
Dans un fracas assourdissant, une colline entière s’affaisse sur des mineurs qui fuient en débandade. Les secours sont inexistants. Les militaires, jamais très éloignés, n’interviennent pas. Le 15 novembre, la mine artisanale de Kalando, dans la province congolaise du Lualaba, s’est effondrée d’un seul coup. Les images de la catastrophe, envoyées sur les réseaux sociaux, illustrent le véritable visage de cette « révolution numérique » dont la voiture électrique dotée de batteries est devenue le symbole : ces avancées technologiques reposent sur l’exploitation du cobalt, dont la République démocratique du Congo (RD Congo) est l’un des premiers producteurs.
Le bilan officiel est de trente-deux morts, mais de nombreux mineurs n’ont peut-être pas encore été retrouvés. Sur le site, ils étaient quelque 10 000 à creuser, selon la Commission nationale des droits de l’homme. Les autorités ont assuré qu’elles avaient interdit la mine aux « creuseurs » en raison des pluies abondantes. Les circonstances (eau, panique, passerelle effondrée…) sont encore floues.
Mais une chose est sûre, la dangerosité des mines du Katanga, le recours au travail des enfants, la multiplication des mines artisanales dans un pays qui produit 90 % du cobalt mondial sont depuis longtemps dénoncés. La société civile accuse également de corruption les propriétaires des sites. Elle leur reproche de mépriser les règles de sécurité pour faire du profit et de se comporter comme des intouchables, au-dessus des lois.
Tshisekedi d’abord préoccupé par son maintien au pouvoir
Las de ne pas être entendus dans leur pays, des syndicats et des ONG du Katanga ont décidé voici quelques semaines de changer de tactique : venus discrètement en délégation à Bruxelles, ils ont saisi le parquet fédéral belge pour des faits présumés de détournement et de blanchiment de fonds. Leur dénonciation vise le sommet de l’État, dont des membres de la famille du président, Félix Tshisekedi.
Ce dernier, préoccupé par son maintien au pouvoir au-delà de son deuxième mandat (qui prend fin en décembre 2028), se trouve politiquement sous pression. Il se méfie de Joseph Kabila, président de 2001 à 2019 qui vit désormais à l’extérieur du pays et qui a été condamné à mort par contumace, de Moïse Katumbi, l’ancien gouverneur du Katanga (2007-2015) qui dispose encore de nombreux soutiens dans le pays et à l’étranger, ou encore des hommes politiques non originaires du Kasaï. Durcissant sa politique intérieure, le chef de l’État a fait interdire douze partis politiques.
En outre, en dépit des accords de Doha conclus sous la pression des États-Unis, Tshisekedi dénonce l’implication de Kigali dans la guerre en cours dans l’est du pays, où les rebelles du M23 occupent et administrent un vaste territoire qui s’étend depuis la frontière avec l’Ouganda jusqu’au Sud-Kivu. Seul le déploiement de l’armée burundaise (financée à grands frais par Kinshasa) bloque la descente des rebelles vers le Maniema et le riche Katanga. Sur le terrain, les combats se poursuivent malgré l’accord de cessez-le-feu.
Mainmise sur les mines du Lualaba et du Haut-Katanga
Si la situation militaire est difficile, si le climat politique est tendu, Félix Tshisekedi, qui a vécu à Bruxelles de longues années d’exil lorsque son père, Étienne, était le principal opposant à Mobutu, n’avait sans doute jamais imaginé que le coup le plus retentissant pourrait venir d’un pays qu’il considère comme sa deuxième patrie, où il se rend souvent pour soins médicaux et où il est régulièrement reçu par le roi Philippe.
À Bruxelles, où ses enfants étudient encore et habitent dans une demeure somptueuse, voisine de l’ancienne résidence du président Mobutu, le parquet a décidé d’étudier « en toute indépendance », dixit le parquet, les nombreux documents déposés par les Katangais. Un dossier d’information pénale a été ouvert.
L’enquête est pilotée par la cheffe du parquet fédéral, Ann Fransen, spécialiste de la criminalité organisée. Elle s’est rendue début novembre à Kinshasa où elle a rencontré le ministre congolais de la justice, Guillaume Ngefa Atondoko. D’après les informations recueillies par Africa Intelligence, cette visite était prévue de longue date et devait « poser les bases d’une coopération judiciaire dans les affaires pénales », sans concerner un dossier en particulier. Les investigations de la magistrate s’appuient sur les services de la Direction centrale de la lutte contre la criminalité, un service rattaché à la police fédérale belge.
