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Enquête

Au Cameroun, la chasse aux trophées contre le droit des Baka

Chaque année, au Cameroun, de riches Américains, Européens et Russes payent très cher pour pouvoir chasser l’éléphant, le buffle ou le bongo. Mais les populations riveraines, à l’exemple des Baka, dans le Sud-Est, n’en profitent pas : non seulement elles touchent une part infime du butin, mais en plus elles se voient interdire l’accès aux zones de chasse privatisées, pourtant essentielles à leur survie.

Dans cette image, deux hommes se tiennent debout près d'un grand animal couché au sol, en pleine forêt. L'animal présente un pelage brun avec des bandes blanches distinctives sur son corps, et il a de longues cornes courbées. Le fond est dense avec des feuillages verts et des arbres, évoquant un environnement tropical riche. Les hommes sourient, exprimant une attitude de fierté ou de camaraderie, tout en partageant ce moment dans la nature. Le sol est recouvert de feuilles mortes, ce qui ajoute à l'ambiance sauvage de la scène.
Un trophée de chasse (ici un bongo) prélevé au Cameroun.
DR

Honoré Ndjinawé a beau parler posément, on sent bien qu’une sourde colère l’anime lorsqu’il évoque les chasses aux trophées organisées autour de Dissassoue, petit hameau de la région forestière de l’extrême sud-est du Cameroun, où il vit. D’origine coloniale1, cette pratique appelée aussi « chasse sportive » consiste à tuer, pour le plaisir, un grand animal sauvage et rare et à conserver une partie de sa dépouille pour l’exhiber. Les États-Unis sont les premiers importateurs de trophées du Cameroun, suivis du Mexique, de l’Allemagne et de la France, selon les données de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (Cites)2.

© Pullitzer/Center
© Pullitzer/Center

Ce qui révolte Honoré Ndjinawé, ce n’est pas tant l’activité en elle-même que son impact sur les Baka, peuple autochtone auquel il appartient et qui habite depuis des temps immémoriaux dans les forêts à la biodiversité exceptionnelle de cette partie du Cameroun, vivant de pêche, de chasse et de cueillette. Assis sous un abri de bois et de paille, le jeune homme dresse la liste des difficultés qu’elle engendre dans cette région située à trois jours de route de Yaoundé, la capitale.

Dépendant de l’arrondissement de Moloundou, Dissassoue est situé en bordure d’une zone de chasse de 54 000 hectares, louée depuis seize ans à Mayo Oldiri, une entreprise appartenant à des Espagnols et dont un des guides de chasse est français. Ses habitants voudraient pouvoir entrer dans cet espace de forêt en dehors de la saison de la chasse, ouverte d’avril à juillet. « Mais on ne peut y aller ni pour pêcher, ni pour chasser, ni pour chercher des produits forestiers non ligneux. On ne peut pas parce que les employés de l’entreprise nous arrêtent, saisissent notre matériel, l’emportent dans leur base », rapporte Honoré Ndjinawé.

« Ce que nous voulons prélever dans la forêt est pourtant uniquement ce dont nous avons besoin pour vivre », précise ce trentenaire, qui est par ailleurs vice-président de l’association Sanguia baka Buma’a Kpode (Asbabuk), regroupant des communautés baka. « Si on ne se nourrit pas on va mourir ! »

Des séjours à plus de 40 000 euros

La réalité que décrit Honoré NDjinawé tranche avec celle que vendent les sociétés et guides de chasse actifs au Cameroun, en général d’origine étrangère. Ces « safaris », comme les appellent les habitants de la région, s’adressent à une clientèle fortunée, vivant en Europe, aux États-Unis, au Mexique ou en Russie, et lui offrent un cadre confortable et protégé pour abattre un buffle, une antilope de forêt de grande taille appelée bongo, ou même un éléphant, espèce en partie protégée dans le pays et considérée comme menacée d’extinction par la Cites. « Chaque chasseur professionnel dispose de son propre véhicule et d’une équipe de pisteurs et de porteurs », annonce le site Internet de Mayo Oldiri, qui publie aussi des photos de clients3 posant aux côtés d’animaux fraîchement abattus, et d’autres montrant les campements bien aménagés où ils logent.

