Mali. La junte, l’édito et la censure

La junte au pouvoir à Bamako multiplie les mesures liberticides depuis un an. Dernier épisode en date, la chaîne de télévision Joliba TV News a été suspendue pour avoir diffusé le 30 septembre une analyse critique, quoique mesurée, à l’égard du régime. En guise de soutien, Afrique XXI publie la version écrite de l’éditorial censuré.

L'image montre un homme debout derrière un pupitre lors d'un discours. Il porte un costume traditionnel, probablement en blanc, avec un embellissement distinctif. Son teint est sombre et il a une expression sérieuse, indiquant qu'il est en train de s'adresser à un public. Le fond de l'image est constitué de panneaux de marbre vert, ce qui crée un contraste avec sa tenue. Le pupitre est orné du symbole des Nations Unies, représentant la mission internationale de paix et de coopération.
Le Premier ministre par intérim, Abdoulaye Maïga, lors de son discours devant l’Assemblée générale des Nations unies le 24 septembre 2022.
© ONU/Cia Pak

Le 2 novembre 2022, la Haute Autorité de la communication (HAC) a suspendu pour deux mois la chaîne de télévision Joliba TV News, lancée en juin 2020 et basée à Bamako. Depuis lors, son site Internet est « en maintenance ». Seule la radio du groupe est autorisée à poursuivre ses programmes. Cette décision de l’instance chargée de réguler le secteur de la communication au Mali illustre la dérive autoritaire de la junte au pouvoir dirigée par le colonel Assimi Goïta depuis le double coup d’État d’août 2020 et de mai 2021. Car la HAC, qui a vu le jour en 2015, n’est pas une entité indépendante : elle est directement rattachée à la primature.

En cause : un éditorial critique – mais loin d’être incendiaire - signé Mohamed Attaher Halidou, le directeur de l’information de la chaîne, diffusé le 30 septembre après le retour au pays du Premier ministre par intérim de la Transition, le colonel Abdoulaye Maïga. Ce dernier revenait de New York, où il s’était lancé, à l’occasion de l’Assemblée générale des Nations unies, dans une attaque en règle contre la France, la Minusma ou encore les chefs d’État ivoirien Alassane Ouattara et nigérien Mohamed Bazoum1. Ce « discours contient beaucoup de vérités mais nous devons avoir le courage de dire qu’il a manqué d’élégance républicaine par endroits », avait soutenu Mohamed Attaher Halidou à l’antenne. Un crime de lèse-majesté ! Dans sa mise en demeure envoyée le 12 octobre à Joliba TV News, la HAC dénonçait des « propos diffamatoires et des accusations infondées concernant [la HAC], l’état de la liberté d’expression au Mali et les autorités de la Transition ».

Cette censure a suscité de nombreuses réactions. L’Union des journalistes reporters du Mali l’a condamnée et a exprimé sa « vive préoccupation du respect de la liberté d’expression en cette période de Transition ». Le Groupe patronal de la presse écrite a fait part de sa « stupeur » et a dénoncé « la vacuité criante des arguments sur lesquels repose » la décision de la HAC. « C’est ni plus ni moins qu’une tentative de museler les journalistes et de faire taire toute critique », estime un journaliste malien qui a souhaité rester anonyme – une prudence désormais généralisée dans un pays jadis réputé pour sa grande liberté d’expression. « C’est une étape supplémentaire vers la dérive dictatoriale de ce régime », estime pour sa part un militant des droits humains qui a lui aussi requis l’anonymat.

Mohamed Attaher Halidou est le directeur de l'information de Joliba TV News.
Mohamed Attaher Halidou est le directeur de l’information de Joliba TV News.
© DR

Les atteintes à la liberté d’expression, et plus largement les mesures liberticides, se sont multipliées ces derniers mois. Plusieurs opposants et même des chercheurs ont été arrêtés et emprisonnés pour de simples déclarations2. France 24 et RFI ont été suspendues en avril 2022, au motif, selon la HAC, que les deux médias français avaient porté « atteinte à la défense et à la sécurité » et «  [mis] en péril la concorde et l’unité nationale » après avoir rapporté des cas d’exactions des Forces armées maliennes. De nombreux chercheurs, des activistes et des journalistes ont reçu des menaces après avoir critiqué les autorités. Et, plus récemment, le journaliste Malick Konaté a été harcelé sur les réseaux sociaux par les partisans de la junte pour avoir simplement contribué à la réalisation d’une enquête de BFMTV sur les activités de la société de sécurité privée russe Wagner. Après la diffusion de ce documentaire le 31 octobre 2022, le Collectif pour la défense des militaires (CDM), une association proche de la junte, a réclamé l’ouverture d’une enquête contre le journaliste, qualifiant sa participation à ce « film diffamatoire » d’« acte de haute trahison ».

La pression est telle que, le 5 novembre, la chaîne française a publié une mise au point dans laquelle elle rappelle que le rôle du journaliste malien fut mineur. « Malick Konaté a simplement tourné une interview avec les membres de l’association Yerewolo [NDLR : association qui soutient la junte] avec l’accord de son président Adama Ben Diarra dit Ben Le Cerveau », indique BFM« Le climat est délétère. Il nous est devenu impossible de travailler correctement », constate un journaliste. Plusieurs de ses confrères se cachent. Et il en est de même pour les militants des droits humains.

En guise de soutien à Joliba TV News (avec l’accord de sa direction), et pour démontrer l’intolérance à toute forme de critique des autorités de la transition, Afrique XXI publie ci-dessous une version écrite de l’éditorial de Mohamed Attaher Halidou qui a valu à la chaîne sa suspension. Chacun pourra ainsi se rendre compte de l’état de la liberté d’expression dans le Mali d’Assimi Goïta.

