Les Libanais de RD Congo prient pour leurs compatriotes… en silence

Malgré un cessez-le-feu, Israël poursuit son offensive armée au Liban. Les membres de la diaspora installés en République démocratique du Congo affichent discrètement leur solidarité. Originaires pour beaucoup du sud du pays, ils ont longtemps été accusés de financer le Hezbollah. Retour sur l’histoire très particulière de cette communauté.

L'image montre un groupe de personnes en train de prier ensemble. Au centre, un homme en costume bleu se tient les mains jointes, la tête légèrement inclinée, montrant une attitude de recueillement. Autour de lui, plusieurs hommes portent des vêtements traditionnels, incluant des turbans et des chapeaux décorés. Tous semblent concentrés et tournés vers l'avant, les yeux fermés ou la tête baissée, dans un moment de méditation ou de prière. L'ambiance est empreinte de sérénité et de respect.
Une mosquée à Kinshasa (RD Congo).
© DR

« Notre soutien à nos compatriotes du Liban est évident. Chaque jour, nous témoignons de notre solidarité dans nos prières mais nous respectons aussi la loi qui régit les manifestations. » Souleiman Dangama, porte-parole de la communauté libanaise musulmane en République démocratique du Congo (RDC), se montre extrêmement prudent. Visiblement, il ne souhaite pas attirer micros ou projecteurs. C’est pourquoi il insiste sur l’ancrage religieux et spirituel de son organisation, ajoutant que les musulmans de la RDC prient pour toutes les victimes du conflit au Proche-Orient et que toutes les professions sont représentées parmi eux.

En comparaison avec les communautés libanaises arrivées au Sénégal, au Gabon et en Côte d’Ivoire dès le XIXe siècle, ce n’est qu’après l’indépendance que des musulmans du Liban se sont installés en RDC. Avant 1960, le pouvoir colonial contrôlait strictement les entrées de tous les « étrangers », tandis que les Églises catholique et protestante défendaient leur monopole. Héritage des expéditions esclavagistes menées depuis Zanzibar et les rives de l’océan Indien, l’islam n’était présent que dans les provinces de l’Est, et surtout dans le Maniema, dans le Centre-Est.

C’est après la prise de pouvoir de Joseph Mobutu, en 1960, que des Libanais, déjà établis en Afrique de l’Ouest, firent leur apparition à Kinshasa, tentant leur chance dans le commerce du diamant et de l’or. Mettant à profit la longue guerre qui précéda l’accession de l’Angola à l’indépendance (obtenue en 1975), ils traversaient régulièrement la frontière, négociant avec les mouvements armés d’alors, l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), de Jonas Savimbi, et le Front national pour la libération de l’Angola (FNLA), de Roberto Holden, qui avait ses bases arrière au Congo. Tirant profit de la corruption croissante du régime Mobutu et des trafics de diamant sur la frontière angolaise, ils se lièrent avec des généraux proches du pouvoir congolais, facilitant entre autres les transferts de devises.

Un rôle ambigu avec Laurent-Désiré Kabila

Il fallut attendre 1982 et le siège de Beyrouth par l’armée israélienne pour que s’intensifient les flux de ressortissants libanais en Afrique centrale. La plupart des nouveaux venus, de confession chiite, sont originaires du Sud-Liban, de la plaine de la Bekaa et souvent du village de Hanaouay, près de la ville de Tyr. Peu à peu, ces immigrés issus de familles modestes progressent au sein de la société congolaise, ils ouvrent des magasins de tissus, des comptoirs de change, gagnent les villages de l’intérieur, et certains d’entre eux se font accepter dans l’entourage du président Mobutu.

Après le renversement de ce dernier, en 1997, à l’issue de la « première guerre » du Congo, soutenue par le Rwanda et l’Ouganda mais aussi par l’Angola, les Occidentaux, Belges en tête, boudent le régime de Laurent-Désiré Kabila (LDK). Ils refusent de soutenir le vieux révolutionnaire que les Rwandais et les Ougandais, fers de lance de la guerre et « tombeurs » de Mobutu, sont allés rechercher dans son maquis de Fizi Baraka et qui leur a été recommandé par l’ancien président tanzanien Julius Nyerere.

La rumeur assure que Laurent-Désiré Kabila se serait converti à l’islam durant ses années de maquis. Si rien ne le confirme, il est certain que des Libanais se retrouvent dans son entourage et jouent un rôle ambigu. Ils sont parfois soupçonnés d’être mêlés à des trafics divers. Par la suite, les mentors rwandais et ougandais, déçus par le nationalisme de Laurent-Désiré Kabila, déclenchent la « deuxième guerre » du Congo, sans susciter de réaction en Occident. Laurent-Désiré Kabila est assassiné en janvier 2001 par son garde du corps Rachidi Kasereka, et sa disparition ouvre la voie à son fils Joseph, qui restera au pouvoir jusqu’en 2018.

