Dans la région de Kédougou, qui borde le Mali et la Guinée, des centaines de mines semi-artisanales parsèment le paysage broussailleux. Les populations locales ont peu à peu délaissé l’agriculture saisonnière et transformé leurs parcelles en mines d’or, plus rentables. La région, qui compte également trois grandes mines industrielles, constitue désormais le cœur névralgique de l’exploitation aurifère au Sénégal. Une manne financière qui échappe en grande partie à l’État, puisque la plupart de l’or traverse les frontières, souvent de manière informelle.
Le trafic d’or, mais aussi de bois et de produits chimiques, constitue une menace pour la sécurité des populations, qui dénoncent une recrudescence des actes de banditisme. L’armée sénégalaise dit avoir mené en février 2024 une opération de démantèlement de sites d’orpaillage clandestins, au cours de laquelle elle aurait interpellé une bande armée qui sévissait de part et d’autre de la frontière sénégalo-malienne. L’avancée vers l’ouest des groupes armés djihadistes au Mali est une autre source d’inquiétude. Ces groupes pourraient, à plus ou moins long terme, profiter de ces différents trafics pour s’implanter dans le pays.
Kédougou, la deuxième région la plus pauvre du Sénégal qui borde le Mali et la Guinée, accueille aujourd’hui des ressortissants de plusieurs pays, principalement d’Afrique de l’Ouest, en quête d’un des métaux les plus précieux du monde : l’or. De vastes campements désorganisés se sont formés en marge des villages, comme ici dans le département de Saraya. Même les populations locales ont peu à peu délaissé l’agriculture saisonnière et transformé leurs parcelles en mines d’or.
Les mines artisanales (diouras) transforment le paysage verdoyant et fertile en de vastes terres nues parsemées de trous. Pour assurer l’équilibre au sein de la communauté, populations locales et orpailleurs s’organisent selon une hiérarchie bien établie. Le chef du village nomme généralement un responsable du site minier, le diouratigui, et un responsable de la sécurité, le tomboloma, qui sont la plupart du temps choisis parmi les villageois.
Lamine Diabo est le tomboloma de la mine de Samékouta, au nord de Kédougou. « La sécurité est nécessaire parce qu’il y a souvent des attaques de bandits dans ces zones frontalières, et aussi pour maintenir l’ordre parmi les mineurs qui doivent respecter les règles du site », explique-t-il.
Ces deux orpailleurs sont arrivés dès l’aube. La mine artisanale de Samékouta est constituée de centaines de trous similaires. Un des orpailleurs descend dans l’excavation et creuse la roche à l’aide d’un marteau-piqueur alimenté par un générateur électrique. Le second fait remonter vers la surface la terre ainsi extraite, dans laquelle ils espèrent trouver l’or pour lequel ils sont venus de loin.
À l’aide de détecteurs de métaux de fabrication chinoise, les orpailleurs sondent la terre à la recherche de roches susceptibles de contenir de l’or. Celles-ci sont placées dans des sacs de 50 kg. Une fois remplis, ces sacs sont amenés chez les concasseurs. Ces derniers sont chargés de briser la roche qui, après avoir été réduite en poudre, est mélangée à de l’eau contenant du mercure. L’eau s’écoule sur une planche recouverte d’un tapis rugueux, qui retient les particules métalliques.
Les conditions de travail et de vie des orpailleurs sont très difficiles. Des outils rudimentaires sont utilisés, et il n’y a pas de mesures de sécurité adéquates, notamment contre les éboulements et les glissements de terrain, qui sont les principales causes de décès. Malgré tout, cette industrie est devenue la principale source d’emploi dans la région. Selon Amadou Sega Keita, vice-président du Conseil départemental, l’orpaillage emploie plus de 300 000 personnes sur l’ensemble des trois départements de Kédougou, Salémata et Saraya. « C’est plus que la fonction publique », observe-t-il.
Une bonne partie des orpailleurs de la mine du village de Faranding, à la frontière entre le Sénégal et le Mali, sont des jeunes, voire des enfants qui ont abandonné l’école. L’économie créée autour de l’or a favorisé la propagation de plusieurs phénomènes néfastes tels que l’abandon scolaire, l’alcoolisme, la consommation de drogue et la prostitution.
Faranding est situé sur les rives de la Falémé, qui marque la frontière entre le Sénégal et le Mali. Le jeune Aliou (prénom d’emprunt) avait l’habitude de partir à la recherche de l’or dans cette zone, mais il affirme que son village a perdu plusieurs hectares de terres depuis qu’une société chinoise a installé, côté sénégalais, une mine semi-mécanisée à sa périphérie – là où les habitants de Faranding cultivaient des céréales, des légumes, ou cherchaient de l’or. « La société est venue occuper l’espace et déverse également ses déchets liquides dans la rivière, qui est désormais polluée », explique-t-il.
Au fil des ans, l’eau de la Falémé a pris une couleur orange. Selon les habitants de la région, elle était autrefois limpide. Quelques centaines de mètres séparent les deux rives du cours d’eau. Côté malien, des structures métalliques ont été installées sur des barges artisanales. Des hommes y actionnent des machines de dragage pour extraire la roche du lit de la rivière. Une activité illégale, que les habitants de Faranding ont maintes fois dénoncée.
Selon les estimations du ministère des Mines et de la Géologie, plus de 90 % de l’or extrait au Sénégal serait acheminé vers le Mali voisin, où les acheteurs sont plus nombreux et les tarifs plus attrayants. Cette situation est rendue possible par l’extrême porosité de la frontière entre les deux pays. Chaque jour, des centaines de pirogues chargées de motos, de personnes et de marchandises traversent la Falémé, souvent sans aucun contrôle.
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