Accueil triomphal à Bamako pour le Premier ministre par intérim, le Colonel Abdoulaye Maiga

Le Premier ministre par intérim 3, le Colonel Abdoulaye Maiga est accueilli à Bamako en héros, après son discours à la tribune des Nations-Unies [le 24 septembre 2022]. Une foule en délire, une liesse populaire : c’est la déferlante. En quelques heures, le Colonel Abdoulaye Maiga était incontournable. Il est porté en triomphe, il est même président pendant quelques heures, il est applaudi par tout un peuple, la foule scande son nom, c’est la star du jour. Qui l’aurait cru ? Qui a une fois parié sur l’homme ? Le destin est là et bien là. Un clin d’œil de la providence ? Qui pour cerner dans le feu de l’action, les pensées du Colonel Maiga ? En ce moment précis, c’est Abdoulaye Maiga face à Abdoulaye Maiga.

En prenant la parole à New York, le Colonel Abdoulaye Maiga tient un discours musclé, une véritable offensive, une gifle, une frappe chirurgicale. Il tire, il tacle, il riposte. Il est visiblement en colère.

Le Colonel Maiga a suffisamment de munitions. Ses cibles ont pour noms : la France qu’il qualifie « de junte au service de l’obscurantisme », le président du Niger Mohamed Bazoum, qui selon lui, n’est pas nigérien. Alassane Ouattara et la question du troisième mandat - « l’art de se dribbler en gardant le ballon » soutient le Colonel Maiga. La formule fait mouche. Même le Secrétaire général des Nations Unies n’est pas épargné, il a eu sa dose. Il lui reproche son parti-pris dans le dossier des 46 militaires ivoiriens, dossier qui oppose Bamako à Abidjan4.

Le discours du Colonel Maiga, disons-le clairement contient beaucoup de vérités, mais nous devons avoir le courage de dire qu’il a manqué d’élégance républicaine par endroits, notamment sur la nationalité du président Mohamed Bazoum. C’était hors contexte et sans valeur ajoutée pour notre pays, qui, depuis la nuit des temps, a prôné pour la réalisation de l’unité africaine. Il a lui-même dit « qu’on ne répond pas aux injures par des injures ». Sur ce registre, le discours a manqué de hauteur. Son prédécesseur, Choguel Maiga, a[vait] parlé « d’abandon en plein vol » [en 2021] en référence au désengagement de la France au Mali, une métaphore qui en dit long sur les relations difficiles entre Paris et Bamako.

L’écrivain malien et traditionaliste, feu Massa Makan Diabaté, nous rappelle à juste titre : « Sourire à son ennemi ne met pas fin au combat. Se divertir avec son ennemi ne met pas fin aux hostilités ».

Oui, on ne gouverne pas un pays avec les humeurs du peuple ou de la foule. Moussa Mara, l’ancien Premier ministre sous le magistère du président parle « de ton belliqueux du discours ». Il est lynché sur la toile pour avoir dit son point de vue. L’intolérance prend de l’ampleur dans notre pays, la liberté d’expression est en danger, la démocratie avec ; nous sommes dans la dictature de la pensée unique.

Dans un pays, quand tout le monde dit la même chose, pense la même chose, quand on refuse le débat contradictoire, arguments contre arguments, c’est le signe d’un malaise et c’est « bonjour les dégâts ». Aujourd’hui, il y a beaucoup de dérives sur les réseaux sociaux et c’est là que la Haute Autorité de la communication (HAC) doit jouer son rôle et tout son rôle, elle doit prendre ses responsabilités pour arrêter le désordre, car il y a un moment où le silence est trahison.

Le pays va mal, ayons le courage de le dire. « Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde », pour parler comme Albert Camus.

Forte mobilisation pour le Premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maiga, qui selon des sources bien informées est sur le pont d’être confirmé Premier ministre par le Président de la transition, le Colonel Assimi Goita. En attendant, les colonels au pouvoir gouvernent avec l’opinion de la foule et la foule par définition ne réfléchit pas. Attention au naufrage.

Mohamed Attaher Halidou

1Le verbatim de ce discours particulièrement virulent est accessible ici.

2Kaou Ndjim, une figure de la contestation contre Ibrahim Boubacar Keïta, a été incarcéré en octobre 2021, puis condamné à six mois de prison avec sursis, pour «  atteinte au crédit de l’État et injures commises via les réseaux sociaux  » : il avait osé critiquer le Premier ministre d’alors, Choguel Kokalla Maïga. Oumar Mariko, opposant historique, a fait un mois de prison en décembre 2021 pour avoir tenu des «  propos injurieux  » à l’égard du Premier ministre : il l’avait qualifié de «  menteur  » dans une conversation privée qui avait fuité sur les réseaux sociaux. Depuis quelques mois, recherché pour avoir dénoncé les crimes de l’armée malienne, il est en fuite. L’économiste Étienne Fakaba Sissoko a été placé en détention préventive le 16 janvier 2022 pour des «  propos tendant à la stigmatisation ou à la discrimination régionaliste, ethnique ou religieuse  », puis inculpé pour une tout autre raison («  faux et usage de faux diplômes  »), avant d’être libéré le 10 juin.

3NDLR : Abdoulaye Maïga a été nommé Premier ministre par intérim le 21 août 2022 après que le Premier ministre, Choguel Kokalla Maïga, a été hospitalisé. Colonel de gendarmerie, il était auparavant ministre de l’Administration territoriale et porte-parole du gouvernement de Transition.

4NDLR : Depuis le 10 juillet 2022, 46 soldats ivoiriens sont détenus à Bamako. Ils ont été arrêtés à leur arrivée sur le territoire malien, alors qu’ils étaient missionnés pour sécuriser le contingent allemand de la Minusma. Le pouvoir malien les accuse d’être des mercenaires.