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Les grands entretiens

Minoo Kyaa. « Il faut se battre pour nous-mêmes »

Militante de terrain dans un quartier défavorisé de Nairobi, au Kenya, Minoo Kyaa se bat au quotidien contre les ravages de la pauvreté, du patriarcat et des décasages imposés par les autorités. Elle ne mâche pas ses mots à l’endroit des pouvoirs publics, mais aussi des ONG, qui ne s’attaquent pas aux vrais problèmes selon elle.

L'image présente une scène de la vie quotidienne dans un environnement urbain. Au premier plan, on aperçoit des barres d'une grille verte, qui encadrent la vue. À l'intérieur, deux enfants jouent près d'un chemin. L'un porte une chemise bleue et tient un objet au-dessus de sa tête, semblant s'amuser. L'autre enfant, aux vêtements rouges, observe ou se prépare à rejoindre le jeu. En arrière-plan, il y a des maisons simples, des poteaux électriques et une ambiance vibrante, typique d'un quartier animé. On sent une atmosphère de camaraderie et d'énergie enfantine. Le terrain est boueux et légèrement en pente.
Dans un bidonville de Nairobi en 2019.
© Bennett Tobias / Unsplash

Nairobi, la capitale du Kenya, compte 4,3 millions d’habitants, dont au moins la moitié vivrait dans des quartiers dits informels. Face à un État à la fois absent et violent, et à l’action d’ONG très présentes mais peu efficaces, des « centres de justice sociale » (« Social Justice Centres ») ont émergé depuis une dizaine d’années dans plusieurs de ces « ghettos ». Leurs animateurs et animatrices pointent du doigt les problèmes structurels auxquels sont confrontés les résidentes des bidonvilles depuis des générations, et revendiquent de définir eux-mêmes les termes et les moyens de leur lutte, tout en s’alliant avec des acteurs extérieurs.

Minoo Kyaa, jeune femme de 28 ans, bénévole au sein du Mukuru Community Justice Centre, du nom de son quartier, situé dans le sud-est de Nairobi, raconte ici ce qui l’a amenée à s’investir dans ce mouvement, la vie quotidienne d’une activiste confrontée à la violence de l’État mais aussi à celle de la pauvreté. Elle détaille notamment les déguerpissements dont Mukuru est victime depuis octobre 2021 et qui auraient laissé 40 000 personnes sans logement. Les évictions sont de plus en plus nombreuses dans une capitale qui se veut être, selon les slogans publicitaires et gouvernementaux, une « world-class city », une capitale internationale et moderne. L’importance et la cherté du foncier expliquent aussi ces déguerpissements, qui sont anciens et affectent régulièrement tous les bidonvilles de la capitale.

Ces inégalités flagrantes, Minoo Kyaa les vit au quotidien, et cherche à les comprendre au travers de textes qu’elle étudie avec ses « camarades » lors de séances d’éducation politique. Elle revient ici sur les lectures qui l’inspirent et qui donnent un sens à sa démarche d’émancipation sociale et intellectuelle. Elle rappelle aussi que la Constitution kényane, adoptée en 2010, est particulièrement progressiste. Son article 43 garantit les droits économiques et sociaux des Kényans, et devrait être, selon elle, une base solide pour la défense des droits des résidentes des bidonvilles.

Enfin, elle porte une critique radicale contre les ONG, qui ne s’attaquent pas aux problèmes structurels de la pauvreté et des inégalités, et qui sapent la dignité des plus pauvres au travers des mécanismes de l’aide. Le Réseau des intellectuels organiques, auquel elle appartient, a récemment publié un recueil de textes sur ce sujet. Elle reconnaît cependant qu’il est possible de s’en faire des alliées, dans certaines circonstances, et dans les termes choisis par les premiers concernés.

L’entretien avec Minoo Kyaa devait avoir lieu à Dandora, un quartier très populaire de Nairobi, dans les locaux du théâtre ambulant des centres de justice sociale, que Minoo coordonne. Mais elle ne s’est pas présentée ce jour-là : elle a été arrêtée la veille, avec six autres compagnons du théâtre. Poursuivies pour « refus d’obtempérer », ils et elles ont passé deux nuits au commissariat central, qu’ils et elles ont déjà fréquenté suite à des manifestations. Nous nous retrouvons finalement une semaine plus tard, fin janvier 2024, dans les locaux de la Ukombozi Library (« la bibliothèque de la libération », en swahili), qui accueille des groupes de militants, dans le centre-ville.

