ÉDITO
LA MYSTIFICATION DES COMMÉMORATIONS
Les chefs d’État adorent commémorer, et tout particulièrement les chefs d’État français, et plus particulièrement encore Emmanuel Macron. Le locataire de l’Élysée est passé maître dans l’art de célébrer des épisodes passés qu’il réprouverait, qu’il materait même, s’ils advenaient aujourd’hui. C’est ainsi que celui qui a présidé à la répression féroce des Gilets jaunes et qui semble s’inspirer, pour diriger le pays, de l’esprit de la monarchie, célèbre régulièrement les héros de la Révolution de 1789 ; que celui qui a décidé de faire entrer le résistant arménien Missak Manouchian au Panthéon reprend, dans ses discours, les thématiques et même les mots de l’extrême droite et va jusqu’à citer le nationaliste Charles Maurras et réhabiliter le maréchal Pétain ; que celui qui se plaît à vanter le rôle des résistants français durant la Seconde Guerre mondiale sape depuis plus de sept ans les fondements du programme issu du Conseil national de la résistance ; que celui enfin qui rappelle régulièrement l’horreur du génocide des Juifs par l’Allemagne nazie ne fait rien pour stopper le génocide mené actuellement par l’État d’Israël.
Hier encore, le président français a commémoré. Il s’agissait cette fois de célébrer le débarquement en Provence (l’opération « Dragoon »), qui a eu lieu le 15 août 1944 à Toulon et qui a été possible grâce à des milliers de soldats africains : l’armée « B », commandée par le général de Lattre de Tassigny, comptait notamment 130 000 soldats dits « musulmans » recrutés essentiellement en Algérie et au Maroc, et 12 000 soldats de l’armée coloniale, des tirailleurs dits « sénégalais » pour la plupart, issus de toutes les possessions françaises en Afrique subsaharienne.
Cette cérémonie organisée dans le sud-est de la France était placée sous le signe de l’Afrique. « Il n’y aurait pas eu de victoire alliée » sans « les étrangers, les tirailleurs » d’Afrique, a déclaré Emmanuel Macron.
Mais cette fois-ci, ce n’est pas lui qui a fait de cette commémoration une parodie : c’est l’un de ses invités d’honneur. À la tribune se trouvait en effet à ses côtés l’inamovible président du Cameroun, Paul Biya, qui, à 91 ans, cumule quarante-deux années passées à la tête du pays. Biya n’était pas le seul chef d’État africain, il y avait aussi ceux du Gabon, des Comores, de la Centrafrique, du Togo et du Maroc – soit autant d’autocrates. Mais c’est Biya, le doyen, qui a pris la parole. Et c’est là qu’intervient la farce – une farce vraiment pas drôle.
« Il n’y aurait pas eu de victoire alliée sans la contribution des autres peuples, sans les étrangers, sans les Noirs et autres tirailleurs », a-t-il déclaré, avant d’ajouter que « cette lutte a été menée ensemble, pour défendre les valeurs et les idéaux universels de paix et de justice ». Faut-il revenir sur la nature du régime que l’auteur de ces mots a mis en place dans son pays il y a plus de quatre décennies, qui n’a rien à voir ni avec « la paix » ni avec « la justice » ? Rappeler la répression féroce dont sont victimes ses opposants, mais aussi les activistes de la société civile et les journalistes ? Énumérer les noms de tous ceux et toutes celles qui, pour avoir simplement critiqué sa politique, se sont retrouvés dans les geôles infâmes du pays ? Détailler les traitements, dont la torture, dont ils ont été les victimes ? Soulever le problème de l’instrumentalisation de la justice, qui lui sert, sous couvert de lutte contre la corruption, à punir les fidèles tombés en disgrâce depuis des années ? Ou encore raconter la guerre que son armée mène dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, qui a fait plus de 6 000 morts ces dernières années ?
Le simple fait que Paul Biya, alors que près de 8 Camerounais sur 10 n’ont connu que lui au pouvoir durant toute leur vie, prenne la parole lors d’une telle cérémonie censée saluer la mémoire de ceux qui se sont battus pour la liberté (de l’Europe) devrait être considéré non seulement comme une faute de mauvais goût, mais surtout comme une insulte lancée à tous les résistants de la planète, où qu’ils se trouvent, tant les mots « paix » et « justice » sonnent faux sortis de sa bouche.
Ces commémorations, auxquelles ont assisté des tirailleurs survivants venus du Sénégal, auraient pu symboliser une marque de respect autant qu’un message d’espoir. Elles n’ont fait qu’illustrer le cynisme des pouvoirs français et camerounais et l’instrumentalisation des mots et des valeurs prétendument universelles. Une insulte faite au présent.
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _ _
LES ARTICLES DE LA SEMAINE
Au Nigeria, la guerre du Biafra tue presque autant que Boko Haram
Analyse Deux groupes indépendantistes revendiquent aujourd’hui la souveraineté de la République du Biafra, dans le sud-est du Nigeria. Si le Peuple indigène du Biafra semble avoir pris l’ascendant sur le Mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra, les deux organisations ont une stratégie similaire, entre désobéissance civile et actions violentes.
Par Kunle Adebajo
UN⸱E ARTISTE RACONTE UNE ŒUVRE
Roméo Mivekannin. « L’histoire de la colonisation est une plaie qui n’est pas refermée »
Le corps africain dans la mondialisation (5) ⸱ De l’esclavage à nos jours, le corps des Africains a toujours servi les intérêts du capitalisme mondial. Des Marocains vêtus de copies de marques de luxe occidentales aux « migrant es économiques » rejeté es par la mer ou exploité⸱es en Europe, en passant par les déchets industriels déversés par l’Occident et triés à mains nues... Des artistes expliquent leur travail à travers une de leurs œuvres et confient leur rapport à cette mondialisation asymétrique.
Par Adrien Vial
Vous aimez notre travail ? Association à but non lucratif, Afrique XXI est un journal indépendant, en accès libre et sans publicité. Seul son lectorat lui permet d’exister. L’information de qualité a un coût, soutenez-nous (dons défiscalisables) :
Les articles présentés sur notre site sont soumis au droit d’auteur. Si vous souhaitez reproduire ou traduire un article d’Afrique XXI, merci de nous contacter préalablement pour obtenir l’autorisation de(s) auteur.e.s.