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La lettre hebdomadaire #137

Leçon

L'image présente un maillet de juge, souvent appelé "gavel". Il est en métal noir, avec une partie cylindrique plus épaisse à sa base et un long manche. Le maillet repose sur une surface claire, ce qui crée un contraste marqué. La lumière éclaire l'objet, projetant une ombre sur le côté. Le maillet est couramment associé au monde de la justice et des tribunaux, symbolisant l'autorité et la prise de décision.
© Tingey injury law firm

ÉDITO

DADIS CAMARA CONDAMNÉ, QUELLE LEÇON POUR DOUMBOUYA ?

Le 31 juillet 2024 est désormais une date historique en Guinée, à double titre. Pour la première fois, un ancien chef d’État, Moussa Dadis Camara, a été condamné pour des crimes commis sous son règne. Et pour la première fois, un tribunal guinéen a condamné une personne pour crimes contre l’humanité. L’ancien putschiste, qui avait pris le pouvoir en décembre 2008, a été condamné à vingt ans de prison pour le massacre du 28 septembre 2009 au cours duquel plus de 150 personnes avaient été tuées et 1 400 blessées par les forces de sécurité. Si l’avocat de Moussa Dadis Camara a annoncé qu’il interjetait appel, cette condamnation en première instance, au terme de huit années d’instruction et de vingt-deux mois de procès, constitue une grande victoire pour l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme et du citoyen (OGDH) et l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre (Avipa), qui s’étaient constituées parties civiles. Leurs avocats ont martelé après le verdict, que ce procès devait « servir de leçon ».

Le 28 septembre 2009, la barbarie des forces de défense et de sécurité – et de miliciens recrutés pour l’occasion – s’est déchaînée sur une foule désarmée, prise au piège dans le principal stade de Conakry. « Coupables » de s’opposer à la volonté de Dadis de se présenter aux élections devant marquer la fin de la transition, les manifestants se sont vus punis à coups de feu et d’armes blanches. Une centaine de femme ont été violées sur place, parfois avec des objets, et même réduites en esclavage sexuel pendant plusieurs jours.

On peut comprendre, face à ces horreurs, les sentiments mitigés de certaines victimes, qui jugent les peines trop clémentes – 10 à 20 ans de prison pour sept des huit condamnés (seul Claude Pivi, toujours en cavale après son évasion de prison en novembre 2023, écope de la perpétuité). Les sentiments sont d’autant plus mitigés que des calculs politiciens pourraient pousser la junte dirigée par Mamadi Doumbouya à gracier les coupables, au nom de la « réconciliation nationale » – Dadis restant très populaire dans sa région, la Guinée forestière. De plus, le procès n’aura pas permis d’éclaircir certaines zones d’ombres : toutes les fosses communes n’ont pas été identifiées, empêchant des parents de faire le deuil de leurs proches.

Le gouvernement de transition, mis en place à la suite du putsch du 5 septembre 2021, n’a pas tardé à s’auto-féliciter du bon déroulement du procès, son porte-parole en attribuant les principaux mérites à… Mamadi Doumbouya ! Ce procès serait le fruit de la volonté de ce dernier de « promouvoir l’état de droit en Guinée », a osé déclarer le gouvernement dirigé par Bah Oury, défenseur historique des droits humains en Guinée et qui aurait pu figurer parmi les victimes ce 28 septembre : il était le président du comité d’organisation de la manifestation.

En réalité, l’état de droit en Guinée n’est pas plus respecté sous Doumbouya que sous Dadis. Voilà plusieurs mois que les journalistes sont réduits au silence, que les manifestations sont interdites (ceux qui y contreviennent sont punis de la peine capitale : on dénombre au moins 47 morts sous les balles des forces de l’ordre sous le règne de Doumbouya) et que les organisations de la société civile sont réprimées : le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), qui a joué un rôle majeur dans l’opposition à Alpha Condé, a notamment été dissous, alors que Bah Oury et le porte-parole du gouvernement en étaient membres, il n’y a pas si longtemps.