« La police abuse de son pouvoir, tout le temps »

Marie-Emmanuelle Pommerolle : Est-ce que tu pourrais te présenter, pour commencer ?

Minoo Kyaa
Minoo Kyaa
DR

Minoo Kyaa : Je m’appelle Minoo Kyaa, je suis née et j’ai grandi à Mukuru kwa Jenga. Je suis une « community organizer » bénévole, au sein du Mukuru Community Justice Center. Je suis aussi une artiste et je travaille avec le théâtre ambulant des centres de justice sociale, qui documentent nos combats et sensibilisent les gens à ce que sont l’art et le théâtre. On peint sur les murs et on utilise le théâtre de rue pour parler des problèmes quotidiens des gens. Je suis aussi autrice et poétesse. J’ai publié avec la Ukombozi Library, et sur le site Africa Is a Country, dans une série intitulée « Le capitalisme dans ma ville ».

Marie-Emmanuelle Pommerolle : Quels sont les problèmes principaux que vous soulevez au sein du Mukuru Community Justice Center ?

Minoo Kyaa : J’ai rejoint le centre en 2018, quand un groupe de travail cherchait à fédérer les centres de justice sociale des différents quartiers. Et la raison pour laquelle j’ai rejoint ce mouvement, ce sont toutes les injustices qui persistent dans ma communauté. D’abord, Mukuru est un bidonville : il n’y a pas de logement correct, il y a des problèmes d’hygiène, des violences liées au genre, et quand j’ai rejoint le mouvement, l’un des problèmes majeurs était les violences policières. La police est brutale avec les jeunes, elle abuse de son pouvoir, tout le temps. Quand j’ai rejoint le groupe, on a documenté les abus, mais on s’est aussi organisés pour y répondre, et pour porter plainte devant les tribunaux. On a collaboré avec l’International Justice Mission et la Defenders Coalition. Elles font partie des organisations qui travaillent dans les quartiers de Nairobi pour nous fournir une assistance juridique.

Il y a aussi beaucoup de cas de violences sexuelles et de violences liées au genre. Grâce aux formations, on a réussi à réduire le nombre de cas et à sensibiliser les gens. Quand des jeunes filles sont violées, elles ne savent pas à qui parler. Donc on a organisé des dialogues, on a même parlé au chef du commissariat du quartier. On travaillait bien, de plus en plus de gens rejoignaient le centre, on était même heureux de voir que les abus diminuaient.

Mais le 10 octobre 2021, les déguerpissements ont commencé à Mukuru. On n’a pas été avertis, on ne nous avait rien dit. C’était en plus un jour férié, donc les gens ne pensaient vraiment pas qu’il pouvait se passer quelque chose ce jour-là. Il y a eu des manifestations, le premier jour, le deuxième jour, mais il y avait beaucoup de policiers. Puis ils sont arrivés avec leurs grandes pelles, et les canons à eau, ceux qui diffusent un liquide qui fait mal aux yeux. Une petite fille a été envoyée à l’hôpital à cause de cela. Les gens essayaient de se battre et de sauver leurs affaires.

« C’est comme s’ils avaient effacé toute mon histoire »

On nous a dit que c’était pour construire une bretelle conduisant à l’Express Way [une autoroute payante qui va de l’aéroport au centre-ville, NDLR], mais ils ont détruit un espace très vaste pour cela. Et les locaux du Mukuru Community Justice Centre ont été détruits ce jour-là. Ils ont tout démoli : on avait nos papiers là-bas, les cas qu’on avait documentés. Un mois plus tard, le 10 novembre, ils sont revenus en disant qu’ils avaient besoin de place pour construire une autre route, qui passera dans Mukuru et se connectera à l’Express Way. Ils se justifient en disant que ces routes permettront aux pompiers de passer et d’éteindre les incendies, nombreux, qui ont lieu dans le bidonville. Mais les gens ont montré de la résistance parce qu’ils voyaient bien qu’on ne leur proposait rien en contrepartie.

