
L’ÉDITO
L’ESPOIR DIOMAYE FAYE
Bassirou Diomaye Faye a été élu président de la République du Sénégal dimanche 24 mars avec une large avance sur son principal rival, Amadou Ba (54 % des voix contre 35 %, selon les résultats provisoires). Fait inédit dans l’histoire de ce pays, un candidat de l’opposition s’impose dès le 1er tour, au terme de semaines de tensions et de rebondissements marquées par la libération de centaines de détenus politiques après la suspension unilatérale du processus électoral. Le scénario semble presque irréel pour celui qui avait perdu l’élection municipale de janvier 2022 dans sa commune de Ndiaganiao (Mbour, Thiès), alors que son parti, le Pastef, et ses alliés avaient raflé plusieurs localités du pays, dont les principales villes (Ziguinchor, Dakar, Thiès). Aujourd’hui, le « plan B » du Pastef bat à plate couture le candidat du pouvoir, à l’issue d’un scrutin unanimement salué pour sa crédibilité.
Cette victoire est probablement le dernier acte d’une crise politique qui secoue le pays depuis mars 2021 et les accusations de « viols » et de « menaces de mort » qui touchent Ousmane Sonko, le leader du Pastef. Elle augure d’une volonté de rupture très claire de l’électorat sénégalais.
C’est en effet un plébiscite pour le candidat du Pastef et un désaveu de la politique menée par Macky Sall (dont Ba était le candidat) durant ses deux mandats. Contrairement à ses prédécesseurs, Diomaye Faye n’a ni l’expérience ministérielle, ni celle d’élu. Mais ce qui aurait pu être a priori un inconvénient est devenu un atout dans un pays lassé des dérives de ses dirigeants. Il n’a pas le même passif politique qu’eux et il peut se targuer d’être le porte-étendard d’une coalition qui a su séduire une bonne partie de l’électorat sénégalais par sa promesse de rupture et d’intégrité dans la gestion des affaires publiques.
L’élection de Diomaye Faye est une consécration pour Ousmane Sonko et pour le Pastef, qui réussit l’exploit d’accéder au pouvoir alors qu’il n’a que dix ans d’existence. Mais elle reflète aussi la pertinence du « projet » de ce mouvement, qui va au-delà du personnalisme de la vie politique sénégalaise et qui entend fédérer autour d’un idéal de gouvernance.
Cependant, l’espoir suscité par cette élection est à la hauteur des défis qui attendent la nouvelle équipe dirigeante. Les Sénégalais veulent du changement. Ils exigent une rupture avec l’affairisme au sommet de l’État et avec le copinage entre marabouts et politiciens qui se fait depuis des années sur le dos des citoyens. Ils réclament aussi un changement dans les relations entre le Sénégal et ses partenaires occidentaux, à commencer par la France. Des relations qui passent par plus de transparence, plus d’équité et plus d’indépendance.
Au-delà de cette rupture qu’il incarne, le nouveau président devra aussi répondre à des écueils systémiques qui ont plombé plusieurs gouvernements successifs depuis les années 1980 : la hausse constante du coût de la vie et le chômage des jeunes. Et il devra y répondre au plus vite, tant la situation est dramatique, notamment pour la jeunesse.
Une autre équation se pose au nouvel élu. Diomaye Faye a été présenté comme le binôme de Sonko, ce dernier ayant été exclu de la joute électorale en raison de sa condamnation judiciaire. Le mot d’ordre de leur campagne était : « Sonko moy Diomaye, Diomaye moy Sonko » (« Sonko est Diomaye, Diomaye est Sonko »). L’affiche du parti montrait le visage des deux hommes d’égal à égal, comme s’ils étaient interchangeables. Mais un seul nom figurait sur le bulletin de vote. Et un seul homme sera intronisé président. Comment s’opérera la gouvernance de tous les jours ? La question de la place de Sonko dans le nouvel attelage est régulièrement évoquée. Le Pastef a envisagé la création d’un poste de « vice-président élu en tandem avec le président de la République », avec des prérogatives constitutionnelles qui seraient clairement réparties. Or la mise en œuvre d’une telle mesure ne pourrait se faire qu’à la suite d’un référendum constitutionnel et pourrait renforcer l’hyperprésidentialisme.
