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La lettre hebdomadaire #115

Dynastie

L'image présente deux pièces de jeu d'échecs, un roi noir et un roi blanc, se faisant face au centre. Ils sont placés sur un échiquier, entourés d'autres pièces éparpillées, à la fois noires et blanches. La composition est en noir et blanc, donnant une atmosphère sobre et artistique. Le fond est clair, contrastant avec les pièces sombres, ce qui met en valeur leur forme et détails. L'ensemble évoque une scène de stratégie et de confrontation dans le jeu d'échecs.
© Piotr Makowski

L’ÉDITO

AU TCHAD, UNE INTERMINABLE AFFAIRE DE FAMILLE

L’épisode sanglant dont N’Djamena a été le théâtre ce mercredi 28 février, qui aurait fait selon les autorités « des dizaines de blessés et de morts », est venu rappeler (à celles et ceux qui l’auraient oubliée) la nature du pouvoir politique au Tchad. Il s’agit d’une oligarchie familiale, une dynastie qui se transmet le pouvoir de père en fils, se le partage – et donc se le dispute – entre cousins, dans laquelle les opposants civils et les activistes ne sont que des figurants, et qui ne doit sa longévité (plus de 33 ans depuis qu’Idriss Déby Itno a pris le pouvoir en décembre 1990) qu’à l’emploi de la force armée, contre le peuple mais aussi en son sein même. Il faut le dire d’autant plus fort que dans deux mois doit se tenir une élection présidentielle dont tout le monde connaît l’issue (la victoire de Mahamat Idriss Déby) et qui ne doit servir qu’à légitimer, aux yeux de partenaires étrangers qui ne demandent que cela, le coup d’État mené en avril 2021 après la mort du « papa-fondateur ».

Ce n’est pas un simple opposant qui a été tué – et peut-être même froidement exécuté – dans la huit de mercredi à jeudi. Yaya Dillo était certes le président du Parti socialiste sans frontière (PSF), mais il était surtout le neveu (par sa mère) de Déby-père et donc le cousin de Déby-fils. Il était également le neveu (par son père) des frères Erdimi, Tom et Timan, qui ont eux-mêmes, par le passé, tenté d’arracher le pouvoir par la force. Et s’il a perdu la vie cette semaine, ce n’est pas parce qu’il représentait un danger électoral pour Mahamat Idriss Déby ; c’est parce qu’il était une menace au sein même du clan au pouvoir. Les Tchadiens le savent bien : depuis trois décennies dans ce pays, le pouvoir ne se gagne ni par les urnes ni par les programmes ni même dans la rue, mais bien par les intrigues et les batailles d’influences au sein de « LA » famille.

Dillo menaçait de renverser l’équilibre des forces à l’intérieur du clan zaghawa. Il venait de gagner à sa cause le propre oncle du président, Saleh Déby Itno, qui avait claqué la porte du parti au pouvoir quelques jours plus tôt et qui a été arrêté durant les violences de mercredi. Il devait donc être éliminé. Une photo de son cadavre, montrant un orifice sur sa tempe, ne laisse guère de place au doute quant aux circonstances de sa mort.

Certes, peut-être a-t-il lui même précipité sa chute : il a été accusé par le pouvoir d’avoir fomenté l’agression du président de la Cour suprême le 19 février et d’avoir lancé, mercredi matin, une attaque contre le siège de l’Agence nationale de sécurité de l’État. Et il est vrai qu’il n’en était pas à son premier coup : il avait déjà pris les armes à deux reprises contre son propre oncle et multipliait les attaques verbales ces derniers temps contre son cousin. Alors que Mahamat Idriss Déby est contesté au sein d’un clan où les alliances se dessinent au gré des rapports de force et de la capacité à montrer ses muscles, il représentait une menace réelle. Peut-être la seule d’ailleurs, après la neutralisation politique des opposants Saleh Kebzabo et Succes Masra (nommés l’un et l’autre successivement à la primature) et des organisations de la société civile, laminées par la répression du 20 octobre 2022.

Sur RFI, le ministre de la Communication, Abderaman Koullamalah, a affirmé qu’« aucune ethnie, aucune tribu, aucune communauté n’est au-dessus de l’état de droit ». Mais qui y croit ? Seuls les pays partenaires de cette dynastie, au premier rang desquels figurent la France (qui compte encore 1 000 soldats sur place) et l’Union européenne, font encore mine d’y accorder un semblant de vérité. Pour eux, oligarchie sanguinaire ou pas, seule compte la stabilité.
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À VOIR

DERRIÈRE LES STATUES, LES CRIMES ET LA PROPAGANDE

© Histoires Crépues
© Histoires Crépues

Bugeaud, Gallieni, Marchand… Ces trois militaires français ont en commun le fait d’avoir brillé par la violence lors des conquêtes coloniales et d’avoir pourtant été statufiés dans l’espace public français. En quatre épisodes, la chaîne Histoires Crépues s’interroge sur la présence de ces monuments à la gloire de criminels de guerre et sur l’avenir de ces statues (déboulonner ? contextualiser ?) : qui les a érigées ? Quelle histoire se cache derrière ?