On est huit, parmi mes camarades, à avoir subi ces déguerpissements. Moi, je suis née à Mukuru, j’ai grandi ici, je suis allée à l’école ici, toute ma vie sociale est ici. Donc c’est comme s’ils avaient effacé toute mon histoire. Même l’hôpital dans lequel je suis née a été démoli. Et il n’y a qu’une seule école publique à Mukuru, la majorité des établissements sont des petites écoles privées, qui ont toutes été détruites. Imaginez le nombre d’enfants qui ont été privés d’école depuis... Les gens vivent dans des tentes, pour beaucoup. Moi, par exemple, je vivais avec mes parents et mon cousin. Mes parents avaient construit leur propre maison, on avait chacun une pièce, et il y avait une pièce commune. Mais on n’a pas les moyens de louer un 3-4 pièces, chacun doit vivre dans une petite pièce désormais. Et le petit commerce qu’on avait a été démoli. Donc, on n’a plus de revenus.

Marie-Emmanuelle Pommerolle : Comment se fait-il que personne n’ait été prévenu, qu’il n’y ait eu aucune compensation ? Cela a été le cas lors d’autres évictions, par exemple à Kibera ?

Minoo Kyaa : À Mukuru, ce sont des intérêts privés : le foncier appartenait d’abord à la National Bank of Kenya, puis a été vendu à Orbit Chemical, une entreprise qui appartient à la famille Chandaria, l’une des plus riches du pays1. De ce que l’on sait, l’entreprise n’a pas réussi à développer ces terrains, et est en procès contre l’État depuis des années. Entre-temps, les gens se sont installés, avec l’accord du gouvernement.

Ma mère, par exemple, me raconte qu’on lui a dit de venir s’installer là où mes parents ont construit par la suite. Le Nairobi Metropolitan Services [NMS - les services communaux, NDLR] est venu nous voir, nous a dit qu’il n’y était pour rien. Mais c’est faux : qui a dit aux forces de l’ordre de venir encadrer les déguerpissements ? À qui appartiennent les pelleteuses ? Au NMS, on le sait. Le gouvernement est au courant. En 2015, Uhuru Kenyatta, alors président de la République, avait dit aux résidents de Mukuru qu’il leur donnerait cette terre. Les gens y ont cru. Mais lors des audiences au tribunal, après qu’on a porté plainte contre ces déguerpissements, on nous dit que le président n’avait pas le droit de nous donner cette terre2.

On se bat contre des gens puissants, qui ont de l’argent et de gros intérêts. De leur côté, les habitants n’ont pas d’argent pour reconstruire. Notre famille, par exemple, avait bâti une belle maison, comme celle que les gens construisent dans leur village. On n’a aucune épargne pour reconstruire et on ne gagne pas grand-chose. Mon père était chauffeur, ma mère reste à la maison, mon cousin travaille dans l’une de ces entreprises de la zone industrielle, qui paie 500 shillings kényans [3,27 euros] la journée. Et moi, je suis une activiste. On ne gagne rien.

« La plupart des ONG ne parlent pas des problèmes structurels »

Marie-Emmanuelle Pommerolle : En plus de ces évictions, quels sont les autres problèmes rencontrés à Mukuru et qui t’ont poussée à t’engager ?

Minoo Kyaa : Je t’ai dit que j’étais née ici. Je suis allée au lycée, en internat, et je suis revenue pour aller à l’université, où j’ai fait des études de finance et de comptabilité. Je n’ai pas terminé, parce que je manquais souvent d’argent pour le transport. Mais j’ai eu un diplôme, et je pensais qu’il serait facile de trouver un emploi, d’autant que j’habite juste à côté de la zone industrielle. Mais je n’ai pas tout de suite compris comment marchait le système. Il y a plein de corruption pour décrocher un emploi, et si tu es une femme, il faut se laisser harceler sexuellement. C’est la même chose dans le milieu artistique. Il y a sûrement des gens qui trouvent un emploi normalement, mais 90 % des emplois sont distribués comme cela.