Mayo Oldiri, qui se présente comme la plus grande société de chasse au Cameroun et affirme y contrôler plus de 1 million d’hectares, vend par exemple des séjours de deux semaines de traque au bongo pour une personne à des prix allant de 42 000 à 53 000 euros. Ces montants ne comprennent pas le coût du transport pour se rendre au Cameroun et jusque dans la zone de chasse, ni l’achat d’un permis de chasse, ni les taxes d’abattage et les frais de préparation et de transport des trophées, soit plusieurs milliers d’euros supplémentaires. Certains clients de Mayo Oldiri viennent en jet privé depuis les États-Unis jusqu’à Douala, puis empruntent un autre petit avion pour se rendre dans le Sud-Est, profitant des pistes d’atterrissage de compagnies forestières installées sur place.

À Dissassoue, Honoré Ndjinawé (chemise noire) soulève les difficultés que la chasse aux trophées pose aux Baka.
À Dissassoue, Honoré Ndjinawé (chemise noire) soulève les difficultés que la chasse aux trophées pose aux Baka.
© Fanny Pigeaud

Sans doute ces chasseurs étrangers ignorent-ils que les habitants de Dissassoue et les autres communautés baka de la région n’ont pas eu leur mot à dire ni de compensations lorsque l’État camerounais, sous la pression de ses bailleurs de fonds occidentaux, a transformé leurs terres coutumières en unités d’exploitation forestière industrielle, zones de chasse et parcs nationaux. Au début des années 2000 sont ainsi nées sans leur consentement des dizaines de superficies consacrées à la chasse aux trophées et appelées officiellement « zones d’intérêt cynégétique » (ZIC), ainsi que trois immenses parcs : Lobéké, Nki et Boumba Beck.

Un accès limité aux ressources forestières

Les ZIC sont supposées jouer le rôle de « ceintures de sécurité » pour la faune des parcs, indique Joseph Bibi, président de l’Asbabuk. Elles couvrent chacune plusieurs dizaines de milliers d’hectares et chevauchent des unités d’exploitation forestière. Certaines sont confiées par l’État, sous forme de concessions de cinq ans renouvelables, à des entreprises et à des guides de chasse agréés. D’autres sont gérées par des communautés locales (on parle alors de ZIC à gestion communautaire, en abrégé : ZIC-GC), qui parfois les louent aux mêmes opérateurs privés. C’est le cas de celle au bord de laquelle se trouve Dissassoue : accolée au parc de Lobéké, qui fait 217 00 hectares, cette ZIC-GC n° 1 est amodiée à Mayo Oldiri par un comité villageois composé de représentants des Baka et d’autres communautés locales qui vivent, elles, majoritairement d’agriculture et de petit élevage.

Dans tous les cas, les Baka, de culture semi-nomade et souvent présentés comme les « premiers gardiens de la forêt », se retrouvent obligés de vivre en périphérie des parcs et des ZIC, au bord des routes de terre de la région, avec une liberté de mouvement restreinte et un accès limité de fait aux ressources forestières.

En dehors de la période de chasse, ils devraient tout de même pouvoir circuler dans les ZIC afin de mener leurs activités culturelles et de trouver de quoi assurer leur subsistance – avec l’interdiction de commercialiser les produits et les petits animaux qu’ils prélèvent. Un « mémorandum d’entente » rappelant ce droit a été signé par le gouvernement et l’Asbabuk en 2019, puis révisé et renouvelé en novembre 2023.

Mais comme le montre l’exemple de Dissassoue, les équipes de lutte anti-braconnage employées par les entreprises empêchent bien souvent les Baka d’entrer dans les zones de chasse. Autour de celles qui bordent le parc de Lobéké, environ 24 000 personnes sont installées, et les récits que font les uns et les autres se ressemblent tous.

La lutte anti-braconnage contre les droits d’usage

Impossible par exemple d’entrer, à partir d’une certaine limite, dans la ZIC n° 30, située au nord du parc, indique un groupe d’habitants. Cette zone a été confiée par l’État à Faro Lobéké, une société appartenant à un guide de chasse français, Pierre Guerrini, et au milliardaire Benjamin de Rothschild, patron du groupe Edmond de Rothschild, jusqu’à son décès, en 2021 – un litige oppose depuis les héritiers Rothschild à Pierre Guerrini pour le contrôle de l’entreprise.

