Le 2 mai 2023, le Parlement ougandais a adopté la loi contre l’homosexualité (Anti-Homosexuality Act, AHA). Signée par le président le 26 mai suivant, elle est entrée en vigueur quatre jours plus tard. Cette loi a suscité l’attention et la condamnation du monde entier en raison de sa nature particulièrement sévère : elle prévoit l’emprisonnement à vie pour le délit d’homosexualité et la peine de mort pour « homosexualité aggravée », ce qui inclut les « délinquants en série », ou les rapports sexuels en position d’autorité ou par intimidation. La « promotion » de l’homosexualité est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans.
Un certain nombre de rapports ont déjà montré l’impact négatif de la loi sur le terrain. Il a été démontré, par exemple, que depuis que le projet de loi a été discuté pour la première fois au Parlement, les personnes LGBTQ ont subi une escalade de la violence et de la discrimination. Il a également été démontré que la loi a un effet néfaste sur la protection des droits en général. Malgré un recours contre cette loi par plusieurs militants des droits humains, la Cour constitutionnelle de l’Ouganda a validé la loi au début du mois d’avril.
L’AHA sert d’importants objectifs politiques nationaux, en particulier pour les députés. En général, ces derniers ne jouissent pas d’une grande confiance – ils sont perçus comme étant dépourvus de pouvoir –, et le fait de prendre la parole sur une question comme celle-ci leur permet de gagner du capital politique. Cela a par exemple conduit à une escalade de la rhétorique anti-gay de leur part : ils semblaient se surpasser pour montrer leurs sentiments anti-gay. La députée Sarah Opendi, l’une des chevilles ouvrières de la loi, a demandé un amendement à la loi prévoyant la castration des homosexuels lors du débat parlementaire. La présidente du Parlement, Anita Among, a déclaré aux députés avant le vote : « C’est le moment où vous allez nous montrer si vous êtes un homo ou non. » En même temps, d’un point de vue institutionnel, la loi a permis au Parlement ougandais, qui n’a généralement pas beaucoup de pouvoir, d’engager un dialogue avec l’exécutif.
« Les graines ont déjà été plantées »
Le président ougandais, Yoweri Museveni, a une position ambiguë sur la loi : il a joué un rôle central dans la résistance face aux tentatives de révision de la loi anti-gay – se rappelant les dommages que la loi a causés à la réputation et aux finances (internationales) du pays –, mais il doit en même temps s’assurer d’apaiser ses électeurs ougandais. Car la loi est largement populaire dans la société ougandaise. Une enquête Afrobaromètre de 2022 montre que 94 % des personnes interrogées n’aimeraient pas ou n’aimeraient pas du tout avoir un voisin homosexuel. Une enquête de 2015 a montré que 94 % des personnes interrogées « dénonceraient à la police des membres de leur famille – y compris leurs frères et sœurs et leurs enfants – ainsi que des amis proches et des collègues de travail s’ils découvraient qu’ils entretenaient des relations homosexuelles ».
Parmi les 37 pays africains étudiés en 2021-2022, l’Ouganda se classe au dernier rang pour ce qui est de l’acceptation des différences sexuelles. Dans ces conditions, l’influence étrangère anti-gay trouve un terrain fertile. Un militant résume la situation en ces termes : « Pour l’instant, il n’y a pas beaucoup de pression : à ce stade, il n’est pas nécessaire d’insister beaucoup. Les Ougandais sont très homophobes ; les graines ont déjà été plantées ; il n’y a pas besoin de beaucoup d’eau. »
Des intérêts étrangers ont-ils œuvré en coulisses ? Un élément crucial est que l’influence étrangère passe désormais en grande partie sous les radars. La raison en est l’ancienne législation anti-gay en Ouganda et la dynamique qui l’a entourée. Présenté au Parlement ougandais en 2009, le « projet de loi contre l’homosexualité » est devenu mondialement connu comme le projet de loi « kill the gays » (tuer les gays), car il prévoyait la peine de mort pour « homosexualité aggravée ». La loi – qui a été adoptée en 2014, mais sans la peine de mort – a fait l’objet de critiques et de pressions à l’échelle mondiale, notamment une série de réductions du nombre de donateurs.
« Dieu aime l’Ouganda »
Le rôle des évangéliques américains dans la préparation de la loi a également fait l’objet d’une attention particulière de la part des médias, comme le documentaire God Loves Uganda (« Dieu aime l’Ouganda »), des reportages dans des émissions télévisées américaines ou toute une série d’articles de presse et d’enquêtes. Plus important encore peut-être, cela a également conduit à un procès contre le pasteur américain Scott Lively aux États-Unis, accusé de crimes contre l’humanité, pour son rôle joué dans la préparation de cette loi. Pour toutes ces raisons, les étrangers qui s’associent ouvertement à la législation anti-gay de l’Ouganda s’exposent à des risques majeurs, tant sur le plan de la réputation que sur le plan judiciaire. Comme me l’a résumé un fonctionnaire ougandais : « Les évangéliques américains ont appris la leçon car certains d’entre eux ont été poursuivis en justice aux États-Unis et ont payé un lourd tribut. »
En conséquence, l’implication étrangère dans la dynamique anti-gay – par les évangéliques américains ou d’autres – se fait de la manière le plus cachée possible. Par exemple, dans la foulée de la législation 2009-2014, l’organisation américaine The Family, organisatrice du National Prayer Breakfast, a tenté de prendre ses distances avec sa filiale ougandaise. Cela ne signifie pas qu’elle a cessé de la soutenir, mais qu’elle le fait de manière beaucoup plus discrète, par exemple en faisant venir des personnalités clés aux États-Unis.
Si les influences étrangères ne peuvent pas être considérées comme les seules et si elles ne doivent pas être surestimées, elles existent bel et bien de manière directe ou indirecte. Cette série s’intéresse ainsi à la droite conservatrice chrétienne états-unienne – notamment à travers la « Conférence interparlementaire africaine sur les valeurs familiales et la souveraineté », tenue à Entebbe en mars 2023 –, mais aussi à la Russie et la réaction de l’« Occident » – et en particulier des donateurs internationaux – à la loi.
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.