Donc j’étais là, je restais oisive à la maison. Je fréquentais une de ces ONG, qui te donne 500 ksh pour venir parler de tes problèmes. Et puis, un jour, le groupe de travail des centres de justice sociale est venu, et eux ils m’ont vraiment intéressée, parce qu’ils disaient qu’il fallait qu’on se batte pour nous-mêmes. J’ai un problème avec les ONG, avec qui on partage nos problèmes sans que rien ne change jamais. Cela reste dans leurs rapports. Donc j’étais ravie de cette idée qu’il faut se battre pour nous-mêmes. La deuxième fois que j’y suis allée, il y avait un monsieur philippin, qui parlait des ONG dans son pays, et de la façon dont ils ont réussi à les chasser parce qu’elles n’apportaient aucun changement.

La plupart des ONG ne parlent pas des problèmes structurels. Elles ne parlent pas de chômage par exemple. Or, la plupart des jeunes qui commettent des crimes sont sans emploi. Je ne soutiens pas la criminalité en disant cela, mais c’est la vérité. Même les violences sexuelles sont liées à cela : il y a eu une croissance extrême des violences sexuelles et sexistes après les déguerpissements, parce que les hommes ont tout mis sur le dos des femmes. Mais ce sont des problèmes qui ne sont pas pris en compte par ces ONG. Or, au Kenya, on peut lutter contre ces fléaux. L’article 43 de la Constitution confère des droits sociaux : le droit au logement, à l’eau, à la santé, à l’éducation, et même le droit à l’emploi. Les ONG devraient pousser pour que cet article soit mis en œuvre. Cet article, c’est nos vies, c’est ce dont nous avons besoin pour retrouver notre dignité. Nous n’avons pas besoin que les ONG viennent pour nous aider.

Nous avons produit un podcast qui s’appelle « Où est la dignité dans votre aide ? » Parce que ces ONG financent les frais de scolarité d’un enfant, mais que font-elles des autres ? Combien d’enfants n’ont pas accès à l’éducation à Mukuru ? Pourquoi ne plaidons-nous pas pour une éducation gratuite ?

Et puis, j’ai commencé à remettre en cause ce que l’on nous dit depuis qu’on est enfants : qu’être pauvre, c’est ton problème, que venir d’un bidonville, c’est ton problème. Mais maintenant j’ai compris qu’il fallait voir cela comme un problème systémique. C’est ce qui me permet de dire aux membres de ma communauté qu’on ne mérite pas cela. Qu’on mérite mieux. Et c’est le seul moyen pour qu’on change les choses. Tu sais, dans les bidonvilles, il y a beaucoup d’Églises. Les ONG et les Églises vous donnent de l’espoir tous les jours. Vous restez confiants, et pourtant rien ne se passe.

« Le patriarcat, c’est ce qui détruit nos communautés »

Marie-Emmanuelle Pommerolle : Comment as-tu pris conscience de tout cela ? Au sein du Mukuru Community Justice Centre ?

Minoo Kyaa : Oui, le premier livre qu’on m’a donné à lire, c’était Kenya : A Prison Notebook (BookSurge Publishing, 2009), de Maina wa Kinyatti. Je ne l’ai pas lâché avant de l’avoir terminé : il parle de l’histoire des combats politiques au Kenya, des raisons pour lesquelles il y a de la pauvreté, et des arrestations. Comme j’ai été souvent arrêtée, juste parce que j’habite dans un bidonville, ça m’a parlé. Nous organisons des séminaires, comme sur la crise du néolibéralisme, nous prenons le temps de réfléchir autour d’un texte. Et chacun peut s’exprimer. Bien sûr, certains sont plus expérimentés que d’autres, mais nous échangeons, avec les membres des centres de justice sociale, mais aussi avec d’autres militants, car il y a une tradition au Kenya de militants socialistes et communistes qui font de l’éducation politique.

Marie-Emmanuelle Pommerolle : Quels sont les militantes, les auteurs et autrices qui t’ont le plus inspirée ?

Minoo Kyaa : J’apprécie les auteurs et autrices féministes, celles et ceux qui expliquent et parlent du patriarcat et des luttes des femmes. Parce qu’on vit vraiment dans des sociétés patriarcales. Vraiment je hais le patriarcat, c’est ce qui détruit nos communautés. J’ai lu Abdullah Öcalan [fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan, PKK, NDLR], qui a écrit à propos des femmes kurdes : il dit que le patriarcat est plus vieux que le capitalisme. Donc il va vraiment falloir se battre à ce propos ! Tu sais qu’il a été arrêté au Kenya en 1998 et renvoyé en Turquie ? Le Kenya est vraiment décevant parfois…