Les Baka installés à proximité, au lieu-dit Libongo-Aviation, voudraient aller pêcher dans cette ZIC, qui compte, selon eux, les rivières les plus poissonneuses des environs, et y récolter des ignames ou des mangues sauvages. Au lieu de cela, ils sont cantonnés à un rôle de spectateurs : tout comme ils voient chaque jour passer devant leur campement les camions transportant de gigantesques troncs d’arbres coupés dans les forêts qu’ils fréquentaient autrefois et soulevant d’immenses nuages d’une poussière rouge qui recouvre instantanément les alentours, ils regardent les chasseurs de trophées se rendre dans ces espaces qui leur sont désormais interdits.

Les termes « brimade » et « bastonnade » reviennent souvent pour décrire la manière dont se comportent certaines brigades de lutte anti-braconnage, composées, selon les périodes et les zones, d’écogardes, de villageois recrutés sur place et parfois de militaires.

Hilaire Beka, habitant du campement Mbimbe, raconte la mésaventure vécue par ses frères fin 2023. « Ils étaient partis en forêt dans la ZIC n° 2 [qui n’a plus d’amodiataire depuis deux ans mais reste sous surveillance, NDLR]. Ils ont installé un campement pendant quelques jours, le temps de récolter du djansang, une graine utilisée comme condiment. Des écogardes les ont trouvés là-bas et les ont tabassés. Ils sont depuis traumatisés. »

« On est obligés de se cacher comme des voleurs »

Dans la communauté de Ndjo Solo, prise dans la ZIC-GC n° 1, l’indignation domine depuis que Mayo Oldiri a installé sans explication une barrière avec des gardiens, à la fin de la dernière saison de chasse. « Cette barrière nous empêche de mener nos activités. Les femmes ne peuvent plus se rendre à la pêche. Si elles réussissent à passer, les gardiens qui sont là fouillent leurs paniers à leur retour. Ils prennent ce qu’ils trouvent et le gardent pour eux », racontent plusieurs habitants. Sollicitée par Afrique XXI, Mayo Oldiri n’a pas répondu à nos questions.

« Ceux qui font la lutte anti-braconnage pour Mayo Oldiri nous menacent en permanence. Même si on n’a pas d’arme pour chasser et que l’on veut entrer dans la ZIC, on nous menace, et cela toute l’année », témoigne aussi Isaac Ngombo, leader communautaire dans une autre localité, Salapoumbé. C’est d’autant plus problématique que « les arbres avec lesquels on se soigne se trouvent là-bas, en profondeur. »

« On est obligés de se cacher comme des voleurs », déplore de son côté Olivier Nawe, habitant d’un hameau voisin. Les membres de sa communauté ont beau signaler le problème à différentes autorités, ils ne sont jamais pris en compte, ajoute-t-il. Même si les Baka, population majoritaire dans l’arrondissement, sont représentés dans les comités qui gèrent les ZIC-GC, leur parole est rarement entendue, constatent les intéressés. « Il y a des preuves accablantes que les intérêts commerciaux des sociétés de safari éclipsent les droits d’usage de la population locale : les entreprises de safari empêchent les populations de pratiquer la chasse de subsistance dans les ZIC-GC », avait déjà signalé en 2019 le Centre pour le développement rural (SLE), dépendant de l’université Humboldt de Berlin – à l’instar de plusieurs ONG.

Quoi qu’il en soit, la période de la chasse elle-même et de ses préparatifs, qui commence en février avec le traçage des pistes nécessaires aux chasseurs, tombe mal : elle coïncide avec la saison de la récolte de plusieurs fruits et graines, explique Martin Lembi, leader communautaire baka à Kika-Jérusalem, hameau situé au sud du parc, dans la ZIC-GC n° 3 (84 000 hectares), louée par la communauté locale à un guide de chasse espagnol, Pepe Chelet. Dès février, les femmes chargées de la cueillette ne peuvent donc plus se rendre dans cette ZIC-GC. « Si on essaie d’entrer, c’est le coup de fusil qui part pour nous dire : “Je ne veux personne ici, sortez” », relate Martin Lembi. Malheureusement, les arbres les plus productifs se trouvent dans cette zone. La population est alors contrainte de traverser le Dja, la rivière qui sépare le Cameroun et la République du Congo, pour trouver ces produits saisonniers.