Le maréchal Thomas Robert Bugeaud s’est notamment illustré en Algérie, à partir de 1836, où il a mis en application la « politique de la terre brûlée » et la méthode de « l’enfumade » : dans sa quête de « pacification », lancé à la poursuite des résistants algériens (menés par l’émir Abdelkader), il mit le feu à des broussailles à l’entrée de grottes dans le plateau du Dahra où s’étaient réfugiés des civils et des combattants. Au moins 500 personnes (hommes, femmes et enfants) sont mortes asphyxiées. Bugeaud n’a pas tué que des Algériens : il est aussi derrière le massacre de manifestants parisiens lors des insurrections d’avril 1834. Malgré les controverses, à l’époque, sur les actes de Bugeaud, l’une de ses statues les plus célèbres trône au premier niveau de la façade du musée du Louvre, à Paris.

« L’enfumade » a également été utilisée par le commandant Jean-Baptiste Marchand lors de sa mission « d’exploration » connue sous le nom de « Congo-Nil ». Dans le contexte d’une compétition entre la France et la Grande-Bretagne pour conquérir l’Afrique, Marchand doit rejoindre le Nil à partir du Congo français. Objectif : arriver à Fachoda (Soudan du Sud actuel) et couper la route aux Anglais qui remontent depuis le Cap, en Afrique du Sud. Sur son passage, Marchand soumet les villageois (pillages, assassinats). Pendant ce voyage de deux ans (1896-1898), plus de mille porteurs seront utilisés et brutalisés. En réalité, lui et ses soldats voyageront dans des conditions confortables, nourris au foie gras et abreuvés de grands crus : 90 tonnes de marchandises portées à dos d’Africains. Ceux qui ont fui ont été tués. Dans les récits de l’époque, les expéditions punitives du militaire sont racontées comme des actes de bravoure. Les morts n’ont plus d’« humanité », explique Françoise Vergès, une des intellectuelles interrogées dans la série documentaire. Tout ça pour rien. Arrivé à Fachoda le premier, Marchand se retrouve quelques jours plus tard face à 3 000 soldats anglais. Paris décide d’abandonner.

La mission « Congo-Nil » est représentées par une fresque géante face au Palais de la Porte Dorée (ancien musée colonial), dans le 12e arrondissement de Paris : des Africains en pagne, encadrés par des soldats – qui étaient pour la grande majorité des tirailleurs sénégalais –, courbent l’échine sous le poids du matériel. La statue de Marchand n’y est plus : elle a été dynamitée en 1983 par l’Alliance révolutionnaire Caraïbe. Une œuvre particulièrement « dérangeante », estime l’historienne et spécialiste des statues Jacqueline Lalouette.

Cette même inhumanité caractérise les faits d’armes du général Joseph Gallieni, d’abord au Vietnam, où il rencontre le général Hubert Lyautey, puis à Madagascar. Gallieni va s’appuyer sur les « haines et rivalités » entre communautés pour imposer la domination française. Il va « diviser pour mieux régner », mettre fin à la royauté et déporter la reine Ranavalona III à Alger. L’une des statues de Gallieni, inaugurée en grande pompe en 1916 près des Invalides (7e arrondissement de Paris), loue d’abord son rôle dans la « protection de Paris » et l’épisode des « taxis de la Marne » (réquisitions de taxis pour le transport de troupes) lors de la 1re guerre mondiale (1914-1918) et ignore son rôle dans la conquête coloniale.

Le récit qui accompagne ces statues est au cœur de ce documentaire. Car, explique l’artiste et réalisateur Seumboy Vrainom, il y a « l’histoire » qui repose sur des « faits » et « la mémoire » qui raconte « des choix politiques ». Ainsi, ce que les autorités décident de dire ou de ne pas dire à travers ces monuments interroge presque plus que la simple présence de ces statues. L’État français devra bien, un jour, prendre le problème à bras le corps. Et, comme ce fût souvent le cas par le passé, déboulonner quelques unes de ces statues de criminels, n’en déplaise à Emmanuel Macron, qui a avait affirmé en 2020 que la France « ne déboulonnera pas de statue ».

À voir : « Nos statues coloniales », sur la chaîne Histoires Crépues :
Partie 1 : « Bugeaud, criminel ? »
Partie 2 : « Gallieni, propagande ? »
Partie 3 : « Commandant Marchand »
Le dernier épisode sera publié le 4 mars.

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