Accusés de soutenir le Hezbollah

LDK, le « président maquisard », s’est aliéné la communauté libanaise lorsqu’il a confié à la société israélienne IDI Diamonds le monopole de l’achat et des ventes de diamants congolais. Les intermédiaires libanais, jadis en relation avec des généraux de Mobutu, sont tombés en disgrâce, soupçonnés de blanchir de l’argent sale et de fabriquer de la fausse monnaie. Leurs familles étant originaires du Sud-Liban, les commerçants libanais furent même accusés d’utiliser une partie de leurs bénéfices pour soutenir le Hezbollah, fondé en 1982.

Des enquêteurs congolais ont assuré par la suite que l’arme du crime ayant servi à assassiner LDK avait transité par les réseaux libanais de la place. Le mystère ne sera jamais élucidé car, dès le lendemain de l’assassinat du président, le général Yav, un Katangais, a fait exécuter onze ressortissants libanais accusés d’avoir soutenu l’opération. On saura plus tard que ces hommes, pour avoir la vie sauve, avaient proposé de révéler ce qu’ils savaient à propos de l’assassinat du président. Ils ont été abattus avant d’avoir pu parler, en dépit des démarches menées par l’ambassade du Liban à Bruxelles… À l’époque, cette affaire, qui ne fut jamais élucidée, avait fait grand bruit dans la presse de Beyrouth mais n’avait guère ému la communauté internationale.

Une fois installé au pouvoir, Joseph Kabila n’en a pas tenu rigueur à la communauté libanaise : un conglomérat familial créé en 1997 par les frères Tajeddine, Congo Futur, s’est développé de manière spectaculaire, obtenant le monopole sur l’importation de produits de première nécessité.

Ce conglomérat est derrière l’entreprise Pain Victoire, installée dans la capitale, près du carrefour du même nom. Pour les habitants de Kinshasa, elle est synonyme de pain quotidien : chaque matin, des commerçantes venues de tous les quartiers de la ville font la file pour ramener des paniers chargés de longues baguettes de pain blanc, qui sont ensuite revendues à l’unité dans tout Kinshasa, ou proposées sur des étals devant bureaux et ministères afin de nourrir des employés qui ont dû quitter leur quartier à l’aube.

Les frères Tajeddine poursuivis par les États-Unis

Développant ses activités à travers la capitale, Congo Futur a été à l’origine de nombreux supermarchés (aujourd’hui concurrencés par les Indiens) et s’est spécialisé dans l’agro-alimentaire, ouvrant des boutiques d’alimentation jusque dans les villages de l’intérieur du pays. Présente dans le secteur du diamant et dans celui de la construction, la société a témoigné de sa puissance en édifiant un imposant immeuble-tour, la Future Tower, au cœur du quartier des affaires.

Cette ascension fulgurante, rendue possible par la protection que lui a accordée le régime de Joseph Kabila, a été stoppée lorsque trois sociétés libanaises exerçant à Kinshasa (Mino Congo, Transgazelle et Pain Victoire) ont été sanctionnées par le Trésor états-unien pour leurs liens présumés avec le Hezbollah.

En octobre 2017, l’ONG états-unienne The Sentry a publié un rapport intitulé « The Terrorists’ Treasury » qui révélait des transactions qui auraient permis au Hezbollah de contourner les sanctions internationales. En 2003 déjà, la police belge avait effectué une descente dans les bureaux de Soafrimex, une compagnie de négoce alimentaire basée à Anvers et appartenant à Kassem Tajeddine. Par la suite, en 2009, ce dernier, ainsi que deux de ses frères et son épouse, a été condamné par la cour d’appel d’Anvers pour « fraude et blanchiment d’argent » tandis que le Trésor états-unien accusait Kassem Tajeddine et son frère Ali d’avoir contribué au financement du Hezbollah « à hauteur de dizaines de millions de dollars ».

Félix Tshisekedi plus proche d’Israël

Le quotidien libanais L’Orient-Le Jour, qui a mené une enquête dans le cadre du consortium « Congo Hold-Up », a publié les démentis du fils d’Ali Tajeddine. Ce dernier a assuré que sa société n’avait jamais effectué de transactions pour le compte du Hezbollah. Le quotidien libanais relève aussi que des sociétés liées à Congo Futur ont effectué d’importants investissements immobiliers dans la banlieue de Beyrouth via Garden City, un projet de développement résidentiel et commercial situé à Bir Hassan, un quartier de Beyrouth où vit une élite chiite très bien connectée avec le pouvoir libanais.

Toujours selon L’Orient-Le Jour, dans son édition du 26 novembre 2021, et l’enquête du consortium « Congo Hold-Up », la banque BGFI (dirigée à l’époque – en 2018 – par Francis Selemani, un frère adoptif de Joseph Kabila) entretenait à Kinshasa des liens privilégiés avec son client Tajeddine et expliquait que les sociétés du conglomérat faisaient partie de ses « principaux pourvoyeurs de cash ».

À l’heure actuelle, les Libanais de Kinshasa se font discrets. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2018, Félix Tshisekedi préfère se tourner vers les pays du Golfe, et il entretient de bonnes relations avec Israël.

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