la télévision nationale dimanche 27 août. Élu en 2009 après la mort de son père, mal réélu en 2016, Ali Bongo Ondimba, dont la famille règne sans partage sur cet État pétrolier depuis cinquante-six ans, affronte treize candidats, mais seul Albert Ondo Ossa semble en mesure de renverser le régime par les urnes.

Les poids lourds de l’opposition tels que Alexandre Barro Chambrier, Paulette Missambo et Mike Jocktane se sont rangés derrière cet économiste et ancien ministre de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur d’Omar Bongo (2006). Réputé pour son sérieux, Ondo Ossa, une figure connue de la société civile politiquement moins exposée que d’autres opposants, a été empêché de faire campagne au Gabon. Mais à Paris, son nom est largement cité par la diaspora.

« Tout ça n’est pas le fruit du hasard »

Les employés de la mairie avouent à demi-mot être un peu dépassés par l’événement – aucun d’eux n’avait vraiment pris la mesure de la chose lorsque la municipalité avait accepté de louer la salle des fêtes à la demande de l’ambassade du Gabon. Le symbole fait réagir vivement les membres de la diaspora gabonaise, qui dénoncent régulièrement le soutien de la France à la famille Bongo depuis 1967 : ce vote organisé dans un bâtiment de la République française serait une nouvelle ingérence de Paris, alors que le Gabon reste un pays phare de la Françafrique et que le code électoral, s’il dispose que le Centre gabonais des élections (CGE) peut « faire procéder à des correctifs » sur l’implantation des bureaux de vote, exclut clairement certains lieux parmi lesquels « la Présidence de la République, des ministères, des mairies, des casernes ainsi que des établissements sanitaires et des palais de justice ».

« Tout ça n’est pas le fruit du hasard », croit savoir un électeur. Et le curriculum vitæ de l’édile du très chic 16e arrondissement ne fait que renforcer ces suspicions : bien connu des réseaux africains, l’avocat Francis Szpiner a été le défenseur des dictateurs Jean-Bedel Bokassa en Centrafrique et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo en Guinée équatoriale, ainsi que de l’État de Djibouti, une autocratie dirigée d’une main de fer par Ismaïl Omar Guelleh et qui abrite la plus grande base militaire française en Afrique.

Proche de Rachida Dati, mairesse du 7e arrondissement et « amie » du dictateur congolais Denis Sassou-N’Guesso1, Szpiner a été élu en 2020 sous la bannière du parti de droite Les Républicains. Toute la journée, les doutes sur la transparence du scrutin et sur l’implication de la France ont persisté dans les discussions.

Une diaspora hostile à Bongo

Il n’est pas 9 heures le 26 août quand les premiers Gabonais de la diaspora se massent devant la mairie. Certains ont fait le déplacement depuis Lille ou Reims. D’autres, habitant Lyon, Marseille ou Toulouse, se sont rendus à Bordeaux. En effet, quelques jours avant le scrutin, le CGE avait semé la confusion en annonçant d’abord la fermeture de toutes les représentations consulaires à l’étranger dans lesquelles devaient se dérouler le scrutin, et en dévoilant seulement quatorze lieux de vote dans le monde, externalisés comme dans les mairies des 16e et 6e arrondissements de Paris.

Le code électoral prévoit pourtant qu’« en cas d’élection du Président de la République, ou de référendum, des bureaux de vote sont ouverts dans toutes les représentations diplomatiques et consulaires ». Cette décision incompréhensible et non motivée par les autorités avait laissé les opposants faire leur propre interprétation : la diaspora est empêchée de voter car trop majoritairement opposée à Ali Bongo Ondimba.

Les vidéos de Gabonais réclamant l’ouverture de bureaux de vote dans les consulats de leur ville s’étaient multipliées sur les réseaux sociaux. Ce fut le cas, par exemple, à Marseille, mais aussi à Accra, au Ghana, et à Québec, au Canada. Sur le continent américain, les Gabonais auraient dû se rendre soit à New York, soit à Washington pour voter...

Étienne (le prénom a été changé) est arrivé à 8 h 30 et piaffe devant l’entrée de la mairie du 16e gardée par des policiers. À l’intérieur, c’est le désordre. Selon un employé de la mairie, qui a souhaité conserver l’anonymat, « la mise en place aurait dû se faire à partir de 7 heures, mais il n’y avait personne à cette heure-là ». L’un des adjoints au maire sourit : « Moi qui ai un peu vécu en Afrique, je ne suis pas étonné », lance-t-il dans un mélange de racisme naïf et de paternalisme suranné.