Une paie dérisoire

Vulnérables et en position de survie permanente, certains Baka font, pour s’en sortir, « des petits travaux agricoles » pour d’autres communautés, avec un salaire extrêmement bas : « De 500 à 1 000 FCFA la journée » (0,7 à 1,5 euro), confie Jean-Marie Ondja, secrétaire général de l’Asbabuk. D’autres se trouvent réduits à participer au braconnage de grands animaux pour le compte de commanditaires puissants.

Les entreprises de chasse présentent quelques avantages sociaux puisqu’elles créent des petits emplois sur place, relève le sous-directeur chargé de la faune du ministère de la Forêt et de la Faune (Minfof), Assan Gomse : « Dans une zone aussi reculée que le Sud-Est, ce sont des revenus appréciables. » D’après la loi, les guides et compagnies de chasse sont tenus de recruter au moins 40 à 50 % de leurs employés dans les communautés internes ou riveraines de leur zone d’activités.

Mais les jobs offerts sont en grande majorité saisonniers et mal rémunérés. Même après vingt ans de service, un gardien de campement de Mayo Oldiri, embauché à l’année, ne peut pas gagner plus de 50 000 FCFA par mois (76 euros), affirme un ancien employé. Un pisteur est payé entre 90 000 et 120 000 FCFA par mois chez le même opérateur, d’après lui (au Cameroun, le salaire minimum dans le secteur privé est de 60 000 FCFA, soit 91 euros). Ce sont toujours des Baka, meilleurs connaisseurs de la forêt, qui sont enrôlés pour faire ce travail consistant à repérer et à traquer les animaux, avant de les bloquer, avec des chiens pour certaines espèces comme le bongo, pour les laisser à la merci des chasseurs. Des pisteurs disent apprécier leur paie, mais sont conscients qu’elle est dérisoire au regard des dangers encourus et de ce que perçoit de son côté le guide de chasse étranger.

En outre, les emplois sont peu nombreux. Si, pendant quelques semaines, les entreprises font travailler plusieurs dizaines de personnes pour préparer les pistes, elles n’ont besoin pendant les quatre mois de chasse que de 26 personnes (chauffeurs, mécanicien, serveurs, agents d’entretien, cuisiniers, pisteurs, gardiens, etc.) pour chacun de leurs campements, soit un ou deux par ZIC – un campement recevant deux clients par mois.

« Aucun bénéfice » réel

Michel Zabotoum, chef baka de Zega, hameau proche de la frontière avec la République du Congo et situé dans la ZIC-GC n° 3, regrette qu’aucun membre de sa communauté ne travaille pour Pepe Chelet – dont la majorité des clients sont russes. « Si au moins des jeunes d’ici étaient recrutés, ça pourrait aller », soupire ce patriarche. Il explique aussi que si la population de Zega peut, depuis quelques années, entrer dans la ZIC-GC et faire sa chasse de subsistance dans un certain périmètre sans être dérangée par les écogardes, elle ne bénéficie pas de la viande des animaux abattus par les chasseurs de trophées et qui devrait être normalement partagée de manière équitable entre les communautés. « Nous ne percevons aucun bénéfice » de la chasse aux trophées, conclut-il.

La chasse sportive génère pourtant des retombées financières pour l’économie locale et nationale, fait valoir Assan Gomse. Les sommes payées par les opérateurs privés sont bienvenues, confirme Baudouin Gath-Attasso, qui préside le comité villageois gérant la ZIC-GC n° 3, localisée au sud du parc de Lobéké. Chaque année, son comité perçoit 8,4 millions de FCFA de taxes d’affermage (soit 100 FCFA par hectare), payées par son locataire, Pepe Chelet, et sa part des taxes d’abattage (pour chaque animal tué, le chasseur doit payer un prix selon un barème préétabli), soit 600 000 FCFA en 2022.

Ces revenus permettent de financer la réalisation de structures communautaires, le salaire de quelques enseignants, la lutte anti-braconnage, détaille Baudouin Gath-Attasso. « L’argent sert à protéger la zone et à faire un peu de social en faveur des communautés baka », résume-t-il, soulignant toutefois la difficulté à gérer ces revenus, en raison d’un manque de formation des membres du comité.

