
ÉDITO
LA CHINE, SEULE PUISSANCE CAPABLE DE RÉUNIR TOUTE L’AFRIQUE SUR SON SOL
Si l’influence d’une puissance étrangère en Afrique se mesurait au nombre de chefs d’État et de gouvernement répondant présents à un sommet, la Chine serait sans conteste sur la première marche du podium. Le 9e Forum de coopération sino-africain (Focac), organisé à Pékin entre le 4 et le 6 septembre, a rassemblé la quasi-totalité des pays africains : 53 chefs d’État et de gouvernement sur 54 – le seul absent, l’Eswatini, n’avait tout simplement pas été invité par le leader chinois Xi Jinping à cause de ses relations maintenues avec Taïwan.
La délégation avait du mal à tenir sur la photo de famille. À titre de comparaison, le dernier sommet similaire organisé par la France, en 2010, à Nice, n’avait réuni « que » 33 chefs d’État et 5 chefs de gouvernement ; en 2022, Washington avait reçu 49 chefs d’État et de gouvernement lors du sommet États-Unis-Afrique ; en Russie, en 2023, seulement 17 chefs d’État (sur 49 délégations) avaient fait le déplacement à Sotchi…
Comment expliquer ce succès qui semble marquer l’apogée de ce que le chercheur Xavier Aurégan appelle « les trente glorieuses » de la relation sino-africaine (1993-2023) dans son livre Chine, puissance africaine (Armand Colin, 2024) ?
D’une certaine manière, Pékin bénéficie des fortes tensions actuelles entre les États-Unis, la France (et l’Union européenne en général) et la Russie, qui se traduisent sur le terrain africain par une recomposition des équilibres géopolitiques. Moscou s’y distingue par son récent activisme militaire (à travers la présence des mercenaires d’Africa Corps, anciennement Wagner) et sa capacité à surfer sur un « néo-panafricanisme » qui se traduit par un rejet populaire des puissances dites « occidentales ».
Celles-ci sont accusées (même si ce n’est pas vraiment nouveau) d’instrumentaliser les droits humains et la « bonne gouvernance » pour mieux s’ingérer politiquement dans les affaires intérieures des États africains et exploiter les ressources du continent (ainsi que l’a exprimé à Pékin le chef de l’État malien, Assimi Goïta), mais aussi d’importer des « valeurs » qui ne seraient pas africaines (une certaine idée de la démocratie et des mœurs qualifiées de « déviantes », comme l’homosexualité).
Depuis toujours, la Chine a privilégié les échanges économiques avec l’Afrique, affirmant ne pas vouloir s’ingérer dans les affaires internes des pays. Mais, à y regarder de plus près, son engagement est-il si différent de celui des autres puissances impérialistes ?
Si Pékin a déversé des sommes colossales sur le continent depuis le début des années 2000 (notamment dans le cadre de sa « nouvelle route de la soie »), celles-ci ont surtout servi les intérêts chinois. Elles ont également lourdement endetté les pays bénéficiaires, sans qu’ils ne voient parfois de résultats concrets. À n’en pas douter, il en ira de même avec les 50 milliards de dollars sur trois ans promis par Pékin lors du Focac. Une somme à relativiser puisque, en 2022, les États-Unis avaient évoqué à peu près le même montant (53 milliards de dollars) sur une durée équivalente. Pour Xavier Aurégan :
D’une manière paradoxale, si on se fie aux postures chinoises, l’exercice des modalités d’intervention rapproche inexorablement la Chine des pratiques occidentales. Financiarisées et capitalistiques, les interventions chinoises n’ont plus grand-chose à voir avec celles de la période maoïste. S’il existe bien un « capitalisme d’État chinois », il existe à l’avenant un capitalisme d’État chinois en Afrique. Dans sa relation économique qu’elle entretient avec le continent africain, la Chine est donc un acteur comme les autres, si l’on ne tient pas compte de l’aide chinoise fournie dans le contexte de l’exportation du socialisme, hier, et de son caractère politiquement et commercialement lié, aujourd’hui.
Les crises sécuritaires qui se multiplient sur le continent redéfinissent par ailleurs les cadres de la non-ingérence mise en avant par la 3e puissance militaire mondiale. Depuis le début des années 2010, la présence de l’armée chinoise s’est accentuée avec des évacuations de ressortissant es lors de crises (Libye, Yémen…), l’implantation d’une base militaire à Djibouti, le déploiement de sociétés de sécurité privées (comme HXZA) et la progression spectaculaire sur le continent des ventes d’armes fabriquées en Chine (multipliées par trois entre 2008 et 2019).
Le succès du Focac a montré que la Chine était le seul pays au monde capable de réunir tout le continent sur son sol. Est-ce une bonne nouvelle pour les Africain
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DANS L’ACTU
LE DÉLICAT ENJEU DES RESTITUTIONS
Le dernier long-métrage de Mati Diop, Dahomey, est sorti en salles en France le 11 septembre. Primé lors de la 64e édition de la Berlinale en février dernier, ce film suit, de Paris à Cotonou, la restitution de 26 trésors royaux du Dahomey pillés par la France lors de la conquête coloniale à la fin du XIXe siècle. Comment vivre le retour de ces « ancêtres » dans un pays qui a dû se construire et composer avec leur absence ? interroge la réalisatrice franco-sénégalaise, qui affirme vouloir, avec ce film, « restituer nos histoires ». « La France, l’ancienne puissance coloniale, Macron, leur rôle, c’est de rapatrier. Mais restituer, c’est à nous de le faire, nous, enseignants, intellectuels, cinéastes, artistes, société civile », précise-t-elle dans le quotidien français Libération.
Des questions qui se posent particulièrement au Bénin, où le président Patrice Talon a fait de la promotion de la culture et de la capitalisation de l’Histoire un outil au service de sa politique autant que de sa propre réputation, quitte à faire fi des enjeux mémoriels et des conflits qui pourraient en découler.
Car la restitution ne fait pas toujours l’unanimité, notamment lorsqu’elle concerne des restes humains. Outre les enjeux scientifiques, culturels et éthiques qu’elle pose, elle implique également un consentement des principaux concernés qui n’est pas toujours facile à obtenir, comme dans l’est de la République démocratique du Congo. Elle n’en reste pas moins un enjeu essentiel aux yeux de nombreux intellectuel les et militant es africain es.
Lancé par Emmanuel Macron dès son arrivée au pouvoir, en 2017, la restitution des œuvres dérobées durant la colonisation et détenues depuis par la France est toujours en chantier. Outre ces 26 œuvres remises au Bénin, ainsi que le sabre ayant prétendument appartenu à El Hadj Oumar Tall au Sénégal, d’autres artefacts pourraient être prochainement restitués – la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie, le Tchad, le Mali et Madagascar en ont fait la demande. Mais tout cela se fait au compte-goutte, les résistances étant fortes en France, tant au niveau des conservateurs des musées que des parlementaires. Pour éviter les embûches à chaque œuvre réclamée, le gouvernement s’était engagé à faire voter une loi-cadre au printemps 2024, mais ce vote a été ajourné, notamment en raison de l’opposition des sénateurs de droite.
D’autres pays européens sont allés plus vite, comme la Belgique – qui, elle, a fait voter une loi en 2022 – ou la Grande-Bretagne.
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