Dans la ville animée de Johannesburg, la musique classique noire prend vie grâce aux sons du puissant groupe de jazz expérimental iPhupho L’ka Biko. Issu des mouvements étudiants influents de 2015-20161, ce groupe est devenu une lueur d’espoir, incarnant l’esprit de résistance et de résilience qui définit le changement de paradigme postapartheid de l’Afrique du Sud.
Après un projet réussi en 2019, iPhupho a sorti, le 30 juin 2023, un premier EP très attendu, Azania. Des chansons comme « Qamata » et « Azania » figurent en bonne place, mettant en évidence la croissance et les prouesses artistiques du groupe. Au fil du temps, leurs interprétations du rythme, de l’harmonie, de la mélodie, du ton, de la couleur, des solos, de l’improvisation et de la durée ont évolué, aboutissant à une magnifique transformation.
Disparités raciales et violences contre les femmes
Connu pour ses voix captivantes et ses improvisations jazz exquises, l’ensemble, souvent appelé « Abahlali », a pour ambition de tenir ses auditeurs en haleine. L’EP est porteur d’un message profondément enraciné, inspiré par les défis actuels auxquels sont confrontés les jeunes en Afrique du Sud, par les luttes menées par les femmes victimes de violences et par la persistance des disparités raciales dans le monde entier.
La chanson « Braam Streets » est l’une des plus marquantes du disque. Elle rappelle aux auditeurs les marches militantes et l’activisme à Braamfontein (un quartier du centre de Johannesburg), notamment le mouvement FeesMustFall, qui a explosé sur le campus de l’université de Witwatersrand, située à proximité.
La musique jazz a toujours été liée à la culture noire en Afrique du Sud, servant d’arme puissante contre les chaînes d’oppression héritées du passé. Le mouvement Fallist, tout en réclamant une éducation gratuite, a suscité des discussions sur diverses questions importantes, telles que le patriarcat, l’homophobie et la xénophobie.
Dans cette atmosphère pesante, la musique est apparue comme un moyen de communiquer la colère des étudiants et de conscientiser les masses. À travers leurs importantes productions musicales, des artistes estimés tels que Hugh Masekela2 et Thandiswa Mazwai ont ouvert la voie en confrontant l’histoire de l’Afrique du Sud à l’exploitation et au travail des migrants.
Quand les ancêtres deviennent des guides
Il est intéressant de noter que la première chanson composée par iPhupho L’ka Biko, « uThixo Ukhona » (« Dieu est avec nous »), a été créée au Kitchener’s, un bar centenaire de Braamfontein nommé d’après le tristement célèbre impérialiste britannique Herbert Kitchener (qui a joué un rôle déterminant dans la création de camps de concentration pendant la deuxième guerre d’Afrique du Sud3).
La chanson « Azania » résonne profondément, reflétant le concept de la mort dans les cultures africaines. Elle dépeint ce passage comme une période de transformation, où les ancêtres deviennent des guides pour ceux qui restent opprimés. Avec un solo époustouflant de Kgethi Nkotsi, elle nous appelle à l’action face aux luttes d’aujourd’hui. La mélodie est composée de manière experte, et la combinaison des cuivres et des voix fait écho au travail de l’emblématique et regretté Moses Molelekwa.
Molelekwa, pianiste de jazz, fut la figure musicale marquante des années 1990 et 2000 en Afrique du Sud. Il a créé des œuvres éclectiques qui mêlent le jazz, la chanson traditionnelle, la musique électronique et le kwaito4. iPhupho trouve ses racines dans une chanson historique de Moses Molelekwa, judicieusement nommée « Biko’s Dream ». Son texte s’adresse à chaque individu noir, englobant les voix queers et féministes noires, unies dans la lutte contre la violence infligée par le gouvernement actuel et ses alliés néolibéraux – une œuvre d’art véritablement intersectionnelle.
Persister dans la lutte contre l’oppression
Le son jazzy de cet EP évoque des émotions brutes et des connexions spirituelles. Sibusiso Mkhize et Koketso Poho, les chanteurs principaux, infusent des éléments de gospel dans leurs performances captivantes, magnifiquement mises en valeur par les lignes de cuivres imaginatives créées par Nkotsi. Le plaidoyer exhorte les gens à persister dans la lutte contre l’oppression et à rechercher la libération. Cette forme d’activisme musical suit les traces d’autres pionniers tels que Nina Simone, Miriam Makeba et Mazwai.
Au fil des ans, iPhupho L’ka Biko a captivé le public par la diversité de ses prestations. Ce qui les distingue, c’est leur motivation et leur conviction que l’art et le théâtre doivent avoir un impact positif sur les communautés. Le groupe s’est engagé activement dans divers projets, notamment dans les townships de Khayelitsha et de Soweto. Il s’inspire de la riche histoire du jazz sud-africain et utilise son art pour déclencher des conversations, renforcer les communautés et susciter une transformation positive. Leur engagement social et leurs récits édifiants reflètent l’esprit d’activisme qui anime la scène musicale sud-africaine.
Le tube « uThixo Ukhona », par exemple, incarne l’essence même de la spiritualité, de l’éveil et de la résilience au sein de la communauté noire. Il témoigne de la force de l’action collective, inspirant l’espoir face à des systèmes oppressifs. Cette collection captivante met magnifiquement en valeur l’éventail des expériences des Noirs, attirant l’attention sur les injustices tout en évoquant des émotions et des traumatismes profonds. Ce morceau puissant sert de rappel poignant à la persévérance dans un monde apparemment rempli d’épreuves, offrant réconfort et encouragement.
À chaque sortie et à chaque concert, iPhupho L’ka Biko continue d’inspirer l’espoir, encourageant les auditeurs à surmonter l’adversité et à œuvrer en faveur d’un monde plus juste et plus équitable.
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1Lire Sébastien Hervieu, « En Afrique du Sud, le « printemps étudiant » bouscule le pouvoir », Le Monde, 23 octobre 2015.
2Célèbre trompettiste de jazz décédé en 2018. Lire Nathalie Moller, « Disparition du légendaire trompettiste Hugh Masekela », Radio France, 23 janvier 2018.
3Une référence à la seconde guerre des Boers, qui désigne le conflit intervenu en Afrique du Sud du 11 octobre 1899 au 31 mai 1902, opposant les Britanniques et les habitants des deux principales républiques boers indépendantes.
4Variante de musique house faisant usage d’échantillons sonores issus de musiques africaines.