Mais pour Pepito Meka Makaena, président du comité villageois administrant la ZIC-GC n° 1 louée à Mayo Oldiri (qui y accueille huit clients par saison), le bénéfice que tirent les communautés de la chasse aux trophées « est très faible par rapport aux contraintes qui leur sont imposées ». Son comité, qui représente 18 000 personnes, reçoit environ 7 millions de FCFA par an de Mayo Oldiri, dont 5,4 millions de taxes d’affermage. « Le prix de l’hectare, 100 FCFA, a été négocié quand les gens étaient encore naïfs, observe-t-il. Cela ne fait même pas 500 FCFA par an par personne, et la population augmente au fur et à mesure que le temps passe. En même temps, on défend à cette même population d’entrer dans la zone pour y chercher à manger. On la punit pour rien. » Il a fait le calcul : si les habitants pouvaient récolter dans la ZIC-GC les produits forestiers non ligneux et dont certains pourraient être vendus, cela rapporterait plusieurs centaines de millions de francs CFA.

3 800 euros pour tuer un éléphant

Sur le plan national, le Cameroun gagne peu avec la chasse aux trophées, qui se pratique sur près de 12 % de son territoire (dans le Nord, le Centre, le Sud et le Sud-Est) : entre 800 millions et 1,2 milliard de FCFA par an. Ces sommes proviennent essentiellement des taxes d’affermage payées par les sociétés de chasse pour les ZIC – entre 50 et 170 FCFA par hectare – et des taxes d’abattage pour les ZIC et ZIC-GC. En 2019, le pays a reçu 385 chasseurs et perçu 835 millions de FCFA. La saison cynégétique 2022-2023 a de son côté rapporté environ 800 millions de FCFA, dont 250 millions de taxes d’affermage, selon le Minfof. Les taxes d’abattage, qui n’avaient pas évolué pendant trente ans, viennent d’être revues à la hausse. Désormais, un étranger doit débourser 3 800 euros pour tuer un éléphant ou un bongo.

Est-ce en adéquation avec les dépenses et les bénéfices que réalisent les guides et les entreprises ? L’État ne le sait pas car il n’a aucun contrôle sur leurs revenus – les clients les paient sur des comptes logés à l’étranger.

Néanmoins, la chasse sportive reste un outil de conservation utile du point de vue du Minfof :

Nous sommes des gestionnaires de la faune. Notre mission première est de protéger et conserver la diversité faunique du Cameroun pour garantir sa pérennité, commente Assan Gomse. L’État manque de moyens suffisants et ne peut mener efficacement le suivi des populations animales dans l’important réseau d’aires protégées dont le Cameroun regorge. Dans ces conditions, les guides professionnels de chasse sont, au-delà du volet exploitation, des acteurs importants de la préservation de la faune dans les zones d’intérêt cynégétique car ils en assurent la gestion. La chasse aux trophées, telle qu’elle est pratiquée, avec des règles strictes – interdiction d’abattre des femelles et des animaux juvéniles, prélèvement de mâle adulte, etc. – et selon des quotas déterminés par l’État, n’a pas d’impacts significatifs sur les populations animales, tout au contraire, elle participe de leur régulation.

Un inventaire réalisé par le WWF et le Minfof a toutefois révélé que le nombre d’individus de certaines espèces avait baissé entre 2015 et 2018 dans certaines ZIC et ZIC-GC de la région. « L’augmentation des pressions de braconnage et surtout de la chasse sportive dans les ZIC et ZIC-GC a affecté les populations de bongos. En effet, le bongo est l’une des cibles principales de la chasse sportive dans la zone, et les quotas annuels d’abattage de cette espèce, attribués par l’administration forestière, ne sont généralement pas élaborés sur des bases scientifiques qui garantissent la pérennité de l’espèce », indique l’étude4. Le bilan est le même pour le buffle, lui aussi très prisé par les chasseurs de trophées.

Un schéma très ancien

Peu de retombées économiques, des problèmes sociaux : le Cameroun ne fait pas figure d’exception. D’après l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), la grande chasse ne permet de financer qu’une petite partie des montants nécessaires à la conservation, et ses retombées socio-économiques sont faibles.