J’apprécie aussi les écrits de [Thomas] Sankara, qui a travaillé sur le rôle des femmes dans la lutte de libération. J’ai lu aussi certains discours d’Assata Shakur, militante au sein du Black Panthers Party. J’admire Wangari Maathai [militante kényane pour l’environnement et Prix Nobel de la paix 2004, NDLR] bien sûr, et Muthoni Kirima, une combattante Mau-Mau, que j’ai eu la chance de rencontrer avant son décès, en 2023. Et puis, une autre femme qui m’a beaucoup inspirée, c’est Winnie Madikizela. Je ne l’appelle pas Winnie Mandela, car c’est elle la vraie combattante, c’est elle qui s’est retrouvée seule pendant que son mari était en prison et qui a continué à se battre. Et quand il est sorti, il l’a répudiée. C’est comme cela qu’on met les femmes de côté, en jugeant leur « moralité ».

Et puis, il y a les auteurs et autrices de la région. J’aime particulièrement les pièces de théâtre de Ngũgĩ wa Thiong’o et les poèmes de Stella Nyanzi, l’autrice ougandaise. Lorsqu’elle est venue présenter son recueil au National Theatre de Nairobi, j’y suis allée, et j’avais écrit un poème intitulé « Human Rights Pornography », qui dénonçait le patriarcat au sein même du mouvement, les trahisons, les clans.

« Faire en sorte que les solutions viennent des gens »

Marie-Emmanuelle Pommerolle : Et quelles sont tes envies et tes plans pour le futur ?

Minoo Kyaa : C’est difficile de faire des plans. Les circonstances n’aident pas à penser au futur. J’ai plutôt des plans à court terme. Mais si j’y réfléchis, j’aimerais continuer à faire ce que j’aime. Parmi les activités que nous avons initiées, j’apprécie particulièrement le théâtre de rue, inspiré du théâtre des « opprimés ». On l’appelle aussi le théâtre invisible : on joue des scènes, dans la rue, sans que les gens sachent qu’on est comédiens. Les gens interviennent, et on commence à parler des solutions possibles. Nous cherchons ensemble, c’est comme cela qu’on peut faire en sorte que les solutions viennent des gens, et non pas de l’extérieur. On discute avec les gens, avant, pour savoir quels sont les problèmes spécifiques du quartier : l’assainissement, les violences sexuelles, etc. On ne fait pas comme les ONG, qui arrivent en imposant leurs problèmes, et leurs solutions, alors même qu’elles ne connaissent pas les lieux.

Ce théâtre de rue, c’est ce qui marche le mieux, mais cela coûte un peu d’argent : on se produit parfois pour des grosses ONG ou les Nations unies, et c’est comme cela qu’on gagne un peu d’argent pour nous produire dans la rue, parce que ça, personne ne le finance. C’est dommage, on aimerait que ce soit l’inverse.

Et puis, ce que je veux continuer à faire, aussi, c’est parler aux jeunes, dans leurs « bazes », ces endroits où ils passent leurs journées, souvent à mâcher du khat. On a créé les « baze to baze conversations », où on fait de l’éducation politique. On discute de certains sujets concrets. Par exemple, pourquoi il n’y a pas d’eau courante à Mukuru ? Pourquoi est-ce que les cartels contrôlent l’eau3 ? Qui les laisse faire ? Et puis, on écoute ensemble du reggae, très populaire dans les quartiers. On discute des paroles, de ce que veut dire une phrase comme : « Emancipate yourself from mental slavery » Affranchis toi de l’esclavage mental »).

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1Manu Chandaria, Kényan d’origine indienne, est à la tête de Comcraft, une entreprise de production d’acier, d’aluminium et de plastique qui emploie 40 000 personnes dans une quarantaine de pays. Ses descendants dirigent les nombreuses filiales de cet empire industriel et commercial, dont Orbit Chemical.

2Un jugement rendu en août 2023 par la Cour des affaires foncières et environnementales a débouté six résidents de Mukuru qui revendiquaient un droit de propriété. Cette décision ouvre la voie à de nouveaux déguerpissements.

3Sur la gestion mafieuse de l’eau dans les bidonvilles, voir l’article de Minoo Kyaa et Maryanne Kasina :«  Water is life  », Africasacountry.