Des observateurs de l’opposition affiliée au pouvoir

L’ambiance est électrique : à 10 heures, non seulement les listes électorales n’ont toujours pas été affichées, mais en plus, la liste des représentants de l’opposition accrédités par le CGE provoque des discordes. De jeunes couples venus se marier défilent au milieu de ce tohu-bohu, légèrement décontenancés par la scène à laquelle ils assistent. Selon une coordinatrice d’A23, la plateforme avait « transmis vingt-deux noms, seuls trois ont été acceptés et, à la place, ils ont mis des membres avérés du Parti démocratique gabonais [PDG, au pouvoir] », explique-t-elle en montrant les fameuses listes et les noms dont certains sont barrés d’un « PDG » rouge. Selon l’universitaire Noël Bertrand Boundzanga, une opposition « du pouvoir » a été mise sur pied afin de saper la « vraie » opposition.

Pris à partie, Ghislain Otsobi, le président du CGE à Paris, tente, entouré de deux agents de sécurité de l’ambassade, de calmer tout le monde. Interrogé par Afrique XXI, il n’a pas souhaité s’exprimer. La police française, appelée par les services de l’ambassade, s’est finalement retirée à l’extérieur du bâtiment. Un agent du renseignement de l’unité explique : « Je suis venu m’assurer qu’aucun agent de police de l’État français ne dépasse cette ligne », dit-il en montrant le palier du bureau de vote. « C’est une élection étrangère, on n’a rien à faire là. En revanche, sur le trottoir, c’est la voie publique », ajoute-t-il, démontrant ainsi que les autorités françaises avaient parfaitement conscience du caractère sensible d’une telle opération. Les cars de police resteront mobilisés toute la journée, remplacés le soir par ceux des CRS.

À 11 heures, la queue s’allonge à l’extérieur au point d’atteindre une rue perpendiculaire à la mairie. Mais les bureaux ne sont toujours pas ouverts. « Je dois aller travailler à 13 heures, comment je vais faire ? », se désole un Gabonais qui se réjouissait d’avoir enfin trouvé une place pour garer sa voiture, avant de voir la file d’attente… Des informations peu encourageantes arrivent du 6e arrondissement : les bulletins de vote des candidats d’Alternance 23 qui se sont retirés au profit d’Ondo Ossa ont été disposés et, selon Laurence Ndong, membre du collectif Tournons la page, « les organisateurs refusent de les retirer ». Elle explique avoir le même problème avec les représentants de l’opposition désignés par le CGE.

« On est fatigués des Bongo »

Finalement, le vote débute à 11 h 30 dans une ambiance tendue. Ici et là, des « on est fatigués des Bongo » fusent des files d’attente. Beaucoup ont décidé de rester ensuite pour exiger le dépouillement et l’annonce des résultats dans la foulée, ne faisant aucune confiance aux services de l’ambassade. Alors, une atmosphère particulière s’installe. Certains prennent le temps d’aller manger et de revenir ; d’autres vont s’acheter de quoi se restaurer dans une supérette non loin de la mairie.

Toute la soirée, des observateurs ont retransmis les images du décompte en direct sur les réseaux sociaux. Aux fenêtres munies de barreaux donnant sur la salle des fêtes, au rez-de-chaussée de la mairie du 16e, de nombreux électeurs sont montés et se sont massés en équilibre sur le rebord pour surveiller les urnes. Des drapeaux bleu, jaune et vert (les couleurs du Gabon) apparaissent dans une ambiance chaleureuse et festive malgré l’imposant déploiement de gendarmes. L’hymne gabonais est entonné plusieurs fois par la foule. Bientôt, des groupes se forment autour des écrans de téléphones portables qui éclairent les visages d’une lumière blafarde.

Des électeurs gabonais entonnent «  La Concorde  », l’hymne national du Gabon, pour fêter la victoire d’Albert Ondo Ossa dans les bureaux de vote de la mairie du 16e arrondissement de Paris, le dimanche 27 août 2023, un peu avant 1 heure du matin.
© Michael Pauron / Afrique XXI

L’attente et l’énervement poussent certains d’entre eux à se masser devant les CRS, qui ont mis leurs boucliers à leurs pieds. Selon les images diffusées sur les réseaux sociaux, Ondo Ossa prend une avance considérable. Une avance qu’il ne perdra plus, tandis qu’Ali Bongo Ondimba ne dépassera pas 19,5 % des voix. À Paris, Ali Bongo Ondimba n’est plus président.

1«  Denis Sassou Nguesso, Alassane Ouattara, Nasser Bourita… le réseau africain de Rachida Dati  », Jeune Afrique, 5 mars 2020.