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À ÉCOUTER
LES TÉMOIGNAGES INÉDITS DE LA DICTATURE DE SÉKOU TOURÉ
À l’occasion du 40e anniversaire de la mort d’Ahmed Sékou Touré, le 26 mars, l’Association des victimes du camp Boiro a publié trois archives sonores d’anciens dignitaires de son régime (1958-1984). Cette association, qui milite en faveur de la réhabilitation judiciaire des victimes de la répression durant la première République de Guinée, de leur exhumation des fosses communes et de la reconnaissance par l’État des crimes commis, révèle ainsi des témoignages inédits du camp des « bourreaux ». Ils ont été enregistrés peu de temps après la mort de Sékou Touré.
Le président Lansana Conté, qui prend le pouvoir le 3 avril 1984, ordonne alors d’arrêter les principaux responsables politiques du régime déchu. Une commission d’enquête est mise sur pied dans la foulée. Selon Mamadou Bowoï Barry, dit « Petit Barry », elle se concentre « sur les délits économiques qui ont freiné le développement économique et social du pays », et sur la restitution des deniers publics détournés.
Grand témoin de cette époque, « Petit Barry » enrobe de sa voix ronde et chaleureuse – et de ses anecdotes – la présentation de ces trois proches collaborateurs de Sékou Touré, dans des pastilles sonores de 3 à 4 minutes. S’ensuivent les extraits bruts de leurs dépositions lors des interrogatoires de la commission d’enquête, également retranscrits en PDF.
Ces trois dignitaires sont Damantang Camara, ex-ministre devenu président de l’Assemblée nationale populaire en 1974, « qui connaît parfaitement le système », selon Mamadou Bowoï Barry, qui décrypte la prise de décision sous la présidence de Sékou Touré ; Moussa Diakité, ministre durant vingt et un ans et homme de confiance de l’ancien autocrate ; et Abdoulaye Touré, médecin devenu gouverneur, ministre et diplomate, qui revient notamment sur les choix économiques opérés.
Les dépositions d’autres responsables politiques et de membres de la famille de Sékou Touré devraient être mises en ligne prochainement.
À écouter : Les bourreaux de la dictature de Sékou Touré, par le Mémorial Camp Boiro, en ligne ici.
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DANS L’ACTU
JUSTICE. KUNTI KAMARA CONDAMNÉ EN APPEL
L’ancien « commanding officer » (CO) du Mouvement uni de libération du Liberia (Ulimo), Kunti Kamara, condamné à la prison à perpétuité en novembre 2022 par la cour d’assises de Paris, a vu sa peine ramenée à trente ans de réclusion par la cour d’appel ce 27 mars. L’ancien rebelle a été jugé pour « actes de barbarie et complicité de crimes contre l’humanité », des faits qui remontent à 1993 et 1994, durant la première guerre civile libérienne (1989-1996), lorsque lui et son unité régnaient en maîtres dans la petite ville de Foya (nord-ouest du Liberia). L’Ulimo se battait alors contre le National Patriotic Front of Liberia (NPLF) de Prince Johnson et de Charles Taylor, l’ancien président du Liberia condamné à cinquante ans de prison en 2012 par la Cour pénale internationale (CPI), pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre.
Arrêté en France en 2018, Kunti Kamara, enfant-soldat qui a vu une partie de sa famille décimée avant de devenir lui-même un bourreau, a été reconnu coupable d’avoir tué et laissé tuer, violé et laissé violer, et d’avoir pratiqué le cannibalisme. Lors de son procès, fin 2022, l’assistance et les jurés avaient été sidérés par la barbarie de ces actes perpétrés.
Les audiences du procès en appel ont duré trois semaines. La justice française s’est saisie du dossier en vertu de la compétence universelle, qui permet de juger des personnes soupçonnées d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité en dehors de la France, et qui résident sur son territoire. Pour l’avocate générale Myriam Fillaud, cette condamnation est un signal fort envoyé à tous les criminels de guerre réfugiés en France : « La France n’est pas le dernier refuge des criminels contre l’humanité », a-t-elle affirmé lors de l’audience.
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LES ARTICLES DE LA SEMAINE
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Série (2/3) ⸱ Dans le bassin du Congo, quelques institutions et entreprises françaises s’activent en faveur de l’exploitation industrielle des forêts. Parmi elles, le bureau d’études FRM est incontournable. Fort de ses réseaux, il rafle de nombreux contrats dans le secteur, multiplie les champs d’activités et travaille avec des multinationales puissantes telles que TotalEnergie.
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