Comment s’en étonner ? « Les zones de chasse ont été d’abord créées pour la récréation des utilisateurs. La justification actuelle de leur existence par la nécessité de protection marque, au mieux, une évolution de la finalité de ces espaces, rappelle Samuel Nguiffo, secrétaire général du Centre pour l’environnement et le développement (CED), une ONG basée à Yaoundé. Ces zones font partie d’un type de gestion extractive, d’un schéma très ancien, qui n’a pas été construit à l’origine pour défendre les intérêts des populations, mais qu’on essaie désormais d’accommoder à la sauce développement durable et changement climatique. »

Ce juriste fait observer que l’exploitation industrielle des forêts, la chasse sportive, les aires protégées et depuis peu le développement de l’extraction minière se font toujours au détriment des populations locales. Les droits d’usage communautaires sont moins bien protégés que les intérêts commerciaux.

Pour tenter d’améliorer la situation, l’Asbabuk a le projet de sensibiliser les entreprises de chasse à la nécessité de respecter le droit des Baka d’entrer dans les ZIC et les parcs nationaux qu’elles ceinturent. « Il faut que les safaris conscientisent leurs employés, leur fassent comprendre qu’ils doivent laisser les populations chercher à se nourrir. On a signé un Mémorandum d’entente qui permet aux populations de partir en forêt librement exercer leurs activités traditionnelles et de subsistance. Il faut le respecter », insiste Honoré NDjinawé.

Changer de paradigme ?

Cela ne permettra toutefois pas d’effacer l’injustice du système : « Des gens qui viennent d’ailleurs peuvent, parce qu’ils ont des moyens financiers, tuer des animaux, alors que si on trouve la population locale avec les mêmes espèces, elle est arrêtée et condamnée. Ça fait mal »5, s’indigne un acteur local de la conservation, sous anonymat. D’après lui, « aucun bon contrôle ou suivi n’est vraiment fait pendant les activités de ces grands chasseurs braconniers blancs ».

Dans une lettre de soutien à un projet de loi visant à interdire en France l’importation et l’exportation de trophées d’espèces menacées, le comité français de l’UICN prend lui aussi position contre ce type de chasse qui « véhicule un modèle d’inégalité sociale entre des chasseurs fortunés payant pour tuer des animaux et des populations locales pauvres dont les droits ou usages de la nature peuvent être limités ».

L’aspect à la fois tragique et ironique de la situation est particulièrement flagrant pour les pisteurs qui aident des étrangers à tuer des animaux qu’eux-mêmes n’ont pas le droit de chasser, même pour leur subsistance.

Il faut tout revoir, juge l’acteur de la conservation cité plus haut : « On devrait pouvoir s’appuyer davantage sur la population locale pour sauvegarder les forêts et la faune qu’elle connaît mieux que quiconque et a toujours su protéger. » Pepito Meka Makaena voudrait, lui, faire transformer en parc national la ZIC-GC n° 1, ce qui mettrait fin à la chasse sportive et lèverait une partie des entraves à la circulation. « La forêt doit rester libre d’accès. On peut organiser la lutte anti-braconnage et imaginer un autre type de protection qui ne met pas la population en difficulté », assène-t-il.

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1Maxime Michaud, «  Chasser en gentleman : évolutions de l’éthique de la chasse sportive  », Journal des anthropologues, 120-121, 2010.

2Pour la période 2012-2022, par exemple, 1 063 trophées d’espèces protégées sont partis du Cameroun, dont 367 vers les États-Unis, 142 vers le Mexique, 76 vers l’Allemagne et 68 vers la France.

3Voir ici.

4Beukou, B., Sombambo, M., Nzooh, Z., N’goran, P., Hessana, D., Sebogo, L. and Mengamenya, A, Dynamique des populations de grands et moyens mammifères dans le segment Cameroun du paysage Tri national de la Sangha, WWF, 2019.

5La loi faunique punit notamment la chasse sans permis d’une amende de 50 000 FCFA à 200 000 FCFA et/ou d’une peine d’emprisonnement de 20 jours à 2 mois. Elle punit notamment l’abattage ou la capture d’animaux protégés, en période de fermeture de chasse ou dans une zone interdite ou fermée à la chasse, d’une amende de 3 millions de FCFA à 10 millions de FCFA et d’un emprisonnement de 1 an à 3 ans.