L’actuel régime n’a ainsi rien à « envier » à la junte de Dadis Il procède même à des disparitions forcées : on est toujours sans nouvelle d’Oumar Sylla (alias « Foniké Menguè ») et de Billo Bah, deux leaders du FNDC, près d’un mois après leur brutale arrestation. Où sont-ils détenus ? Sont-ils toujours en vie ? Pas sûr que Doumbouya ait retenu la « leçon » de l’échec de la junte de 2008-2010, qui s’est conclu par la tentative d’assassaint de Dadis par son aide de camp. Il est vrai qu’entre CNDD (l’acronyme du régime de Dadis) et CNRD (l’acronyme de l’actuel régime), il n’y a, après tout, qu’une lettre d’écart.
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DANS L’ACTU

COÛT DE LA VIE : LE NIGERIA REJOINT LE KENYA DANS LA RUE

L’activiste anti-OGM et homme politique Gbadebo Rhodes-Vivour (Parti travailliste) a résumé la situation au Nigeria en un tweet sans équivoque : « De Borno à Lagos, de Gombe à Ibadan, le cri de la faim résonne et la frustration due à la mauvaise gouvernance est évidente. L’APC [le Congrès des progressistes, le parti du président Bola Tinubu, NDLR] a déçu le peuple et a anéanti ses espoirs. »

Depuis le 1er août, des manifestations sous la bannière #EndBadGovernance (« Stop à la mauvaise gouvernance ») ont lieu dans tout le pays. Prévues depuis plusieurs semaines, elles devraient durer dix jours. Si le nombre de Nigérians descendus dans les rues sur ces deux premières journées n’est pas encore connu, de nombreuses vidéos et photos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des villes fantômes où commerces et bureaux ont fermé par crainte de dégradations, et des milliers de Nigérians scandant des slogans tels que « For an another strike with mass protest now » (« Pour une nouvelle grève avec des manifestations de masse maintenant ») et « We need study grants, not loans » (« Nous avons besoin de bourses d’études, pas de prêts »).

L’impulsion de ce mouvement sans leader identifié est venue d’une jeunesse – y compris des mineurs – excédée par la situation économique du pays, et les autorités craignent des débordements, anticipant une situation comparable aux émeutes d’octobre 2020 contre les violences policières (#EndSARS) qui avaient provoqué plusieurs dizaines de morts.

Cette fois-ci, les manifestants protestent notamment contre l’arrêt des subventions sur l’essence, la hausse du prix de l’électricité, l’augmentation des taxes sur les importations et la hausse des frais de scolarité. Ces mesures ont été prises suite aux pressions des institutions de Bretton Woods, en particulier le Fonds monétaire international (FMI). Opposés à ces mesures, les manifestants proposent que le train de vie de l’État, en particulier le salaire et les indemnités des fonctionnaires, soit revu à la baisse et que, de manière générale, la gouvernance soit plus transparente. Le pays le plus peuplé d’Afrique est aussi l’un des plus corrompus au monde : selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International, le Nigeria est 145e sur 180 pays étudiés…

Ces protestations rejoignent celles qui agitent le Kenya depuis plusieurs semaines à la suite d’une loi de finances qui prévoyait aussi – et toujours sous la pression du FMI – d’augmenter les taxes sur les produits de première nécessité. Très vite, les revendications portées par des jeunes (la « GenZ ») ont visé la gouvernance et la corruption. Bilan : plusieurs dizaines de manifestants tués et un remaniement ministériel qui n’a pas convaincu grand monde.

Au Nigeria, si le président Bola Tinubu a reconnu le droit à « manifester pacifiquement », son entourage a d’ores et déjà disqualifié les protestations en les qualifiants de « politiques », tandis que les forces de l’ordre ont averti qu’elles seraient « proactives » face au « chaos » éventuel à venir.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE

À Mayotte, « les gens n’aiment pas les Africains »
Reportage ⸱ Depuis la destruction du camp de Cavani, à Mamoudzou, de nombreux exilés du continent tentent de survivre sur l’île. Discriminés par les Mahorais et agressés par des voyous, tous rappellent avoir fui des pays où leur vie était menacée et ne comprennent pas les mauvais traitements dont ils sont l’objet.
Par Mathilde Hangard

UN⸱E ARTISTE RACONTE UNE ŒUVRE
Rashid Koraïshi. « Le Jardin d’Afrique est une offrande aux défunts »
Le corps africain dans la mondialisation (3) ⸱ De l’esclavage à nos jours, le corps des Africains a toujours servi les intérêts du capitalisme mondial. Des Marocains vêtus de copies de marques de luxe occidentales aux « migrants économiques » rejetés par la mer ou exploités en Europe, en passant par les déchets industriels déversés par l’Occident et triés à mains nus... Des artistes expliquent leur travail à travers une de leurs œuvres et confient leur rapport à cette mondialisation asymétrique.
Par Victoria Brittain

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