Les noms de proches du chef de l’État sont cités dans le dossier qu’Afrique XXI a pu consulter : son épouse, Denise Nyakeru, trois frères du président (Christian, Jacques et Jean-Claude) ainsi que deux de ses enfants, Fanny et Anthony. Si le président possède la nationalité congolaise et jouit de l’immunité découlant de sa fonction, ses proches disposent, eux, de passeports belges.
À ce stade, le dossier n’a pas encore été confié à un juge d’instruction et il reste à un stade préliminaire. Les avocats des plaignants se disent soucieux de la sécurité de leurs clients et ils soulignent que l’enquête représentera un travail de longue haleine, rendu difficile par le recours à des prête-noms masquant les véritables commanditaires.
Cette démarche menée par la justice belge et visant le sommet de l’État fait grand bruit à Kinshasa : la plainte décrit in extenso la mainmise de la famille présidentielle sur des sites d’exploitation minière artisanale dans les provinces du Lualaba et du Haut-Katanga.
« Sous la protection d’éléments des forces armées »
Alors que des sociétés multinationales, occidentales ou chinoises opèrent sur les principaux sites miniers du Katanga, les documents démontrent que les remblais et les zones périphériques des exploitations font l’objet de toutes les convoitises : depuis toujours, les « creuseurs » individuels s’y faufilent, ils défient la police des mines et proposent leur « butin » à des comptoirs d’achat tenus par des intermédiaires souvent d’origine asiatique. Ces derniers, installés dans des baraquements de fortune, sont régulièrement accusés de sous-estimer la valeur des marchandises proposées en ayant recours à des balances truquées.
Cette fois, cependant, il ne s’agit plus d’un « trafic de fourmis » : le rapport des ONG et des syndicalistes souligne que « les remblais miniers et autres zones périphériques sont envahis par des sujets libanais et chinois qui opèrent sous la protection d’éléments des forces armées et autres services de l’État ». Le document précise aussi que « le directeur général adjoint de la Gécamines [la société d’État, principal partenaire minier du Katanga] livre toutes les informations relatives aux teneurs et quantités de minerais situés dans les remblais et périmètres de l’entreprise. Ces données permettent à des privés, associés à des membres de la famille présidentielle, de mettre la main sur ces gisements ».
Les plaignants affirment aussi que cet envahissement des sites miniers, qui échappent aux taxes et aux contrôles des services de l’État, est toléré par la gouverneure de la province du Lualaba, Fifi Masuka Saini, elle-même à la tête d’une coopérative minière et alliée politique du chef de l’État, dont elle défend la « vision ».
Des « creuseurs » venus du Kasaï
Les documents transmis à Bruxelles soulignent la responsabilité d’expatriés chinois, libanais, indiens dans la fraude minière, la corruption des fonctionnaires de l’État jusqu’au plus haut niveau, la complicité d’éléments de l’armée, de la garde républicaine, de l’Agence nationale de renseignements (ANR), le blanchiment de sommes colossales réalisé par une banque de la place. Ils expliquent avec force détails comment les remblais qui s’étendent autour des sites miniers proprement dits sont devenus la propriété de sociétés dans lesquelles on retrouve les noms de frères du chef de l’État, de sa mère, de son épouse, de son frère, de son cousin…
Même si la teneur des remblais est moindre que celle des mines proprement dites, les quantités sont colossales : par exemple, le contrat passé entre la Société de développement industriel et minier du Congo (Sodimico) et la société MY2K Mining SARL, prévoit que cette dernière se chargera d’évacuer vers la Zambie les remblais de la mine de Lonshi, soit plus ou moins 6 millions de tonnes.
Selon les accusateurs, le propriétaire de MY2K Mining SARL s’appelle Kali Kalala Tshisekedi. Selon les informations disponibles, il serait un demi-frère du chef de l’État. On le considère aussi comme un « cousin à l’africaine » de la famille présidentielle.
Les principaux accusés ont déjà fait savoir qu’ils réfutaient fermement les assertions formulées à leur égard et ils assurent que leur nom de famille est usurpé depuis plusieurs années par des opérateurs désireux de s’implanter dans le secteur minier.
Il y a longtemps que les ressortissants du Katanga se plaignent de l’envahissement de la province du cuivre, poumon économique du pays, par des « creuseurs » venus du Kasaï, la province du président Tshisekedi. Déjà, lors du mandat de Joseph Kabila, ils dénonçaient la corruption des services de contrôle, le non-respect des normes de sécurité, les protections dont les fraudeurs, petits et grands, bénéficiaient en haut lieu, ou encore la pollution croissante autour des sites. Depuis trop longtemps, c’est en vain qu’ils demandent la dépolitisation du secteur minier et de la sous-traitance. Cette fois, la justice d’un pays étranger s’intéresse sérieusement à leurs griefs.
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